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4 juin 2006 — On ne peut traiter le massacre de Haditha “à la légère” (“à la légère” : nullement par irrespect pour les victimes assassinées mais pour son importance politique, parce qu’on estimerait que c’est “un massacre de plus” dans une horrible campagne irakienne qui en a vu tant d’autres). Haditha est très particulier, très spécifique. Ce massacre est en train d’envahir massivement la psychologie américaniste. Ce massacre lève un voile sur la comédie américaniste qui s’appelle : démocratie, vertu, courage et honneur.
Le peuple américain ne tient d’une façon stable que dans la mesure où la fable vertueuse que le système lui débite depuis deux siècles est encore audible. Tant de choses se sont écroulées ces dernières années, avec un Président passant de 80% à 30% de soutien, un Congrès dans lequel aujourd’hui 3% d’Américains font confiance, un système économique qui met un PDG à la retraite avec une prime de $400 millions, un système incapable de commencer sérieusement une opération de secours d’une ville dévastée par un ouragan avant deux semaines de temps et ainsi de suite.
Il restait l’armée, l’honneur et le courage des boys. Même Abou Ghraib n’avait pas vraiment entamé cette croyance. Haditha est en train de s’y employer, pour 24 innocents civils massacrés par des Marines. La machine médiatique, les réflexes auto-destructeurs du système sont en marche. Les précédents (My-Laï et le Viet-nâm) ne sont pas encourageants. Ce qui compte désormais n’est pas l’horreur de la chose elle-même, mais l’horreur qu’on en perçoit ; si la machine auto-destructrice marche bien, cette horreur va immensément grandir dans la perception qu’on en a, avec des effets psychologiques à mesure. Cette perception heurte de plein fouet, dans une tension horrible, le trait de l“inculpabilité” qui caractérise la psychologie américaniste. C’est un cas classique et dévastateur de collision antagoniste de la psychologie américaniste avec la réalité.
Voici ce qu’écrit, assez justement même s’il ne va pas au fond des choses, Gerard Baker du Times, ce 3 juin (le Times conservateur, britannique et pro-américain est très en pointe dans la dénonciation du massacre, — et l’on retrouve, implicitement, là aussi, cette rancœur britannique pour les “cousins” américains qui les ont tant méprisés, humiliés, ignorés, malgré la servilité blairiste depuis quatre ans):
« This Memorial Day week has probably been the worst seven days for the US military since the Vietnam War ended more than 30 years ago. If proven true, the stories of the massacre at al-Haditha will have profound consequences, not just for the public’s increasingly hostile attitude to the Iraq war, but also for its belief in and support for the very idea of US engagement in lengthy struggles to create stability in far-off places.
(...)
» It was, as much as anything, the sense of lost honour that led to America’s worst military reverse in its history — the Vietnam War. In March 1968 Lieutenant William Calley led his men on a murderous rampage through the Vietnamese village of My Lai. When, after a lengthy cover-up, he was finally convicted by a court martial three years later, it marked a turning point in the public’s tolerance for the war. A month after his conviction, a poll recorded for the first time a majority of Americans calling for an immediate end to the war. It was with that searing memory in mind that American commanders dispatched their troops into Kuwait during Operation Desert Storm in 1991 with the instruction: “No My Lais — you hear?” »
Bien entendu, l’effet et l’écho de la chose sont tels que les langues se délient. Le Times, toujours lui, signale que deux autres massacres sont dénoncés. Le Premier ministre irakien, conscient que son crédit se joue et qu’il pourrait acquérir dans cette affaire une légitimité inespérée, se manifeste en accusateur n°1 du comportement des soldats de son protecteur principal. (« “They run them over and leave them, or they kill anyone suspicious. This cannot be accepted,” Mr Maliki said in comments remarkable from a leader whose government's fragile grip on the country would be impossible without the presence of 130,000 US troops on its soil. He demanded full access to US files on the cases so that Iraqis could pursue their own investigations. ») C’en est au point où, dans une mise au point surréaliste, la Maison-Blanche affirme que Maliki a dit à l’ambassadeur US à Bagdad qu’il avait été
« White House press secretary Tony Snow said that Prime Minister Nouri al-Maliki had told U.S. Ambassador Zalmay Khalilzad that he had been misquoted. But Snow was unable to explain what al-Maliki told Khalilzad or how he had been misquoted.
» “That is a little too complicated for me to try to read out,” Snow said at a briefing where he was pressed to explain how al-Maliki's remarks were supposed to have been distorted. “It becomes a little convoluted and so I don't want to make a real clear characterization because it's a little hazy to me,” Snow said. »
Si Haditha prend les proportions d’un My-Laï pour sa perception, les conséquences seront dévastatrices. Si l’on tient compte de la situation générale, ces conséquences seront bien plus graves qu’au temps du Viet-nâm.
Quelles conséquences politiques ?
• Pour aller au plus évident, c’est la crise ouverte entre Washington et le gouvernement irakien, qui a pris un tour aggravé la nuit dernière avec des demandes d’excuses officielles du gouvernement irakien à Washington, assorties de demandes de compensations pour les personnes affectées. Le Pentagone entend écarter le maximum d’accusations, même lorsque les indications sont accablantes. Une fois de plus, les amis britanniques prennent leurs distances (Selon Scotsman on Sunday: « The escalation in tensions comes as sources at the Foreign Office confirmed that the British Government is also urging the Americans to co-operate fully with comprehensive investigations into the deaths at both Ishaqi and Haditha. ») On a ainsi l’impression, pour la première fois, que ce phénomène extraordinaire d’une crise entre le “parrain” du gouvernement irakien et ce gouvernement irakien dépendant en principe directement des forces d’occupation peut devenir un facteur important de la situation en Irak. Rien de pareil n’a jamais existé au Viet-nâm.
• Il ne faut pas oublier que c’est une Amérique fatiguée (“Strategic Fatigue”), déjà blessée par de multiples scandales et de nombreux revers, qui serait ainsi frappée. L’effet peut évidemment être d’une tentation de repli, tel que l’envisage le même Gerard Baker, — non sans glisser à nouveau une petite pique anti-américaine, cette fois contre Condy Rice et les conseillers de GW qui semblent avoir perdu depuis le 11 septembre toute la soi-disant sagesse dont ils avaient fait montre avant d’arriver au pouvoir :
« The slaughter seems to have had its origins in the desperate and frightening conditions of a counter-insurgency operation in Iraq for which most American servicemen have not been well prepared. Although there has been much outrage expressed in the US this week, there has also been much sympathy for the conditions in which American soldiers find themselves. There is a gathering sense that the outrages of al-Haditha and elsewhere are not isolated examples of bad behaviour but also the almost inevitable consequence of deploying the US military to a task for which it is ill equipped and poorly trained — policing and pacifying an alien people.
» This scepticism about using the military as a tool to remake nations and civilise a hostile world was put best by an article in the periodical Foreign Affairs in 2000. The author attacked the misuse of the US military in nation-building projects in the Clinton years. “The president must remember that the military is lethal, and it is meant to be. It is not a civilian police force. It is not a political referee. And it is most certainly not designed to build a civilian society.”
» It was a succinct indictment about the dangers of using the military as anything other than a fighting force. Its author was Condoleezza Rice, then principal foreign policy adviser to the man who was soon to be President Bush. It is hard to escape the sense that Americans are increasingly coming to embrace its wisdom, even as its authors have disowned it. »
Mais toute notre attention doit aller bien entendu à l’aspect psychologique. Pour l’armée US, d’abord, dont de nombreux rapports nous décrivent l’état psychologique et la cohésion comme étant caractérisés par le plus grand désarroi et une déstructuration accélérée.
Pour la population américaine également. La puissance militaire, l’honneur et la probité, le sens du devoir de l’armée sont les dernières perceptions vertueuses de l’américanisme que le bras virtualiste du système a réussi à maintenir. On comprend combien leur mise en cause si radicale serait si particulièrement déstabilisante.