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2 février 2006 — Le discours fut, cette année, original. Rien de précis ne peut en être retenu et chacun retient ce qui lui plaît, selon son humeur — et les humeurs sont assez sombres… Voilà l’originalité, cette espèce de vide, on oserait presque ajouter : “même dans l’univers virtualiste de GW”.
• Pour l’un, le discours fut un appel à l’Amérique à ne pas se replier dans l’isolationnisme. Venu d’une administration qui vit dans une bulle fermée à tout, à Washington, l’appel montre une fraîcheur d’esprit peu commune. C’est le New York Times qui privilégie cette approche du discours : « President Bush offered the nation a modest menu of energy, health and education proposals and warned against the “false comfort of isolationism” in a State of the Union address on Tuesday that sought to reassert his control over the nation's agenda heading into a pivotal midterm election campaign. […] ”In a complex and challenging time, the road of isolationism and protectionism may seem broad and inviting, yet it ends in danger and decline,” he said. »
• Pour un autre, il s’est agi de réduire la dépendance de l’Amérique du pétrole. Là aussi, l’ironie est forte pour ceux qui pensent que l’Amérique est entrée en guerre pour les pétroles d’Irak, — à moins que l’appel ne préfigure un retrait d’Irak? Parmi d’autres médias, Reuters choisit cette approche pour aborder le discours : « President Bush said on Tuesday “America is addicted to oil” from the Middle East and must break its dependence, in a State of the Union speech that promised aggressive U.S. engagement around the world in defiance of critics. The former oilman outlined a green agenda in a 52-minute speech that was interrupted at least 60 times by applause. He called for improving technologies in order to reduce U.S. oil imports from the Middle East 75 percent by 2025. »
• Pour un autre encore, il y eut d’abord la réaffirmation que seule l’Amérique peut mener le monde. A quoi? Vers quoi? Vers la paix, bien sûr. Nous attendrons le prochain discours de l’état de l’Union pour savoir comment. Cette phrase de The Independent, « President George Bush insisted last night that, despite its difficulties in Iraq, America would not retreat from the world, arguing that US leadership “is the only way to secure the peace” », indique, par sa banalité la plus apaisante, que l’affirmation fut faite sans grande passion ni excessive conviction. L’hubris habituel, mais bien désenchanté.
• Pour un autre encore, nous avons vu GW abandonner les grands desseins pour prendre en compte, avec un désenchantement incontestable, les dures réalités du temps. David Sanger, du Ney York Times : « It was, in short, a speech rooted in some hard global and political realities, and one unlikely to become one of Mr. Bush's most memorable. Instead of evoking the grand ambitions that have suffused his presidency, Mr. Bush emphasized the familiar and the modest. He also offered an olive branch, reviving an old pledge to lower the partisan temperature. “Our differences cannot be allowed to harden into anger,” he said. »
• Pour un autre ailleurs, GW a d’abord imploré ses compatriotes de retrouver foi en la grande Amérique, d’ouvrir les yeux sur l’exaltante réalité. C’est le Washington Times qui voit les choses de cette façon : « President Bush last night implored an unsettled nation to reject the idea that “our culture is doomed to unravel” … […] “As we look at these challenges, we must never give in to the belief that America is in decline, or that our culture is doomed to unravel,” he said. “The American people know better than that. We have proven the pessimists wrong before — and we will do it again. »
• Pour un autre enfin, ce discours de GW fut simplement l’annonce résignée de la fin de sa présidence, de la mort prématurée de sa présidence. Le titre de l’article de Joshua Holland, d’Alternet est significatif : « Dead Man Talking. » Avec ce premier paragraphe également significatif : « George Bush is hanging by a thread. As he gamed his way through his fifth State of the Union Speech last night, it was clear that his is a presidency laying in ruin. Except for a reactionary judiciary that will be his continuing legacy — pushed passed the too-little, too-late efforts of a limp Democratic Party — Bush has no accomplishments he can look forward to in the next three years. »
Il était intéressant d’attendre les réactions au discours sur l’état de l’Union plus que de réagir au discours lui-même, — dont le vide évident était palpable, avant même qu’il fut dit —, pour voir se confirmer cette sensation qu’il s’agit d’un non-événement politique, voulu comme tel par ceux qui l’ont fait. C’est un discours électoraliste tactique et un discours électoral pour les élections dite du mid-term. Il parle de tout et ne dit rien qui ne soit convenu, conformiste, cohérent avec ce que l’establishment attend désormais de cette présidence, — qu’elle en fasse le moins possible et tente de gérer au mieux (drôle de mot) la catastrophe. L’absence d’éclat, d’affirmations radicales, comme on en a trouvé dans les précédentes interventions annuelles de GW, montre que la succession vertigineuse de déboires et d’erreurs de la politique de ces cinq dernières années finit par peser de tout son poids. Même l’équipe de relations publiques de la Maison-Blanche l’a compris.
Ce qui est plus singulier et plus remarquable est l’accueil qui a été fait au discours, que nous avons essayé de résumer par extraits divers et orientations différentes. Le discours n’impose rien et les commentateurs sont placés devant le choix difficiles d’avoir à commenter un catalogue d’idées reçues. L’absence d’unité du commentaire par absence de polarisation du discours en est la conséquence. Elle est, elle, une bonne mesure de l’état de l’Union, — et, aussi bien, de l’état des relations internationales par conséquent.
Par réverbération, par “effet de miroir” si l’on veut, cette dispersion, cette lassitude du commentaire qu’on peut distinguer dans cette diversité sans joie et sans passion donne une bonne mesure de l’état de l’administration avec ses ambitions magnifiques et manichéennes, et une bonne mesure, de façon plus générale, de l’état de l’américanisme. Cette perception elle-même révèle l’état de l’esprit de ceux qui soutiennent le système dans le chef (si l’on peut dire) de son actuel représentant (GW), par conformisme et par absence d’imagination pour envisager une autre voie (et aussi par le constat qu’ils font ou devinent qu’ils sont prisonniers du système et ne peuvent espérer trouver une autre voie). La platitude (nous aurions bien aimé qu’existât le mot “mornitude” pour caractériser la chose) de l’ensemble de la scène du jour reflète la fatigue où nous nous trouvons tous après près de cinq ans d’emportements radicaux, de promesses d’actions extraordinaires basées sur une fabulation extrémiste et hallucinée de la réalité du monde. En d’autres mots, ils (eux, vous, moi) sont harassés de la fatigue du virtualisme extrémiste qu’ils ont du suivre, commenter, parfois approuver et parfois même aimer.
Ainsi, tous les commentaires sont justes, tous méritent d’être retenus. Tous, ils témoignent d’une vérité du jour. Le plus pathétique est certainement celui du Washington Times qui nous décrit un GW implorant les Américains de toujours croire en l’Amérique. Le plus pertinent est sans doute celui qui nous annonce que la présidence GW Bush est morte, comme s’il s’agissait d’une année électorale, — ce qui est le cas, sauf qu’il s’agit d’une élection mid-term (encore trois années à tirer). Ce dernier cas, dont le surréalisme morne correspond à la situation du monde, nous conduit à la question : qu’est-ce que la “com” pourra mettre dans les trois prochains discours sur l’état de l’Union de GW ? Et il nous conduit encore plus loin, à cette autre question : si, au lieu d’annoncer la fin de l’administration GW, ce discours nous annonçait que cette administration, somme toute, n’a jamais existé ?
Pour le reste, confiance. Notre perception est que rien dans l’esprit divers de GW n’est réduit et que, sitôt sorti de ce pensum électoraliste que le parti républicain a exigé de lui pour tenter de minimiser la casse en novembre prochain, il reprendra le sentier de la guerre en regagnant sa bulle virtualiste d’où il ordonne le destin du monde. Effectivement, la situation nouvelle après la catastrophique année 2005 est que GW est plus sérieusement contrôlé par l’establishment aux grandes occasions convenues (le discours sur l’état de l’Union en est une) ; pour le reste, dans le courant des occasions fournies par la poursuite de la catastrophe générale, il saura s’échapper et se lancer dans quelques nouvelles lubies qui rempliront d’effroi ses tuteurs. Si l’on veut et comme l’on dit, le Président est un “électron libre”.
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