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6072En 1883, le capitaine Hubert Lyautey, royaliste légitimiste fit un voyage à Rome pour y rencontrer le Pape Léon XIII. Il avait préalablement visité le Comte de Chambord exilé en Autriche, espoir d’une Restauration de la monarchie des Capets pour tous les catholiques de France. Il revint bouleversé de son audience au Vatican. Léon XIII s’orientait vers la République pour la France. Lyautey écrivit à ses amis que le ‘‘Romain est très arrangeur. Il n’a pas les principes tranchants du Français qui créent des fossés infranchissables entre royalistes et républicains. C’est le triomphe de la combinazione. Un mot qui a réponse à tout.’’ Lyautey servira la Troisième République en combinant une foi rongée par le scepticisme, un attrait pour l’action militaire et l’architecture urbaine. La cathédrale de Rabat qu’il y fit construire a deux tours en forme de minarets.
Nul ne peut prétendre et surtout pas lui-même qu’il ne savait pas. Gouverneur de la Banque Centrale d’Italie de 2006 à 2011, Mario Draghi ne pouvait ignorer la situation des banques italiennes détentrices de créances douteuses à hauteur de 360 milliards d’euros, près de 22% de l’ensemble du secteur bancaire. Elles constituent un bon tiers des 900 milliards des mauvaises créances enregistrées dans les livres de l’union européennes. En 2008, les crédits douteux ne représentaient que 82 milliards, soit seulement près de 6%. Ils ont cru quasi linéairement sans discontinuer depuis lors. Draghi ne peut d’autant pas se prévaloir d’une quelconque naïveté qu’il a été impliqué dans le maquillage des comptes de l’État grec pour les rendre acceptables au regard des critères d’adhésion à l’Union européenne lorsqu’il officiait chez Goldman Sachs. (*)
Après la crise mondialisée des subprime de 2007, le système bancaire italien n’a pas beaucoup bénéficié du bail-out, le financement par l’État de ses pertes. En effet, en dehors d’Unicrédit dont la dimension en cas de faillite pourrait entraîner un problème systémique, la structure bancaire en Italie est faite d’un grand nombres d’unités régionales, plus de 650. Les prêts qu’elles ont accordés sans évaluer les risques de perte et la chute de valeur des titres détenus comme actifs ne mettent en péril qu‘elles-mêmes. Plus exactement, si elles venaient à sombrer, elles ruineraient les épargnants dont les dépôts s’évaporeraient ou ceux parmi eux qui l’ont transformée par l’achat d’obligations bancaires sur les conseils de leur banquier qui s’effondreraient. 50% des dettes bancaires transalpines sont aux mains d’actionnaires privés.
Ce quadruplement des créances ‘non performantes’ pour dire pudiquement leur nature insolvable ou frauduleuse est essentiellement dû à une croissance trop faible depuis les débuts des années 2000. Le décrochage est lié à un vieillissement de la population et une faible fécondité mais aussi à une absence de gains de productivitéqui ne manque pas de surprendre les analystes. Inégalités régionales, faiblesse de la recherche et du développement, formation professionnelle insuffisante ou inadéquate, tissu économique émietté en petites et moyennes entreprises ne semblent pas cependant suffire à l’expliquer. Gigantisme monstrueux d’une économie informelle, 7 points du PIB seraient liés à l’activité de la mafia et pas toujours bien comptabilisée.
Depuis son entrée dans la zone euro en 1999, le PIB italienn’a jamais connu de croissance réelle annuelle supérieure à 0,4%, quant au PIB per capita, il ne s’est rehaussé que de 0,1% par an. La crise de 2008 a frappé plus durement l’Italie qu’un pays équivalent en population et niveau industriel comme la France. Les deux plans de relance successifs pour contrecarrer la récession effective, en supprimant les impôts sur les sociétés et en taxant davantage les revenus du travail ont fragilisé le système bancaire en réduisant l’épargne. Le chômage s’est amplifié, il est passé de 20% à 40% pour les jeunes de 15-24 ans. Un jeune sur deux au chômage, le système libéral capitaliste a sacrifié beaucoup d’humains pour se maintenir, en dehors de ses guerres visibles.
Selon les chiffres officiels, le PIB est encore inférieur de 7% par rapport à son niveau de 2008. Fin 2017, la production industriellereste inférieure de 20% par rapport à son niveau d’avant la crise.
Le défaut entêté de croissance nourrit la part des créances ‘douteuses’ italiennes. En particulier, les prêts hypothécaires distribués abondamment tout au long de la décennie écoulée sont difficiles ou impossibles à rembourser en raison de l’insuffisance des salaires, du chômage grimpant, des coupes dans les budgets de solidarité sociale qui est déchargée sur les familles et d’une fiscalité alourdie pesant sur les ménages.
Les réformes de Matteo Renzi ont encore baissé les impôts sur les sociétés et augmenté la TVA à 22%, le taux moyen d’imposition sur le revenu personnel a augmenté de 1,5 point entre 2013 et 2016. De plus, en raison de l’évolution du commerce mondial et de la hausse du prix du pétrole, il est prévisible selon l’Istat (l’institut des statistiques italien) que la croissance du PIB en 2018 ne sera de 1,2% versus les 1,7% officiels enregistrés en 2017.
Eu égard à cette catastrophe sociale, on ne laissera dire à personne que la ‘’décroissance’’ préconisée par certains escro-écologistes est une solution à elle seule aux mots de la planète.
Le chiffre du rapport de la dette souveraine sur le PIB est la troisième constante qui caractérise l’économie italienne. C’est en 2008, sous le gouvernement de Berlusconi qu’il passe la barre des 100% pour atteindre le niveau de 132% en 2016, le deuxième en Europe après celui de la Grèce qui est autour de 180% depuis 2013. L’effet synergique de l’augmentation de la dette souveraine en rapport avec la contraction réelle du PIB, sa stagnation ou sa croissance insuffisante est bien connu depuis la crise grecque, il implique une réduction mécanique des ressources fiscales de l’État.
La recette partout imposée par les directives issues de l’orthodoxie libérale en faveur du capital sont toujours une réduction des dépenses publiques avec l’encouragement pour la privatisation des biens publics source d’un apport très éphémère. Cette pratique assez extensive d’une interprétation très épicière des comptes de l’État où sont confondues les dépenses affectées au fonctionnement, non productives directement mais indispensables, et les dépenses d’investissement pour réduire la dette ne parvient pas à remettre sur la voie de la croissance le pays. Une collecte inefficace de l’impôt prive l’État de 40% des impôts potentiels par manque de fonctionnaires compétents (et dévoués), ceci illustre cette aberration d’une réduction indiscriminée de ses dépenses.
La dette souveraine est d’autant plus handicapante que les taux consentis par les marchés financiers à l’Etat se tendent. Le ‘’spread’’est de 340en octobre 2018 comparé au taux auquel l’Allemagne emprunte pour des obligations qui arrivent à maturité à 10 ans. Des trois variables qui composent ce spread, il semble que l’aversion internationale au risque prime, ce quelque chose d’indéfinissable rigoureusement et qui ressort des mouvements d’humeur des investisseurs modulés par les décisions des directions des hautes banques étasuniennes. La dette souveraine, dédaignée, moins prisée est alors plus risquée et elle devient plus rentable pour les investisseurs. Elle fragilise en revanche la situation des banques italiennes dont elle est la part la plus importante de leurs fonds propres (375 milliards d’euros). Moins enclines à distribuer des crédits aux entreprises comme aux privés, elles freinent les possibilités de croissance.
Plusieurs cercles vicieux se sont institués qui font stagner le PIB et augmenter la dette souveraine. Ils rendent plus vulnérables les banques, nœud de passage obligé pour toute activité économique. Paradoxalement, les banques italiennes n’ont pas été concernées par l’effondrement du marché hypothécaire américain à haut risque, leur taille réduite ne les incitait pas à spéculer sur ce type de produits. Elles n’ont pas été renflouées massivement par de l’argent public comme les ‘too big to fail’.
La règle instituée par l’UE interdit désormais l’intervention des États pour injecter des fonds publics pour leur sauvetage même si la BCE s’est montrée plus souple dans son application vis-à-vis de l’Italie par rapport à l’Espagne en 2016 quand il s’était agi du sauvetage de la troisième banque du pays, la Banca Monte del Paschi di Siena.
La structure de l’économie italienne, troisième par son importance au sein de l’UE, repose surtout sur le dynamisme des PME avec 70% du PIB fondé sur le secteur tertiaire et le tourisme (50 millions de touristes et cinquième pays le plus visité au monde). Elle n’a pas résisté à l’adoption de l’euro en 2000. Le pays s’est enfoncé depuis lors dans l’appauvrissement.
Cette détérioration continue qui affecte une jeunesse plus que tout autre segment de la population par un chômage massif a permis l’arrivée au pouvoir d’une coalition hétéroclite et ‘eurosceptique’ .
Elle défie les règles de la Commission économique et financière de l’UE car elle tient à appliquer un programme de relance quitte à agrandir la dette souveraine actuellement de 2300 milliards d’euros. On estime que le coût des réformes promises, baisse de l’impôt sur le revenu, revenu de citoyenneté universel et réformes des retraites ferait grimper le déficit public à 5,5% contre les 1,3% prévus en leur absence. De leur côté, les responsables de la Ligue du Nord et de M5S affirment qu’il restera en dessous des 3% prescrits comme seuil par le pacte de stabilité.
Les institutions européennes n’ont pas les moyens d’intervenir comme elles l’avaient fait pour le montant de la dette grecque limitée à 350 milliards d’euros. On se souvient que Tsipras avait trahi le référendum en cédant à la menace de la BCE de lui couper les liquidités. Un gel des liquidités est le moyen de rétorsion puissant à la disposition de la BCE.
Pour échapper à cette situation périlleuse, il faut alors envisager la double sortie de l’UE et de l’euro. L’ancien Goldman Sachs qui est aujourd’hui à la tête de la BCE peut-il mettre en péril l’Union européenne dans son ensemble pour faire respecter ses traités par un pays qui s’est rebellé contre les politiques d’austérité ? A trop les appliquer, les partis traditionnels ont fini par s’effondrer, leur seul argument actuel est la dénonciation du ‘populisme’ de ceux qui les ont évincés.
Si les agences de notation dégradent la dette souveraine dans la catégorie dangereuse, comme elles s’empresseront de le faire dès le froncement de sourcils de Draghi sera appuyé après le 15 novembre, les fonds d’investissements institutionnels seront tenus de vendre tout ce qu’ils en détiennent. Une aide d’urgence sera alors demandée au FMI et à la BCE qui ne l’accorderont qu’avec la conditionnalité de l’austérité.
Ce scénario d’une crise aiguë est anticipé par tous les acteurs, BCE, commission européenne et gouvernement italien. L’enjeu est l’existence même de l’Union européenne et de la zone euro. Pour en éviter l’implosion, les eurocrates devront céder si l’attelage M5S et Ligue reste uni et ferme.
Une telle perspective encouragerait tous les eurosceptiques, surtout représentés par des partis de droite xénophobes. En France comme en Allemagne aussi, les partis ‘traditionnels’ sont en net recul ou en voie de disparition. Ils pourraient céder la place à la volonté populaire exprimée en 2005 par le non au référendum sur le traité de la constitution de l’UE.
L’administration étasunienne semble appuyer cette tendance en dépêchant un Steve Bannonresté sans emploi officiel. Ce que les médias nomment ‘extrême-droite nationaliste’ n’a pas pour vocation une sortie réelle de l’UE. Un Viktor Orban et son système de distribution mafieuse des prébendes qu’il en reçoit ne survivrait pas. Le Pen fille a raté sa prestation face à Macron par manque de fermeté sur une position franchement anti-UE.
L’extrême droite se contente seulement de professer une xénophobie à l’égard des réfugiés dans les pays qui en ont le moins accueillis, la Hongrie n’est par exemple qu’un lieu de passage tout au plus. Elle devient paradoxalement le plus virulente au moment où la vague migratoire est objectivement en train de mourir. Pour deux raisons au moins. La rétention des réfugiés syriens en Turquie semble efficace et la guerre faussement civile en Syrie s’est relativement stabilisée avec retour chez eux de centaines de milliers de ces réfugiés. La situation en Lybie semble également s’être figée avec deux gouvernements et une partition de fait du pays, limitant l’arrivée des subsahéliens. On sait que le programme d’octroi de 3 milliards à Erdogan a été consenti après que l’Allemagne en déficit de population ait fait le plein de 1 à 2 millions de réfugiés. Le coût moyen pour une nation d’un adulte de 18 ans est de 100 000 euros en soins de toute sorte et en scolarité. L’UE (ou l’Allemagne)n’a déboursé ainsi que 3 milliards versus 100 milliards.
La taxation supplémentaire des hydrocarbures raffinés en France a déclenché l’expression d’une colère populaire qui couvait depuis longtemps. Cette nouvelle mesure lèse les foyers d’une classe moyenne inférieure, elle est un expédient et un subterfuge de plus pour ne pas encourir le franchissement du niveau de dette publique autorisé par l’UE. Elle confirme une fois de plus si besoin était l’inefficacité de l’austérité, de la baisse des impôts sur les sociétés et de l’augmentation de celui sur le revenu en même temps qu’il invalide la ‘flexibilité’ du travail.
Elle ne pourra se faire que dans des conditions qui rendent inopérantes les attaques spéculatives du Marché financier, ce qui implique des mesures de protection qui rendent les nations revenues à leur liberté étanches à la malfaisance des institutions financières. En leur rendant leur fonction sociale de distribution du crédit et en les nationalisant.
En rendant impossible toute manœuvre de Combinazione ou combine, il faut revenir à des principes tranchants, guillotine virtuelle pour toute coterie qui défendrait des intérêts privés aux dépens de celui de tous.
(*) Ainsi un Italien mercenaire d’une banque étasunienne a affaibli la structure de l’espace euro en y faisant admettre une économie manifestement incapable de supporter l’exigence d’une monnaie forte. Il peut donc être considéré comme responsable des politiques d’austérité, de la spirale de la décroissance, du chômage et des privatisations des biens publics vendus à l’encan imposés au peuple grec. Pour récompenser ces loyaux services, Goldman Sachs aide à son installation à la présidence de la BCE.
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