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770On trouve nombre d’articles relatant les conditions de la rencontre entre Barack Obama, dit BHO, et Benjamin Netanyahou, dit Bibi, à la Maison-Blanche, le 23 mars pour un déjeuner de travail commun qui n'eut finalement pas lieu. Les Israéliens étaient confiants pour un arrangement après d’excellents contacts au Congrès, ménagés par l’habituel AIPAC et le climat de pression et d’influence qu’on connaît. La réception qu’ils reçurent à la Maison-Blanche fut d’autant plus dévastatrice. Après avoir constaté le refus de Bibi de répondre à ses exigences, BHO abandonna le même Bibi à ses propres conseillers de l'équipe de la Maison-Blanche pour aller dîner avec sa femme et ses filles, lançant : «S’il y a du nouveau, qu’on me le fasse savoir». Le sentiment est unanime: jamais un chef de gouvernement ne fut traité d’une façon aussi humiliante… Le journal israélien Maariv a écrit: «There is no humiliation exercise that the Americans did not try on the prime minister and his entourage. Bibi received in the White House the treatment reserved for the president of Equatorial Guinea.»
On trouvera notamment deux récits de cette journée épique dans le Daily Telegraph du 26 mars 2010 et le Times du même 26 mars 2010, les deux journaux londoniens citant abondamment des journaux israéliens. Voici quelques extraits du Times.
«For a head of government to visit the White House and not pose for photographers is rare. For a key ally to be left to his own devices while the President withdraws to have dinner in private was, until this week, unheard of. Yet that is how Binyamin Netanyahu was treated by President Obama on Tuesday night, according to Israeli reports on a trip viewed in Jerusalem as a humiliation.
»After failing to extract a written promise of concessions on settlements, Mr Obama walked out of his meeting with Mr Netanyahu but invited him to stay at the White House, consult with advisers and “let me know if there is anything new”, a US congressman, who spoke to the Prime Minister, said.
»“It was awful,” the congressman said. One Israeli newspaper called the meeting “a hazing in stages”, poisoned by such mistrust that the Israeli delegation eventually left rather than risk being eavesdropped on a White House telephone line. Another said that the Prime Minister had received “the treatment reserved for the President of Equatorial Guinea”.
»Left to talk among themselves Mr Netanyahu and his aides retreated to the Roosevelt Room. He spent a further half-hour with Mr Obama and extended his stay for a day of emergency talks to try to restart peace negotiations. However, he left last night with no official statement from either side. He returned to Israel yesterday isolated after what Israeli media have called a White House ambush for which he is largely to blame.»
@PAYANT Tout cela ne fait pas une politique certes. Cette humeur épouvantable, cette démarche délibérée d’humiliation du Premier ministre israélien, ces circonstances extraordinaires pour les habitudes des relations diplomatiques ne déterminent pas à elles seules les conditions d’un bouleversement politique. Pourtant, tout cela se place dans un climat extraordinairement dégradé entre les deux pays, où les caractères des personnages, – celui de Netanyahou et celui d’Obama en réaction, – ont sans aucun doute leur rôle à jouer. Le psychodrame du dîner à la Maison-Blanche, qui fait penser à la façon dont les Soviétiques traitaient parfois leurs alliés d’Europe de l’Est dans des conférences de crise (voir les Tchécoslovaques face aux Russes à Karlo-Vivary en août 1968, avant l’invasion de la Tchécoslovaquie) ne contredit pas du tout l’allure que prend la crise entre Israël et les USA, il la confirme, l’accélère, la renforce.
On ne dira pas qu’il y a volonté de rupture d’une politique qui fait partie du système (la politique US de soutien à Israël). Dans ce sens, le comportement de BHO n’est pas antisystème, il ne constitue pas ce qui pourrait être identifié comme une amorce de révolte du président US contre le système (“American Gorbatchev”). Au contraire, son comportement, même s’il est jugé un peu outrancier, s’inscrit dans une position d’affirmation hégémonique des USA, du “système de l’américanisme”, une position impérative d’imposer aux autres, surtout aux alliés les plus proches, une conformation à “la ligne du Parti”. Simplement, comme on le sait, le système a déterminé que la politique israélienne et extrémiste de Bibi ne correspond plus aux intérêts du “centre”, du meneur du jeu, donc il doit y avoir correction du côté israélien.
Cette correction ne vient pas parce que les Israéliens sont ce qu’ils sont. Nourris, jusqu’à y croire absolument, de la narrative héroïque et absolument obsessionnelle du “pauvre petit pays” menacé par des ennemis sans nombre qui l’encerclent, narrative d’ailleurs en général approuvée à 100% par leurs amis de Washington selon les consignes de l’AIPAC, ils agissent en fonction de cette vision complètement déformée en suivant une politique absolument maximaliste. Mais voilà que le “centre” rechigne, et rechigne diablement, pour les raisons qu’on voit et qu’on détaille depuis plusieurs jours et qui sont en train d’entrer dans les conceptions politiques du système.
Du coup, la narrative passe au second plan et le “centre” exige que l’on rentre dans les rangs. Ce n’est pas le genre d’une personnalité aussi brutale que celle de Netanyahou, entouré d’une équipe aussi extrémiste sinon plus extrémiste que lui. Ce n’est pas le genre de BHO, qui s’est coulé parfaitement dans cette position de représentant suprême du système, d’accepter qu’on grogne dans les rangs après les avertissements de cesser de grogner, et il le fait savoir avec d’autant plus de brutalité qu’il a la certitude d’être parfaitement à sa place, dans son droit, et donc justifié d’user de toutes les prérogatives, jusqu’aux plus brutales effectivement, de son autorité.
Si l’incident de la Maison-Blanche était isolé et un peu contraire au climat général, on dirait qu’il n’aurait aucune conséquence. Mais c’est le contraire. Il marque le paroxysme spectaculaire d’un changement d’humeur du système washingtonien à l’égard d’Israël. On ne dira pas que BHO l’a calculé délibérément, car le président US semble doté d’un solide tempérament qui, derrière son calme et son détachement apparents, est capable de faire suivre une attitude brutale et comminatoire qui n’a pas besoin d’être calculée. Quoi qu’il en soit, et à cause du contexte, l’incident a une réelle importance parce qu’il accélère la dégradation des relations USA-Israël en y introduisant un facteur personnel qui, dans ce cas, prend une importance très grande. Si BHO ne veut plus parler à Bibi, si Bibi hait BHO d’une haine corse (pour rester dans les normes acceptables de l’identification des choses), c’est un facteur extrêmement important dans une situation qui est plutôt celle de l’affrontement entre les deux structures bureaucratiques, de sécurité nationale et autres des deux alliés. Dans ce cas, si effectivement un tel incident ne fait pas à lui seul une politique, il peut jouer un rôle puissant de renforcement explosif de cette politique.
Comme la situation est très tendue; comme elle est déterminée par des exigences de l’un (les USA) que l’autre ne veut pas rencontrer; comme l’honneur du statut de superpuissance irrésistible des USA (du système) est engagé; comme la réaction d’Israël est de se durcir et de se réunir autour de Netanyahou au nom des principes qui sont eux parfaitement honorables de la souveraineté nationale, – nous voilà dans des conditions d’incompréhension et d’antagonisme parfaitement faites pour aggraver les conditions de la crise. Pire encore, – ou mieux selon ce qu’on en juge, – il s’agit de conditions qui peuvent devenir très vite incontrôlables par les deux acteurs. Il s’agit d’une occurrence où les circonstances, les humeurs, les réactions inattendues des uns et des autres, semblent créer des conditions où une dynamique politique, qui serait dans ce cas historique, pourrait dépasser les acteurs de la crise et les structures habituelles de leurs relations.
D’une façon générale, la relations extraordinaire de Washington et de Tel-Aviv, artificielle, pleine de situations souvent obscènes et grotesques, fondamentalement fabriquée pour les intérêts des uns et des autres, est contrôlée avec la plus extrême minutie par les deux acteurs. Cela s’impose, tant cette relation est contre nature, du point de vue d’une politique naturelle et juste. Aussi cette relation est-elle extraordinairement vulnérable à la possibilité d’une perte de contrôle d’elle-même par ses deux acteurs, et alors ouverte à des prolongements qui peuvent ressembler à une marche vers l’inconnu. Nous sommes à un moment où une telle situation est proche d’exister, avec le risque qu’elle se développe soudain.
Mis en ligne le 26 mars 2010 à 07H36
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