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51428 août 2004 — …En effet, grand émoi dans toutes les âmes bien-pensantes et journalistiques occidentales : figurez-vous qu’il y aurait un espion israélien au Pentagone et que c’est au point où le FBI, le puissant FBI, “mène l’enquête”. L’arrestation du personnage douteux pourrait être même une question de jours, disons la semaine prochaine, et l’on connaîtrait déjà son nom, et ce serait un nommé Larry Franklin.
Voici quelques mots du Post:
« The FBI is investigating a mid-level Pentagon official who specializes in Iranian affairs for allegedly passing classified information to Israel, and arrests in the case could come as early as next week, officials at the Pentagon and other government agencies said last night.
» The name of the person under investigation was not officially released, but two sources identified him as Larry Franklin. He was described as a desk officer in the Pentagon's Near East and South Asia Bureau, one of six regional policy sections. Franklin worked at the Defense Intelligence Agency before moving to the Pentagon's policy branch three years ago and is nearing retirement, the officials said. Franklin could not be located for comment last night.
» Defense Secretary Donald H. Rumsfeld and top Pentagon lawyers were told of the investigation some time ago. One government official familiar with the investigation said it is not yet clear whether the case will rise to the level of espionage or end up involving lesser charges such as improper disclosure or mishandling of classified information. The investigation has been underway for some months. Defense Secretary Donald H. Rumsfeld and top Pentagon lawyers were informed of it some time ago, officials said. But many other senior Pentagon officials expressed surprise at the news when it was first reported last night on CBS.
» Several Pentagon officials sought to play down Franklin's role in policymaking, saying that he was not in a position to have significant influence over U.S. policy. »
Quel émoi, — car quelle surprise plus grande pourrait nous amener le flot continu et vigilant des nouvelles du monde, par les temps qui courent ? C’est alors qu’il se confirme, une fois de plus, que nous vivons donc dans un monde caractérisé par la mascarade la plus complète.
Commençons par le plus simple : qu’est-ce que c’est qu’un “espion” ? Un individu, mâle ou femelle, discret ou pas, qui passe des informations à une “puissance étrangère” ; définition extensive qui témoigne de la diversité de la profession. Alors, à cet égard, des “espions” d’Israël à Washington, au Pentagone, etc, cela pullule. A peu près tous les membres de l’American Enterprise Institute, les divers néo-conservateurs en poste dans l’administration, de Wolfowitz à Libby, les associations liées aux lobbyies juifs de Washington, divers organismes récemment installés, comme l’OSP (Office of Special Plans) au sein du DoD, etc, peuvent concourir d’une façon ou l’autre à ce titre.
De toutes les façons, les témoignages abondent sur les connexions directes entre le Pentagone, et précisément l'OSP, et les Israéliens. Karen Kwiatkowski, lieutenant-colonel de l’USAF affectée à l’OSP jusqu’à sa démission en avril 2003, a témoigné de l’accès illimité dont disposaient de nombreux officiers israéliens vers différents organismes du Pentagone. Richard Perle, l’un des inspirateurs des néo-conservateurs et président du National Defense Board interne au Pentagone jusqu’au 25 mars 2003, n’a jamais caché ses liens avec Israël (Perle est actionnaire du Jerusalem Post). Et ainsi de suite… Les liens entre Israël et l’appareil washingtonien de la sécurité nationale sont un secret de polichinelle ; l’influence d’Israël et de Sharon dans l’actuelle offensive anti-terroriste, et celle dans la guerre contre l’Irak, sont du même tonneau. Mais le contraire est également vrai.
La question qui doit être posée dans ces rapports si imbriqués est, en effet, de savoir qui sert à qui dans cette étroite association Israël-Washington, qui est devenue ces vingt dernières années une association Israël-Pentagone. Israël a un gouvernement dominé par les militaires depuis plusieurs décennies, mais particulièrement depuis vingt ans. (Voir l’excellent article de Ran HaCohen sur le sujet : datant du 8 mai 2001, il est toujours d’actualité.) Ces militaires sont liés au Pentagone, particulièrement depuis 1984-86, lorsque, sur les pressions du Pentagone qui craignait de voir s’imposer un concurrent du F-16, les Israéliens abandonnèrent le développement de leur chasseur Lavi. Le futur ministre de la défense Moshe Arens, qui défendit le Lavi contre le ministre de la défense d’alors, le général Yitzhak Rabin, affirma qu’avec le Lavi, Israël avait abandonné tout espoir d’indépendance nationale au profit d’un alignement inconditionnel sur Washington/le Pentagone.
Depuis, on a pu voir que, si Israël dispose d’un appui logistique et politique sans limites de la part des USA, il sert également aux USA, et particulièrement au Pentagone et au complexe militaro-industriel pour faire l’expérimentation et la promotion des systèmes d’armes en même temps qu’il fournit aux militaires US une base stratégique avancée. L’aventure du missile Patriot est particulièrement révélatrice, lui qui fut déployé durant la guerre du Golfe et présenté comme une arme extraordinairement efficace alors que la réalité s’avéra à peu près totalement contraire. (Moshe Arens, alors ministre de la défense, dénonça le scandale du Patriot, affirmant que l’efficacité du missile dans la défense anti-SCUD de Jérusalem et d’Israël lors de la première guerre du Golfe avait été proche de 0%.) Finalement, les Américains ont réussi à faire totalement taire les critiques israéliennes anti-Patriot, et le missile dispose aujourd’hui de l’appui marketing et opérationnel des Israéliens. (La même question de savoir qui manipule qui, qui est l’“idiot utile” de l’autre, pourrait se poser aussi bien à propos des néo-conservateurs et de leur influence sur le système. Nous pensons même qu’elle se pose [qu’elle s’est posée] et que la réponse est loin d’être à l’avantage des néo-conservateurs.)
Bref, la question des liens entre Israël et Washington (le Pentagone) est plus complexe qu’elle n’en a l’air. La question de la pénétration de Washington par Israël ne fait par contre pas le moindre doute, — par nature même, pourrait-on dire. C’est à cette lumière que l’identification et la probable arrestation d’un “espion” d’Israël, — “espion” techniquement parlant, même si son rôle est bien moins important que n’importe quel agent d’influence israélien à Washington — deviennent plutôt de savoir quel rôle cet événement joue dans la bataille interne du pouvoir à Washington. En d’autres termes, — savoir si le FBI, dans cette affaire, ne cherche pas plutôt à attaquer le DoD, ou certains groupes à l’intérieur du DoD, notamment en mettant en cause les liens stratégiques avec Israël, bien plus que (ou en plus) de faire son travail de contre-espionnage.