Un état d’esprit bien emporté…

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Un état d’esprit bien emporté…


27 octobre 2005 — Une publication récente dans le New Yorker a revigoré l’idée d’une opposition ferme d’un clan républicain à la politique de l’administration GW Bush, au travers de déclarations de Brent Scowcroft. Ce qui fait l’originalité de la chose est bien sûr que Scowcroft est l’ancien conseiller de sécurité nationale de Bush-père, qu’il est resté très proche de Bush-père, et qu’il exprime cette opposition à GW Bush sans doute en bonne part au nom de Bush-père.

L’intérêt de l’intervention de Scowcroft est qu’elle confirme clairement l’un des aspects les plus intéressants et les plus inhabituels de l’administration GW Bush, de sa politique, de son orientation radicale, etc. : le rôle très grand de l’émotion, de l’emportement de la psychologie, voire de l’illusion qu’ont acceptée les psychologies de ces hommes au pouvoir, — tout cela, qui fait une bonne partie de ce que nous nommons virtualisme. Dans le même New Yorker, dans ses éditions du 31 octobre, Jeffrey Goldberg, qui a interviewé Scowcroft, dit ceci à son propos, qui nous suggère autant psychologiquement que politiquement pourquoi Scowcroft, — homme manifestement mesuré et modéré, — critique si furieusement le comportement des dirigeants de l’actuelle administration :

« [Scowcroft is]a man in control of his emotions, and so I’m not sure how angry he is, or how far he would be willing to go to show his anger. He is upset about the course of the war, of course, and I suppose he’s upset because his advice before the war was ignored. But I don’t think he takes these things personally. I think he doesn’t want to see America do damage to itself. And, according to what he told me, he thinks America has been damaged by the intervention in Iraq: he believes, he said, that the Iraq war has made our terrorism problem worse, not better. »

Dans ses récentes interventions, Scowcroft montre une extrême sensibilité à l’évolution des principaux dirigeants de l’administration GW, notamment ceux qu’il connaît bien pour avoir travaillé avec eux. Il fut directeur du NSC et conseiller du président pour les affaires de sécurité nationale en 1989-93, en même temps que Cheney était secrétaire à la défense. Il eut sous ses ordres, durant la même période, la jeune Condoleeza Rice, alors spécialiste des questions soviétiques.

Dans son article du 25 octobre sur l’intervention de Scowcroft, Jim Lobe rapporte les réactions de l’ancien directeur du NSC de Bush-père vis-à-vis de ces deux personnages, — mais ces deux personnages, Cheney et Rice, manifestement tenus comme exemplaires d’une évolution psychologique générale au sein de l’administration.

• A propos de Dick Cheney, Scowcroft parle d’un homme double, avec un Cheney d’avant (le 11 septembre) et un Cheney d’aujourd’hui : « Of Cheney, who worked closely with Scowcroft as secretary of defense under Bush I and White House chief of staff under Ford, Scowcroft expressed bewilderment. “The real anomaly in the administration is Cheney,” he said. ”I consider Cheney a good friend – I've known him for 30 years. But Dick Cheney I don't know anymore.”

» Cheney, he said, appeared to have been taken with a presentation by Bernard Lewis, an octogenarian Middle East scholar from Princeton University, who had been invited to the White House soon after the Sept. 11, 2001, attacks. According to Scowcroft, Lewis’ message was, “I believe that one of the things you've got to do to Arabs is hit them between the eyes with a big stick. They respect power.”

» “I don't think Cheney is a neocon, but allied to the core of neocons is that bunch who thought we made a mistake in the first Gulf War, that we should have finished the job,” Scowcroft told The New Yorker. “There was another bunch who were traumatized by 9/11, and who thought, ‘The world's going to hell and we've got to show we're not going to take this, and we've got to respond, and Afghanistan is okay, but it's not sufficient.’” »

• Pour ce qui concerne Condi Rice et, au-delà d’elle, George W. Bush, le fils de son ancien chef et ami Bush-père, Scowcroft montre une frustration assez semblable dans ses rapports avec eux, de même qu’on ressent cette frustration de eux-mêmes vis-à-vis de lui: « When a frustrated Scowcroft published his warning against invading Iraq in August 2002, Rice telephoned him and asked, according to another source, “How could you do this to us?” “What bothered Brent more than Condi yelling at him was the fact that here she is, the national security adviser, and she's not interested in hearing what a former national security adviser had to say,” according to the source.

» At the time, Scowcroft was serving as chair of the President's Foreign Intelligence Advisory Board (PFIAB), which should have been consulting regularly with the White House but was apparently kept in the dark about the preparations and rationale for going to war. Scowcroft was dropped from PFIAB earlier this year, and efforts by George H.W. Bush to arrange a meeting between his son and Scowcroft have been unavailing, according to The New Yorker account. »

Ces détails divers confirment une fois de plus l’interprétation de la très grande importance du facteur psychologique dans le comportement de l’administration GW Bush depuis l’attaque du 11 septembre 2001. D’autres éléments récents attestent cette dimension psychologique, que ce soit le comportement de GW Bush, décrit récemment (24 octobre) comme extrêmement frustré par les critiques diverses et les avatars de sa politique ; que ce soit un récent (22 octobre) témoignage de Hans Blix, affirmant qu’il n’avait jamais cru à la duplicité de l’équipe GW dans l’affaire des ADM de Saddam, qu’il pensait au contraire que les dirigeants américains étaient sincèrement persuadés de l’existence de ces armes. Il semble nettement inapproprié de soupçonner des démarches machiavéliques dans la plupart de ces attitudes, telles qu’elles sont décrites. Il y a une réelle sincérité dans l’erreur; le réel problème, bien entendu, c’est la persistance de l’erreur, le refus obstiné de la réalité, avec les deux hypothèses du virtualisme ou de la pathologie, et sans doute, plus probablement, ces deux hypothèses ajoutées selon l’idée que le virtualisme, à côté de l’arrangement automatique qu’il implique par la concentration d’effets puissants de communication, répond à une forme de pathologie qu’on pourrait qualifier de postmoderniste.

La question posée par les jugements et la frustration de Scowcroft est bien celle de savoir si lui (ou lui avec une autre équipe) aurait réagi différemment placé au centre du pouvoir. Ce n’est pas du tout assuré. Le système américaniste est formé de différents cercles concentriques. Chaque cercle, au plus l’on se rapproche du centre, subit une pression plus grande, jusqu’à la pression maximale exercée au centre. L’administration (le centre) subit la pression de toutes les bureaucraties avec toutes les interférences possibles allant dans le sens d’une dramatisation de la situation, de l’inflation voulue ou non des erreurs d’évaluation, etc. Peu après 9/11, tout le monde était d’accord avec GW, y compris Scowcroft, y compris Bush-père. Tout le monde était sous le choc (“traumatized by 9/11.” : la remarque de Scowcroft vaut pour tous, y compris lui-même). Les attitudes ont commencé à diverger au fil des mois, le centre restant sous la pression maximale tandis que les cercles périphériques regagnaient une certaine latitude de jugement.

Ce constat, s’il est juste, ne laisse guère d’espoir d’un changement avec une nouvelle équipe après celle de GW Bush. Le jugement doit être ferme mais nuancé : il ne s’agit pas au départ d’une politique délibérée ; il s’agit d’un système incroyablement puissant qui impose une politique, celle-ci étant ensuite poursuivie par les hommes qui sont incapables ou impuissants à dégager une alternative. Les hommes “sélectionnés” par le système étant en général d’une envergure assez faible, d’une psychologie assez impressionnable par l’apparat de la bureaucratie, d’une pensée très conformiste et ayant désappris à penser librement et selon le bon sens ou l’ignorant tout simplement, il est difficile d’avancer une hypothèse optimiste.