Un destin paralysé

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Une nouvelle prédiction-prévision qui court les commentaires des chroniqueurs américanistes, c’est le constat que la réélection de Barack Obama est désormais compromise. C’est en général un constat catastrophé, par goût des situations acquises et par crainte du pire de tout (BHO battu) comme alternative au catastrophique continué (BHO réélu). (Etrange alternative, mais le rangement des faits y invite, – mais après tout “alternative” bien de notre époque de si basses eaux qu’on peut croire que le fond n’est plus très loin.)

Cette prévision est accolée clairement à la situation de l’emploi après les constats statistiques épouvantables du mois de mai. Tout cela est clairement explicable par le blocage complet existant au Congrès avec la politique de verrouillage des républicains qui favorisent absolument la politique de réduction des dépenses publiques, et repoussent pour l’instant toute politique en faveur de l’emploi. Le diagnostic général est bien que la crise est d’abord dans la paralysie du pouvoir politique, plus encore que dans la situation économique elle-même. (Au reste, ce n’est pas autre chose qui installa et accéléra la Grande Dépression, dont il est aujourd’hui beaucoup question, à nouveau comme référence décidément récurrente.)

Nous citons le chroniqueur E.J. Dionne, Jr. parce qu’il s’agit d’un libéral (progressiste) extrêmement modéré dans les termes et les conceptions de tactique politique, un paradoxal mélange d’une pensée critique (certes, prudemment) de certains aspects du Système et complètement alignée sur les procédures, autant que sur les us et coutumes du Système. Voilà que, à sa manière feutrée et désolée, Dionne cède au pessimisme ambiant et abandonne de facto sa vision en général assez optimiste sur l’état de la présidence Obama. C’est donc que ce pessimisme semble avoir des raisons d’être… Son texte du 12 juin 2011, sur Truthdig.org, expose effectivement cet état d’esprit, à partir du constat du «miserable world of no-way-out politics».

«The economy needs another jolt, but Congress is in gridlock. Democrats, or most of them, realize that their political futures and the well-being of millions of households hang on whether unemployment can be brought down. Yet Republicans have the capacity to block even the smallest steps forward.

»Here’s what the Democrats’ agony looks like from the inside. Last Thursday, Senate Democrats devoted their weekly policy lunch to a simple question: What proposals to spur job creation have any chance of passing Congress, given Republican control of the House and the effective veto power the GOP has in a Senate where a simple majority no longer rules?

»The agenda was organized by Sen. Charles E. Schumer of New York. He doesn’t need a pollster to tell him that jobs are his party’s make-or-break issue. “The voters gave us two mandates in 2010, not one,” he said in an interview. “They told us we should reduce the deficit and get rid of wasteful spending. We ignore that at our peril. But they also told us to create jobs, grow the economy and help the middle class stretch their paychecks.” Washington, Schumer says, is ignoring the second instruction. […]

»For the moment, Republicans have no interest in moving the nation’s debate toward investments in job creation because they gain twice over from keeping Washington mired in discussions on the deficit. It’s a brute fact that Republicans benefit if the economy stays sluggish. And despite their role in ballooning the deficit during the Bush years, they will always outbid Democrats on spending cuts.

»So is there any way out for those looking to Washington? The recent disappointing jobs numbers have at least had the salutary effect of reminding Democrats that they cannot agree to anything that further slows the recovery. “The first principle has to be ‘do no harm,’” said Rep. Chris Van Hollen of Maryland, a key House Democratic negotiator in the deficit talks. “There is a danger of making things worse if you adopt very deep cuts in the short term.” […]

»But there is another player in all this. The broad feeling among congressional Democrats—a sentiment that moves toward impatience when it’s expressed off the record—is that President Obama needs to engineer a turn in the national conversation. Brown, for example, strongly defends Obama’s auto rescue and is happy the president is talking more about manufacturing lately. Yet he adds: “The president has got to get this discussion more on jobs and less on the budget.”

»Obama believes and says in speeches, most recently last week at Northern Virginia Community College, that government has a major role to play in expanding opportunity. At the moment, though, the overwhelming message coming out of the nation’s capital (and one that defies economic logic) is that cutting spending is the only thing government can do to improve the economy.»

Observée en termes extrêmement modérés, à l’image du style et des conceptions de Dionne, le jugement général ne peut être défini autrement que par le constat d’une situation de complète paralysie. Les chroniqueurs un peu plus percutants et audacieux que Dionne ont désormais leur formule de mobilisation pour exprimer leur sentiment, formule qui ne prouve rien ni ne prédit l’avenir mais a l’avantage de substantiver dans le confort quantitatif d’une statistique un sentiment de plus en plus général et répandu : jamais, depuis FDR en 1936 et dans les conditions extraordinaires qui régnaient alors, un président US n’a été réélu avec un chômage dépassant en chiffres officiels (à modifier comme il se doit par au moins un doublement) les 7,4%. Actuellement, nous sommes revenus à plus de 9% et la tendance n’est pas encourageante ; cela laisse préjuger des possibilités quasi inexistantes de faire baisser substantiellement le chômage jusqu’à la référence de moins de 7,4%, alors que la résultante des forces politiques antagonistes est une paralysie empêchant toute action dans ce domaine. Cela signifie-t-il l’échec de BHO en 2012 ? C’est la nouvelle thèse en vogue, qui, si elle ne nous dit rien de ce qui se passera en 2012, contribue fortement à affaiblir la position de BHO aujourd’hui, alimentant ainsi une spirale négative.

Le Congrès est bloqué, notamment parce que les républicains ont mis en place une tactique politique efficace pour leur cause mais qui, à cause de la situation tragique du pays, peut mener à l’extrême à une situation de type-Grande Dépression par la spirale infernale du chômage. Leur politique d’efficacité tactique devient une orientation nihiliste catastrophique pour la situation américaniste, – ce qu’ils nient évidemment et qui les laisse par ailleurs indifférents, – une possible défaite de BHO valant bien, c’est l’évidence de la pensée de l'époque, une nouvelle Grande Dépression. Face à cela, BHO assume comme d’habitude ses irresponsabilités diverses. Il cède (aux républicains), hésite devant toute attitude un peu tranchante, gémit dans ses discours sur sa situation d’être pris en otage (alors que son parti n’est tout de même pas dans une si mauvais position au Congrès avec la majorité au Sénat). La dialectique du président avait un certain sens à court terme, malgré la médiocrité qui la caractérise, lorsqu’il y avait de fortes réalités qui conduisaient à la probabilité de sa réélection, notamment une tendance au chômage maîtrisée, ou dans tous les cas la croyance dans ce sens… Mais, face à une tendance de dégradation et une menace d’un retour à un style-Grande Dépression, sa prudence et sa dialectique geignarde deviennent une couardise et une impuissance insupportables, qui militent contre lui. Finalement, ce pourrait être bien à cause de ce caractère qui devient de plus en plus insupportable après avoir fait une partie de son charme, encore plus qu’à cause du chômage, que BHO pourrait n’être pas réélu… Ce serait, de toutes les façons à l’intérieur d’une monstrueuse situation enfantée par les mœurs et les pressions du Système, une sorte de justice.


Mis en ligne le 14 juin 2011 à 07H29