Un G8 peut en cacher un autre

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Un G8 peut en cacher un autre


10 juillet 2008 — Grande interrogation unanime: à quoi sert le G-8? D’abord, le G-8 existe encore, ce qui est un signe positif (un “signal fort”, explique le conseiller en communication). Ensuite, il est une occasion (de rencontre, de commentaire, de critique, de perception et de mesure du vide). Enfin, comme toute occasion, il fait le larron et nous pouvons constater, sans surprise excessive, que le roi est nu.

Car l’on a pu mesurer, au G-8 de 2008, en terre nippone, une affirmation de plus en plus institutionnalisée des impuissances. Certes, il est avéré aujourd’hui que la direction politique du monde se caractérise par la simple collection des impuissances devant les crises qui secouent le système. Les personnages qui peuplent cette direction politique sont à mesure, une collection incertaine marquée par la déroute politique comme façon d’être, avec une guérilla politicienne et de communication perpétuelle pour tenir. Le 7 juillet dans The Guardian, Max Hastings en avait tracé la galerie:

«President Bush, leader of the greatest nation on earth, is discredited and almost time-expired. Gordon Brown leads a government most of whose own members want him to disappear into a hole. Silvio Berlusconi presides over a gangster culture that renders it impossible for Italy to present a serious face to the world. Nicolas Sarkozy should enjoy the prestige of a French president secure in office until 2012, but he has grievously injured his own power base by his first-year antics. Russia's new president, Dmitry Medvedev, may well add up to nothing, in the absence of Vladimir Putin to tell him what to think.»

Prenons le cas de la crise favorite des commentateurs, celle qui nous vaut le plus de prévisions dans tous les sens, d’affirmations tonitruantes et de rodomontades assurées et contradictoire, – la crise économique multiple, qui va de la crise financière à la situation des USA, au prix du pétrole et à la crise alimentaire. Le G8 n’a fait que confirmer l’observation avisée du Times du 7 juillet, qu’on se fait un plaisir de répéter: «The task of overcoming these complex problems is beyond the capacity of even the G8, but the leaders will express their concern about the situation and set out some guiding principles in an effort to calm jittery nerves.»

La seule tentative réelle de sauvetage du G8, et du système par conséquent, a été machinée avec le raisonnement selon lequel les huit du G8 ne représentent plus assez bien les puissances du monde pour pouvoir intervenir efficacement sur le sort de ce monde. (Ce qui signifierait qu’avec une bonne représentation, il pourrait intervenir efficacement. Clin d'oeil entendu.) La consigne est bien passée, du Financial Times («[T]he G8 is not master of its own destiny but is being buffeted by forces and policies from elsewhere. While the G8 accounts for almost half the world’s economic output, developing and emerging economies produce 70 percent of economic growth. Their dynamism outweighs the G8’s size. And by dint of its 10 percent growth rates, China alone contributes as much to the world’s economic growth every year as the US.»), – au Figaro qui, sous la forme de l’éditorial de service, nous offre un constat exaltant d’originalité:

«…Le G8 n'offre plus le format approprié pour traiter de ces questions. Né dans les années 1970, progressivement élargi pour inclure la Russie, le forum apparaît comme un club de riches, en perte de vitesse dans un monde où les puissances émergentes ne se laissent pas faire.

»Avant que sa légitimité ne soit battue en brèche, il est souhaitable que le G8 s'ouvre aux grands pays d'avenir que sont la Chine, l'Inde, le Brésil, le Mexique et l'Afrique du Sud.»

Cet aimable bavardage, élégant avec le FT, laborieux et un tantinet sarkozo-stalinien pour l’autre, ne doit pas nous tromper trop longtemps. On ne voit guère ce qu’un G13, avec Chine, Inde, Brésil, Mexique et Afrique du Sud montés à bord, pourrait nous offrir de plus en matière de “volonté politique”. Nous avons offert notre système au monde entier, clef en main avec le mode d’emploi complet, c’est-à-dire impuissance politique comprise. Les cinq absents ont l’air aujourd’hui fringants parce qu’ils sont à la fois contestataires et irresponsables; lorsqu’il leur faudra prendre des décisions à l’intérieur d’un G8 devenu G13, on aura le même refrain qu’avec les autres, en pire, – comme dans l’UE ou dans l’OTAN, passant à 26-27 et accumulant les impuissances et les paralysies. La curieuse croyance au “plus on est de fous” devrait permettre de prolonger la survie artificielle du système de quelques saisons en faisant croire à la régénération.

Alors, à quoi sert le G8, alias G13, en attendant G180 et des poussières, – s’il sert à quelque chose?

Le climat au coeur

Pour répondre à la question précédente, il faut utiliser une autre approche d’évaluation que celle qui est normalement suivie. L’effet du G8, son “utilité” ne peuvent plus être mesurés en termes de succès, de décisions prises et quelles décisions prises, etc. Il est avéré que l’impuissance du pouvoir politique ne peut plus, par re-définition désormais acquise, rien produire dans ce domaine. Le G8 a confirmé cette situation.

Mais le G8 garde son importance médiatique considérable, qui impressionne les bureaucraties et tous les réseaux qui confortent et soutiennent les pouvoirs. Le sommet a donc des effets effectifs, – mais lesquels, puisqu’il affiche une totale impuissance politique? Le sommet n’existe pas en tant qu’acte de décision ou décision d’orientation politico-économiques mais il existe dans ses effets de communication, dans un aspect qui est sans aucune planification ni intention à cet égard. Il faut utiliser une autre forme d’évaluation et envisager les effets indirects, tangentiels, irrationnels, voire négatifs par rapport aux attentes qu’on en a, voire des effets indépendants et/ou inattendus, pour envisager son éventuelle véritable “importance” en termes de conséquences qui pourraient ensuite acquérir, en se développant, des effets politiques complètement imprévus.

De ce point de vue, le G8 japonais a introduit une grande nouveauté et une nouveauté d’importance. Il a installé la crise climatique au premier rang des préoccupations du système. Cette crise a dominé le sommet, notamment par les discussions, désaccords, etc., au contraire, par exemple, de la crise financière pour laquelle l’impuissance générale a aussitôt été actée.

La crise climatique est différente. Bien qu’on doive émettre certains doutes sérieux sur les effets de l’application des mesures générales contre le réchauffement climatique si celles-ci étaient finalement décidées, il reste que cette crise s’adresse directement aux pouvoirs politiques. Eux seuls ont la capacité juridique d’imposer des mesures contraignantes et il n’existe aucun frein idéologique (au contraire du domaine financier, par exemple) pour rendre difficile un débat à visage découvert. Bien entendu, ils ne sont pas parvenus à des mesures effectives à ce G8 mais le débat a été très intense et à visage découvert. Cela a permis d’introduire la notion d’urgence et la notion de catastrophe dans la perception de cette crise. D’une façon plus générale, l’ampleur de l’enjeu commence à s'enraciner et à influencer les psychologies, essentiellement cette idée que la crise menace directement le système plus qu’aucune autre. Effectivement, la crise climatique est la crise caractéristique de la montée aux extrêmes: ou elle n’existe pas, ou elle existe et elle est nécessairement “la mère de toutes les crises”. Il se trouve qu’elle existe, le G8 l'a confirmé après l'avoir rencontrée.

Ainsi sont mises en place les pressions psychologiques systématiques qui vont conduire à percevoir la dimension eschatologique de la crise. Encore une fois, nous n’envisageons pas ici le problème en termes politiques de décision, puisqu’on a vu que c’est l’impuissance de ce côté. Nous envisageons le problème évoluant de l’extérieur; comment la prise de conscience de la crise, hors des canaux de décision et du schéma politique courant, pourrait installer une dynamique de pression extérieure décisive sur les pouvoirs politiques, dynamique ainsi alimentée par eux-mêmes, qui conduirait éventuellement à des changements. Nous n’avancerons certainement aucune hypothèse sur la sorte de changement que cette éventuelle prise de conscience amènerait. Littéralement, cette crise eschatologique prend une voie correspondant à son caractère pour s’imposer aux pouvoirs politiques; puisque l’eschatologie est un caractère qui, par définition, échappe au contrôle humain et à la prévision humaine, il est inutile de s’essayer à l’exercice de la prévision.

Il s’agit simplement de prendre acte que la crise climatique s’impose comme priorité dans la perception contrainte qu’a le pouvoir politique du paysage de crise qu’est le monde aujourd’hui. En soi, c’est un événement important et positif parce que la crise climatique est sans aucun doute la crise fondamentale et qu'il importe de le savoir; pour autant, le “mérite” de l’événement ne revient à personne, et certainement pas au pouvoir politique qui a confirmé son impuissance; il n’est d’ailleurs pas question de “mérite”, après tout, mais de poids et de nécessité de l’événement fondamental qu’est la crise climatique.

Par conséquent, ce G8, par ailleurs complètement inutile, a eu son utilité.