Un Japon nucléaire ?

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Wayne Madsen, qui dispose en général de bonnes sources d’information, nous annonce que divers dirigeants japonais sont partisans d’un armement nucléaire de ce pays, ou examine cette option. (Dans OnLine Journal, ce 8 octobre 2010.) Les causes de cette orientation ont à voir avec ce que le Japon perçoit des dangers et instabilités régionales (Corée du Nord, Russie, Chine) d’une part, avec la confiance rapidement décroissante des capacités et de la volonté US de jouer un rôle central pour la sécurité de la région, impliquant la sécurité du Japon, d'autre part.

Madsen explique comment les divers obstacles, institutionnels et techniques, peuvent être aisément franchis par le Japon pour arriver très vite à cette situation de puissance nucléaire. Puis, son explication centrale.

«With the U.S. increasingly seen by Japanese military and foreign policy policy-makers as an overextended and failing superpower, some elements in the Japanese government and think tanks feel that the only way Japan can be self-assured over its defense is for the country to amend its constitution and laws to allow for the introduction of nuclear weapons for the Japanese Self-Defense Force.

»The recent demotion of Japan below China to a number three world economic power ranking also has some Japanese convinced that Japan must look beyond its security alliance with the United States and provide for its own defense, which in today’s geo-political climate necessitates the acquisition of nuclear weapons.

»WMR has learned from Japanese sources that when a green light is given by the government, it will take only three months for Japan to develop and deploy nuclear warheads for its military forces. Japan maintains an independent uranium enrichment capability and is able to use its own rocket technology to develop an intercontinental ballistic missile delivery system. There is some speculation that since Japan already possesses nuclear weapons designs details, it merely has to jump to production in order to field weapons. Japan is already the world’s third largest nuclear power producer after the United States and France, both of which are nuclear weaponry powers.

»The recent skirmish between Japanese Coast Guard vessels and a Chinese fishing boat in disputed Senkaku waters and a firm Russian rejection of negotiations with Japan over the future of the disputed southern Kurils as a “dead end,” has renewed interest by Tokyo in a more independent Japanese military policy, one that sees the possession of an independent Japanese nuclear force as a definite option. Adding to Japanese frustration is the refusal of the United States to vacate its unpopular military presence on Okinawa, a factor that helped bring down the government of the former prime minister, Yukio Hatoyama.»

Madsen observe la possibilité d’un “effet domino” dans la région, ajoutant quelques supputations intéressantes sur la situation de certains dans la région. (Notamment, la possibilité qu’il a existé ou existe une aide nucléaire israélienne à la Corée du Nord, ou l’acquisition d’armes nucléaires sud-africaines en 1994 par Taïwan…)

«If Japan opts to leave the NPT regime and obtain nuclear weapons there will be a domino effect in Asia. It is well known that while the world was concentrating on North Korea’s nuclear weapons program, South Korea quietly embarked on its own secret nuclear weapons acquisition program. In 2004, it was revealed that Seoul had maintained a secret uranium enrichment production program at South Korean research facilities since the early 1980s and that the program involved enriching uranium and producing plutonium. Canada investigated charges that one of its Candu nuclear reactors it sold to South Korea was involved in the clandestine program.

»It is also believed that Taiwan acquired nuclear weapons as the result of a secret alliance between apartheid South Africa, Israel, and Taiwan. South Africa gave up its nuclear weapons when it achieved majority black rule in 1994. There are also reports of secret Israeli involvement with North Korea’s nuclear weapons program. Burma is also suspected of maintaining a clandestine nuclear weapons acquisition program.»

Notre commentaire

@PAYANT Ces informations de Wayne Madsen confirment, dans leur esprit, une évolution en cours au Japon, depuis l’épisode des bases d’Okinawa d’il y a un an, lequel s’est conclu par des remous politiques au Japon et par une capitulation du Japon contre la puissance d’influence US, sans bien entendu que rien du fond de l’affaire ne soit résolu. La solution à laquelle est contrainte le Japon, plutôt qu’il ne la choisit, serait alors, selon l'hypothèse considérée, de chercher une sortie “par le haut” de cette crise latente avec les USA, – car le fond du problème, c’est bien une crise avec les USA. Les Japonais s’appuient sur des arguments de sécurité que les Américains ne peuvent démentir puisqu’ils en sont eux-mêmes la source, pour éventuellement s’orienter vers un renforcement de leur puissance que les Américains eux-mêmes recommandent. Les USA n’ont pas caché, ces dernières années, tout en réaffirmant leur droit à leurs bases “d’occupation” au Japon, qu’ils se voyaient forcés à un certain désengagement à cause de leurs moyens de plus en plus limités. D’où le repli sur Guam d’au moins un escadron de F-16, et sans doute deux, basés au Japon, ainsi que d’une brigade de Marines.

Il y a donc un aspect extrêmement ambigu dans cette démarche possible du Japon vers l’armement nucléaire. D’une part, puisqu’il s’agit d’un renforcement de la puissance du Japon, les USA soutiennent implicitement cet effort parce qu’ils demandent à tous leurs alliés de renforcer leur puissance militaire pour suppléer à leurs propres défaillances dues à une situation budgétaire catastrophique. Pour autant, bien entendu, les USA entendent garder toutes leurs prérogatives au Japon. D’autre part, ce renforcement, s’il porte effectivement sur un armement nucléaire, aurait des conséquences considérables, au niveau de la sécurité dans ses conceptions les plus hautes, et dans plusieurs domaines, dont aucune n’est favorable aux USA.

• Un Japon nucléaire, pourrait penser le Pentagone, ce serait l’Ouest, et donc les USA, renforcés dans cette zone. C’est loin d’être nécessairement le cas, bien entendu en raison de l’aspect très particulier et spécifique de l’armement nucléaire. Plus que renforcer un côté dans ce qui est une situation que les USA perçoivent, selon un penchant systématique, comme potentiellement antagoniste dans la zone, il pourrait s’agir au contraire d’un soudain rééquilibrage des forces dans cette zone, avec stabilisation. Incontestable puissance de la zone, le Japon devenant nucléaire passe d’une position déstabilisée (en raison de son actuelle faiblesse militaire par rapport à sa puissance économique et intrinsèque) à une position stabilisatrice, en équilibrant les autres puissances nucléaires de cette même zone. C’est, bien entendu, la caractéristique spécifique du nucléaire, qui reste une arme “à part”, plus remarquable par ses effets dans une situation de non-emploi que dans une situation hautement hypothétique d’emploi. Le Japon entrant dans la catégorie d’une puissance dissuasive établit une situation de stabilité par le jeu des dissuasions complémentaires des puissances nucléaires. C’est l’effet inverse de celui que désire de façon très contradictoire le Pentagone : vouloir un Japon plus puissant pour une meilleure sécurité, mais vouloir cette sécurité sans que pourtant s’établisse un équilibre régional qui conduirait à repousser une puissance extérieure (les USA) perçue alors comme perturbatrice en introduisant un facteur extérieur de déstabilisation… Le Pentagone n’a jamais vu la contradiction de ses efforts constants, demandant le renforcement de la puissance de ses alliés et ne réalisant pas que ce renforcement, surtout s’il est radical (nucléaire), crée une situation de stabilisation locale qui tend à l’exclure de la région. (Mais, certes, comme tout système américaniste, le Pentagone est incapable de penser en termes “régionaux” parce qu’une situation régionale implique l’exclusion de l’élément US ; il ne perçoit qu’une situation générale, globale, où il est partout nécessaire, où partout sa présence est légitime, même avec des alliés surarmés, parce que lui seul peut assurer la sécurité, – cela conçu comme un axiome qui n’a nul besoin d’être démontré par définition.)

• Il se déduit de ce qui précède que l’hypothèse d’un Japon devenant nucléaire entraînerait presque automatiquement, non pas une “défaite” ou un recul des autres puissances (nucléaires) de la zone, mais bien au contraire, une situation complètement changée où le Japon pourrait absolument envisager de se passer de la garantie de sécurité des USA. Les Japonais n’auraient alors plus aucun frein pour des exigences radicales de révision, voire d’abandon du traité de sécurité qui les lie aux USA (notamment avec le problème des bases). Il n’y aurait plus grand’chose qui pousserait les grandes puissances de la zone, le Japon inclus, à ne pas considérer la présence de la VIIème Flotte dans cette zone comme un anachronisme insupportable, et une présence déstabilisatrice, sinon hostile. (La même chose, du reste, pour la présence US en Corée du Sud, qui se trouverait ouverte à la même logique d’exclusion.)

• Un troisième facteur serait au niveau des conséquences internationales générales. Le cas iranien devrait alors être considéré d’une façon complètement différente, toujours dans la même optique de voir dans l’évolution vers le nucléaire un moyen de stabilisation et de neutralisation par les dissuasions réciproques de zones stratégiques régionales. Cette hypothèse d’un tel ensemble évolutif mettrait en question toute la logique de la non-prolifération nucléaire, et, sans aucun doute, à cause du comportement des puissances nucléaires, et les USA comme la première d’entre elles, d’avoir usé de leur statut de puissance nucléaire pour obtenir des avantages divers de puissances importantes mais non-nucléaire. L’affirmation que cette évolution rendrait le monde beaucoup plus dangereux est loin d’être évidente, et moins encore prouvée. Dans le monde aujourd’hui, on ne voit guère qu’une ou deux puissances (les USA et Israël) à envisager l’arme nucléaire comme un moyen de coercition sur d’autres puissances (jusqu'à l'hypothèse de son emploi), donc un moyen déstabilisant, – et ces deux pays sont impunément nucléaires, et reconnus comme tels. Les autres puissances nucléaires le sont, jusqu’ici, avec beaucoup plus de retenue, et selon des conceptions dissuasives qui nourrissent l’équilibre plus que le déséquilibre, et il n’y aucune raison de penser que de nouvelles puissance nucléaires n’accentueraient pas cette tendance (il est connu que la possession du nucléaire, sauf pour les USA et Israël, “responsabilise” son nouveau possesseur en le rassurant sur sa sécurité et en lui faisant mesurer les capacités destructrices épouvantables d’en engagement nucléaire). Bien entendu, ces deux pays (USA et Israël), pour des raisons différentes, sont les deux à ne raisonner quasiment qu’en termes de force, selon l’esprit de l’“idéal de la puissance”, et ceci explique cela.

Ces logiques répondent d’une façon indirecte, au travers des complications de concepts de dissuasion et d’équilibre radical que fournit la puissance nucléaire, au processus d’effondrement des capacités militaires US. Ce qui est particulièrement impressionnant dans les informations que donne Wayne Madsen, c’est la rapidité avec laquelle le Japon pourrait passer au stade effectif d’une puissance nucléaire militaire. Cela correspond à la rapidité des évolutions des crises diverses, selon des événements plutôt suscités par les forces en action, plus que calculés et contrôlés par des conceptions stratégiques. L’Histoire, plus que l’homme, fait sentir son poids.


Mis en ligne le 11 octobre 2010 à 07H06

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