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Le 22 février, The American Chamber of Commerce to the European Union (AmCham EU) a diffusé, d’une manière informelle dont nous avons pourtant bénéficié par l’un ou l’autre mystérieux canal, une analyse critique sur le “Green Paper” publié en 23 septembre 2004 par la Commission européenne. C’est donc bien grâce à la plus grande des chances et au plus chaleureux des hasards que nous publions ce document.
(Le “Green Paper” est une tentative de la Commission européenne de présenter une position sur l’organisation éventuelle d’un “marché commun” de l’armement en Europe. Comme d’habitude dans cette sorte de document venu de la Commission, l’accent est mis sur la dimension économique, la compétitivité notamment, aux dépens de l’aspect politique et stratégique de l’armement. Ce dernier aspect, politique et stratégique, est pourtant en train de s’imposer avec une évidence aveuglante si l’on se réfère à l’importance stratégique et politique que la querelle euro-américaine sur l’intention européenne de lever l’embargo des armements vers la Chine est en train d’acquérir.)
AmCham EU ? La Chambre de Commerce américaine auprès de l’UE, ou AmCham EU, se présente elle-même de cette façon, dans le document présenté ici : « The American Chamber of Commerce to the European Union (AmCham EU) is the voice of companies of American parentage committed to Europe towards the institutions and governments of the European Union. It aims to ensure an optimum business and investment climate in Europe. AmCham EU facilitates the resolution of EU – US issues that impact business and plays a role in creating better understanding of EU and US positions on business matters. Total US investment in Europe amounts to $850 billion, and currently supports over 3.5 million jobs. »
Le document de AmCham EU, document de lobbyist par excellence, est présenté dans le style le plus “amical” possible. Il s’agit d’établir un “esprit d’équipe”, une compétition équilibrée et loyale, tout cela avec les amis européens, pour parvenir à un marché global de l’armement dont les deux principaux piliers seront l’industrie américaine et l’industrie européenne. Il y a dans ce document un souci d’équité, de loyauté, de pédagogie généreuse et gratuite. Tout cela réchauffe le cœur, quant aux perspectives d’entente transatlantique.
AmCham EU observe le processus prôné par le “Green Paper” et l’applaudit d’abord sans restriction sur le principe dont il témoigne. Toute tentative de rentabilisation, d’amélioration de l’efficacité, d’efficience améliorée, de productivité renforcée, de dérégulation, d’ouverture des frontières, de mise en charpie des barrières est perçue par AmCham EU avec la plus extrême faveur, voire un délice confinant à l’ivresse. Nous sommes bien en territoire américaniste. L’interlocuteur américain donne même des conseils qui contribueront sans aucun doute à conforter les esprits : « The absence of harmonised operational military requirements and a cooperative (or centralised) procurement authority currently present obstacles to efficient military procurement. » Même si c’est enfoncer des portes ouvertes, cela brasse un peu d’air libéralisant et ce n’est pas si mal, — effectivement, nous, en Europe, nous aurions bien besoin d’une telle autorité centrale pour harmoniser les besoins et les acquisitions. (N.B. : cela fait entre 40 et 50 ans à peu près que cette sorte de réforme est demandée par les partisans d’une intégration européenne. On verra.)
Puis vient, aussitôt, la restriction centrale. Elle ne cessera plus d’être répétée, comme un refrain lancinant tout au long du rapport, dans la synthèse, l’analyse, les commentaires, les conclusions, le post-scriptum s’il y en avait un. Elle tient en une question désolée que nos résumons dans sa substance : “pourquoi cette proposition de rentabilisation bienvenue porte-t-elle sur le seul marché européen, et non sur le marché européen considéré d’un point de vue global, c’est-à-dire avec accès libre et illimité, tout de suite, pendant qu’il se fait, — pour l’aider à se faire, bien sûr?”
Cette idée est présente dès les points de synthèse qui résument l’esprit du texte : « European industry needs better access to the U.S. technology base and to the U.S. market, AmCham EU stresses that Europe’s own market must therefore remain open to participation by the global defence industry if European firms are themselves to increase their competitiveness. (avant dernier point); et encore (dernier point): « AmCham EU considers that interim steps of “consolidating Europe first” may, in fact, impede the adjustments required for Europe’s industries to attain and maintain their global roles. Indeed, the defence market is global, not regional, and efforts to improve market efficiency must take this reality into account. »
La ficelle est-elle un peu grosse? Comme à l’habitude, elle est évidente. Les Américains ont une puissance financière considérable derrière leurs industries, puissance qui permet l’initiative d’acquisition d’une façon systématique. Ils possèdent une puissance d’influence politique plus que considérable, avec un tel réseau de soutien parmi les élites européennes d’une telle densité qu’on pourrait presque parler d’une “classe politique” en soi, complètement acquise aux intérêts américains. La réciproque (pénétration du marché américain) est aujourd’hui impossible, comme elle le sera demain, non pas pour des raisons économiques (incapacité de concurrence) mais pour des raisons structurelles, à la fois législatives et économiques.
Les USA sont un système économique et politique structurellement protectionniste. Cette tendance existe déjà dans la structure de base, l’organisation en système fédéral donnant au gouvernement et au Congrès fédéraux des droits et aux États d’autres droits : un produit peut être autorisé à pénétrer aux USA par Washington et ne pas l’être dans tel ou tel État. Cette structure est historique et fondamentale : elle a existé dès le départ, elle existe et elle existera, à moins que les USA subissent une révolution structurelle de fond en comble. Elle existe et existera, notamment dans ce domaine de l’armement, parce que les USA ne cessent de fabriquer des règles bureaucratiques et de sécurité nationale qui ne cessent de renforcer des barrières non commerciales contre les produits extérieurs, c’est-à-dire non négociables à moins d’une abdication fondamentale du vendeur de ces produits, — l’abdication allant jusqu’à l’américanisation pure et simple (cas du britannique BAE).
Les recommandations de AmChamEU sont donc du type : “faites comme nous vous disons, pas comme nous faisons”. C’est un peu comme si les treize États de l’Union, puis les autres qui suivirent, avaient été invités à se mesurer, diplomatiquement, militairement, économiquement, etc., avec “le reste du monde”, avant de se regrouper dans une fédération, l’union dite des États-Unis d’Amérique. Curieuse idée. L’histoire économique et commerciale des USA devrait au contraire servir de modèle à l’Europe et à son industrie, y compris l’armement : les USA se formèrent en Union, s’agrandirent en veillant constamment à maintenir un protectionnisme de fer pour permettre à leur puissance économique et industrielle de se développer et de se renforcer. Ce point est une des causes principales de la Guerre de Sécession : le Sud, gros exportateur de coton, voulait un système de libre-échange tandis que le Nord entendait imposer son protectionnisme. Comme l’on sait, le Nord l’a emporté.
Dans son livre Qui sera le Maître, Europe ou Amérique ? (datant de 1927 mais infiniment plus actuel et intéressant que l’avalanche de sornettes publiées aujourd’hui sur le sujet), l’historien Lucien Romier distinguait le “protectionnisme conservateur”, ou “protectionnisme tranquille”, du “protectionnisme jaloux”, ou “protectionnisme inquiet”. L’Amérique fit partie évidemment des maîtres et pratiquants du premier, disposant de matières premières, du marché, des masses pour produire et ainsi de suite. « Le cas du protectionnisme heureux existe pleinement en Amérique », écrivait Romier en 1927. L’Amérique ne rompit cette règle au niveau global et en apparence pour elle-même qu’en 1940 (à partir de 1940), en imposant à un Royaume-Uni confronté aux folles dépenses de la guerre des accords (lend lease et Charte de l’Atlantique) où le libre échange était adopté, y compris pour l’Empire. La puissance infiniment supérieure de l’Amérique lui assurait d’acquérir les plus larges marchés possibles, ce qui fut fait. Le libre-échange devint la politique extérieure des USA, mais nullement, comme on l’a vu plus haut, leur réalité intérieure.
Effectivement, les USA deviennent libre-échangistes et imposent le libre-échange partout à partir de 1940-45, à partir de 1945 essentiellement, lorsqu’ils dominent un monde épuisé et exsangue du fait de la guerre. Toute citation de l’image du “profiteur de guerre” pour caractériser ce comportement est absurde et l’on s’en tiendra à l’icône de la généreuse expansion de la démocratie universelle (Plan Marshall, OTAN, CIA , Pentagone & Cie). La leçon est claire, qui nous est donnée par le maître en ce domaine qu’est l’Amérique: seules la puissance et la maîtrise de ses propres marchés autorisent le passage au marché libre et au libre échange au-delà de ses frontières.
Voici le texte de The American Chamber of Commerce to the European Union.
February 22nd, 2005
In response to the September 23rd European Commission’s Green Paper on Defence Procurement from the Directorate-General Internal Market, the American Chamber of Commerce to the European Union submits the following comments for your consideration:
• AmCham EU welcomes the European Commission’s initiatives in clarifying the EU’s defence procurement rules and recognising, for example, that many dual use items and technologies may no longer be entitled to the protection from competition afforded by Article 296.
• However, AmCham EU highlights that the Green Paper does not attempt to place the trends in the European defence industry and the European defence equipment market in the broader context of the global market for defence.
• Given the increasingly integrated and globalised nature of the defence industry, AmCham EU believes that it is would be beneficial to develop European standards and technologies related to transatlantic or global standards. Such an approach would make European industry more efficient and globally competitive.
• As it is widely recognised that European industry needs better access to the U.S. technology base and to the U.S. market, AmCham EU stresses that Europe’s own market must therefore remain open to participation by the global defence industry if European firms are themselves to increase their competitiveness.
• AmCham EU considers that interim steps of “consolidating Europe first” may, in fact, impede the adjustments required for Europe’s industries to attain and maintain their global roles. Indeed, the defence market is global, not regional, and efforts to improve market efficiency must take this reality into account.
The European Commission has published a Green Paper on Defence Procurement as part of an ongoing effort by the Commission to encourage creation of what is termed a “European Defence Equipment Market”. The paper explicitly recognises that the current European defence marketplace is highly fragmented on both the supply and demand sides. Procurement decisions remain the prerogatives of national governments. Defence industries are widely distributed and often protected or subsidized by governments. The result is overcapacity and an inability to achieve efficient rates of production.
The reduction in total defence expenditures following the end of the Cold War, combined with the fragmentation of the European market, have made it difficult for European defence industries to invest in new technologies and to maintain viable production rates. Economies of scale are virtually impossible to achieve at the national level, and European multilateral or cooperative programs have so far not been especially numerous or notably successful.
That the European defence market has been slow to adapt to changed market conditions can be attributed to several unique aspects of defence markets, as recognised in the Green Paper: the dominant role of the state as customer, source of research funds, and sometimes as owner; the special needs for classified information and security of supply; the long product life cycle of defence equipment. These unique features have exempted the defence sector from the rules governing open competition, procurement, and state aid in the EU. These exemptions are codified in Article 296 EC of the Treaty. These exemptions create a number of legal uncertainties for suppliers in contrast to common EU standards. Among other questions, the Green Paper asks whether the EU should clarify or modify its legal framework with an aim toward clarifying exemptions and procedures under Article 296. An interpretive Communication or an EU Directive on procedures are two options identified.
The aim of the Green Paper is to encourage the creation of a “European” market for defence equipment, ostensibly to create more efficient spending and to make European industry more competitive. Implicitly, the assumption is that the problems of overcapacity and fragmentation in industry will be overcome if national barriers to competition are removed and markets are “opened” to competition – at least a limited type of Europe-wide competition.
Inevitably, this will mean that the industry reorganises itself around a small number of firsttier prime contractors that are globally competitive and supported by a broad network of second- and third-tier suppliers. Reference in the Green Paper to the benefits to SME’s of market “opening” can be interpreted to mean that suppliers will have access to a broader range of opportunities with prime contractors, although this is not stated explicitly.
The Green Paper does not attempt to place the trends in the European defence industry and the European defence equipment market in the broader context of the global market for defence. At a time when globalization and the internationalization of many key defence programs are important characteristics of the global market, this omission is notable. The assumption appears to be that the European marketplace can be “opened” within Europe and consolidated on a Europe-only basis without regard to these larger trends.
The fundamental objective of creating a more unified defence equipment market should be to provide better value for money for the governments that purchase the equipment. Reducing national barriers or consolidating industry are means to this end, not ends in themselves. If the European industry is to be able to supply the leading edge capabilities required, it must be able to draw from and access the international marketplace and to develop and maintain the capacity to be globally competitive.
The absence of harmonised operational military requirements and a cooperative (or centralised) procurement authority currently present obstacles to efficient military procurement. In the absence of these conditions, “opening up of defence markets” and breaking down national barriers to procurement are likely to remain empty goals. If the decision making responsibility remains at the national level, only a process of harmonising requirements (and agreeing on common standards) can produce cross-national efficiencies.
This harmonisation process could occur in the European Defence Agency or it could occur through NATO consultative processes or some other mechanism, but it should be explicitly addressed as a first step toward a more unified market. The Green Paper’s impact and authoritativeness could be enhanced by addressing this point in detail. European militaries are adapting to the changing strategic environment of the 21st century.
Many countries are giving up some of their traditional military missions. Many explicitly accept in their military strategies that territorial Defence is no longer the primary military mission of the armed forces. As forces shift to more deployable and sustainable configurations, in virtually all cases it is assumed that the forces will be operating with coalition partners, whether of the European Union’s Battle Groups or the NATO Response Force. These military requirements place an even higher premium on the ability to operate with other allied forces and to have compatible doctrine, technologies, and logistics. The more demanding the military task, the greater the importance of interoperability. While this argues for a more integrated European approach to defence equipment, it also argues for transatlantic involvement and global competitiveness for European industry.
Given the increasingly integrated and globalised nature of the defence industry, it is not feasible to develop European standards and technologies unrelated to transatlantic or global standards. Such an approach would not make European industry more efficient or globally competitive. Since the United States spends more on defence research and development and procurement than all of Europe, European industry needs access to the U.S. technology base and to the U.S. market. Transatlantic industrial cooperation and transatlantic programs that include U.S. and European partners will increase the capabilities of European industry and can be important contributors to the health of the defence industry on both sides of the Atlantic. Europe’s own market must therefore remain open to participation by the global defence industry if European firms are themselves to become or remain competitive.
Many of the key technologies for future military capabilities are already being developed with the participation of transatlantic industrial teams. It is neither conceptually nor empirically necessary for a period of European consolidation to occur prior to the opening of the marketplace to global participation. Indeed, events in the global marketplace are moving faster than high-level policy in this regard, in order to deliver the high-performance networkenable systems required by government customers. Customers should and will demand competitive prices and the best globally available technology in addressing the national and international security requirements of the twenty-first century.
No amount of codification of procurement rules, market restructuring, or industry consolidation can, in the long run, overcome inadequacies of the resource base. The defence industry needs programs and funding to survive and prosper. While greater efficiencies in spending and regulatory clarity could certainly help and would be welcome, the absolute level of military spending in Europe today is not sufficient to meet the identified and agreed military needs. Reforms of procedures will not, by themselves, assure a robust defence technology base in the future at current levels of funding.
Clarifying the EU’s defence procurement rules and recognizing, for example, that many dual use items and technologies may no longer be entitled to the protection from competition afforded by Article 296, are initiatives to be welcomed and supported. Indeed, all defence equipment suppliers would benefit from EU defence procurement rules based on more consistency between EU Member States (easier to make investment decisions) and more transparency (better legal clarity). By themselves, however, these initiatives will not address the underlying causes of insufficient investment and inefficient procurement that characterize the market today. A move to an open and globally competitive marketplace, where European industry takes its rightful place as part of a global industry, must be the objective. Interim steps of “consolidating Europe first” are not necessary and may, in fact, impede the adjustments required for Europe’s industries to attain and maintain their global roles.