Un destin pour Medvedev

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Un destin pour Medvedev

• Beaucoup d’agitations ces derniers temps au Kremlin, avec désormais des perspectives d’importants changements structurels pour adapter la Russie à une très longue période de confrontation. • La Commission Militaro-Industrielle prend une place importante en organisant une expansion formidable de l’industrie de production militaire.• Un poste très puissant de vice-président est créé, le président Poutine ayant d’autres occupations. • Medvedev occupe ce nouveau poste d’où il préparerait sa succession de Poutine, voulue pour 2024.

“Beaucoup d’agitations ces derniers temps au Kremlin”, autour de Poutine, autour de Medvedev aussi et de son voyage à Pékin, etc. Enfin, il y a une décision jugée importante de restructuration de la Commission du pouvoir suprême qui supervise l’industrie militaire et la sécurité, qui indique l’installation de la Russie et de son pouvoir dans une période longue, très longue de confrontation avec l’“Ouest collectif”.

On écoute notamment Alexandre Mercouris (le 28 décembre et le 29 décembre), particulièrement intéressé par ces perspectives, comme l’amorce d’un tournant structurel et politique considérable. C’est comme si la Russie postcommuniste prenait structurellement et psychologiquement acte de l’affrontement qui s’est ouvert :

« ... Il est clair que les Russes envisagent au moins une décennie ! ...Au moins une décennie de confrontation avec l’Ouest, même si ce conflit en Ukraine est résolu rapidement [en 2023-2024]... Nous sommes dans une guerre très, très froide, plus froide qu’elle ne l’a jamais été depuis les années 1950... »

Voyons d’abord le fait du renforcement radical de la Commission Militaro-Industriel, contrôlant les affaires de sécurité nationale, et de l’industrie militaire en priorité, et l’évolution qui touche la position et les pouvoirs de Medvedev. Il s’agit d’une réforme qui, selon nos commentateurs préférés, devrait avoir des dimensions considérables, – présentée ici d’une façon très neutre par RT.com :.

« L'ancien président russe Dimitri Medvedev a été nommé premier adjoint de la Commission Militaro-Industrielle du pays. Cette fonction a été officiellement créée lundi par décret présidentiel par Vladimir Poutine, qui dirige cette commission.

» Dans ses nouvelles fonctions, Medvedev, qui est actuellement vice-président du Conseil de Sécurité russe, aura le droit de créer des groupes de travail et des conseils qui s'occuperont des activités de la Commission Militaro-Industrielle, selon le décret.

» Ses anciennes fonctions au sein du Conseil de Sécurité, consistant à superviser les mesures de contrôle de l'industrie de la défense, continueront d'être exercées dans le cadre de son travail au sein de la commission, a déclaré l'assistant de Medvedev à RIA après la nomination.

» La Commission Militaro-Industrielle est un organe permanent qui supervise l'industrie de la défense du pays et est chargé d'organiser la politique de l'État dans les domaines de la garantie des capacités défensives de la Russie, de la sécurité de l'État et de l'application de la loi.

» L'organe est également chargé de veiller à ce que l'économie russe soit préparée à la mobilisation et a le droit de passer des commandes publiques dans le domaine de la défense à hauteur de 1 000 milliards de roubles (14,6 milliards de dollars) par an. »

Il faut voir qu’il n’y a pas à proprement parler de changement disons “de format” de la Commission, mais un changement du domaine de l’état d’esprit. Soudain, cette Commission acquiert une importance considérable et un point essentiel qui la rend si efficace opérationnellement, – et qui la différencie du Pentagone, – est que cette maîtrise, cette orientation et cette expansion considérable de l’industrie militaire dans son fonctionnement le plus précis est directement dans les mains du pouvoir civil. Aux USA, le Pentagone gère lui-même l’industrie militaire, les commandes qu’il lui passe, les programmes qu’il lui commande, etc. Il n’est contrôlé que pour le financement par le Congrès qui vote son budget, par des parlementaires dont on sait les liens d’affection et de tendresse avec les conseils d’administration des grandes sociétés d’armement, et l’intérêt de ces grandes sociétés pour leurs élections.

Notes de PhG-Bis : « “On reviendra là-dessus”, me confie PhG, qui semble soudain avoir compris quelque chose d’important... Il poursuit : “Il y a là une explication fondamentale qui rejoint en partie, – en partie seulement, – ce que James Carroll disait de Gorbatchev et de la chute de l’URSS et de son complexe militaro-industriel, son Pentagone, en juillet 2006 : ‘Et regardez le plus grand exemple de ce changement, – il a eu lieu en Union Soviétique, qui s'est démantelée elle-même. Au lieu de tout mettre sur le dos de l'ennemi extérieur, elle a fait face à ses propres corruptions et s'est démantelée. Ce grand événement du 20e siècle, – la disparition non violente de l'Union soviétique, – est une source d'espoir que nous, Américains, devrions examiner de plus près.’ Carroll aurait dû préciser d’une façon appuyée qu’en s’écroulant, l’URSS avait fait s’écrouler son propre Pentagone...” » 

La décision de la nomination, si l’on veut, d’un “président à temps plein” de cette Commission (le véritable président, Poutine, ayant d’autres chats à fouetter) résume et synthétise à elle seule l’importance primordiale de la réforme. C’est-à-dire qu’il y a désormais une direction politique à temps plein, qui examine les questions de la production et de l’industrie militaire en ayant à l’esprit l’essentiel des questions politiques. Son autorité, – l’autorité de la présidence si l’on veut, – en est renforcée ; mais en est renforcée aussi l’importance devenue fondamentale de cette Commission, en raison de la grande dynamique de développement de l’industrie militaire exigée par la situation politique.

Précision de Mercouris : « Le point essentiel est qu’il s’agit d’un poste [vice-président] et d’une nomination permanentes [et non pour la seule guerre d’Ukraine] ... C’est acte important dans la construction institutionnelle mais c’est aussi une démonstration de l’importance énorme que la Russie accorde désormais au secteur militaire... Nous parlons d’un énorme renforcement militaire au soi, du complexe militaro-industriel... »

Peut-être Mercouris n’aurait-il pas dû employer l’expression de “complexe militaro-industriel”, trop connotée, mais l’idée est bien d’organiser une expansion considérable de l’industrie militaire. Aux USA, un tel poste, – celui que Medvedev occupe désormais, – aurait été donné au secrétaire à la défense, ou à un de ses adjoints, voire à un général chargé au moins de quatre étoiles. Dans le cas russe, l’énorme effort d’expansion de la puissance militaire doit être conduite par un homme d’État, qui place avant toutes choses les buts politiques du pays, autant que sa stabilité sociale.

A cette occasion, Mercouris rend un vibrant hommage à Medvedev, écartant tous les soupçons d’“atlanticisme” et de pro-occidentalisme, et en général de grande mollesse, qui furent souvent soulevés à son encontre. Il rappelle que c’est lui, et lui seul, alors président, qui décida de lancer l’armée contre la Géorgie en 2008, avant de proposer en novembre 2008 un accord de sécurité européenne à fort belle allure, à un Sarko (alors président du Conseil européen) qui s’enthousiasma deux jours, durée maximale de sa pensée conceptuelle, et rata évidemment le coche. Ce n’est pas nous qui démentirions ce jugement sur sa personnalité, comme vous pouviez le lire le 13 septembre 2008, où nous nous faisions l’écho d’un Medvedev comparant l’attaque géorgienne du 8 août 2008 et la haine antirusse qu’elle montrait à “son 11-septembre” à lui” :

« Eh bien, au diable ce qu’il paraissait être… Medvedev apparaît dans ces déclarations comme beaucoup plus consistant, beaucoup plus humain et solide à la fois. Il apparaît comme un président en exercice, “in charge” comme ils disent, prenant des décisions, ayant des avis tranchés et parlant sans avoir froid aux yeux. (Les détails qu’il donne sur Saakachvili sont révélateurs de l’humeur et du caractère de Medvedev; il le nomme “le gamin” [«… and the boy changed miraculously…»] et donne des détails inédits, certainement en provenance du renseignement russe, sur les habitudes pathologiques et d’accoutumance du président géorgien.)

» Steele note que Poutine et Medvedev parlent selon la même ligne (selon une expression un peu méprisante, typiquement anglo-saxonne pour les autres alors que les Anglo-Saxons en usent tant eux-mêmes: “from the same script”), – pour aussitôt mettre en évidence les différences (“…though there were important differences between the two”). Différences de générations, notamment, entre un Poutine qui a eu une partie de sa carrière dans l’URSS encore existante, et Medvedev pas. Le jeune président russe (on réalise alors qu’il n’a que 42 ans) a des mots très durs pour l’URSS, rien de la nostalgie qu’on perçoit chez Poutine. Il n’en est que plus frappant que Medvedev soit plus dur que Poutine vis-à-vis de l’attaque du 7 août (du 8 août), de Saakachvili, de l’événement et de son caractère bouleversant pour lui. »

Ainsi Mercouris estime-t-il que c’est le vrai Medvedev qui s’est montré, ces derniers mois, d’une incroyable fermeté contre l’Occident, et essentiellement les Anglo-Saxons, qu’il connaît bien. Certainement, en fait, plus dur que Poutine, plus dur que le diable dénoncé par l’“Ouest collectif”... Nous n’avons pas manqué de mentionner ses sorties furieuses sur son fil ‘Telegram’ (voir par exemple le 4 juin 2022, le 9 juin 2022, le 13 novembre 2022).

En route pour 2024 ?

Ainsi et aussi, Mercouris n’entretient-il plus guère de doute sur les enjeux et sur les hostilités. Le poste fondamental donné à Medvedev, c’est un marchepied que lui donne Poutine pour sa succession, parce que Poutine a le jugement sûr et connaît son homme. D’ailleurs, Poutine “rencontre” Xi aujourd’hui, en virtuel, comme l’ont si bien compris les “experts” français, et tout cela était bien ordonné, selon un bon coup à la Poutine qui sent le poids de l’âge pour 2024...

« [Medvedev] commence à ressembler à un potentiel successeur de Poutine... Et le fait qu’il ait été à Pékin rencontrer Xi seul à seul ressemble à une sorte de présentation par Poutine de son successeur au président chinois... Et je ferais bien l’hypothèse que la lettre de Poutine que Medvedev a donnée en mains propres à Xi constituait justement l’annonce et la présentation de son successeur... [le porteur de la lettre lui-même !] » (Mercouris)

Mercouris, qui annonçait dès avant-hier cette entretient-surprise Poutine-Xi pour parler de cette affaire et du calendrier, estime que l’affaire ukrainienne sera réglée en 2023, les Russes se préparant à une attaque décisive devant ce qu’ils estiment être un blocage total de l’Ukraine et de sa pantomime de pouvoir par les exigences US, tout cela permettant de faire en Russie des présidentielles assurées et stables,  avec un nouveau président, pour entrer “dans le dur” de cette terrible super-Guerre Froide.

 

Mis en ligne le 30 décembre 2022 à 04H15