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13 juillet 2005 — Tom Engelhardt est l’un des excellents commentateurs américains qu’Internet a fait connaître aux non-Américains, notamment aux Européens. On ne le trouve guère dans le Post ou dans le New York Time, ce n’est pas une référence de nos grands journalistes et experts ès-Amérique officielle, — tout cela, très bon signe on s’en doute. Son site (the Nation Institute's Tomdispatch.com) est justement caractérisé comme « a regular antidote to the mainstream media ». Son livre, American Empire Project and the author of The End of Victory Culture, a history of American triumphalism in the Cold War, est un modèle de finesse et de subtilité d’analyse de la “psychologie américaniste” telle que la Guerre froide nous l’a révélée, — et cette “psychologie américaniste” considérée comme un objet spécifique, différent de ce qu’on désigne en général en parlant de la psychologie.
Une de ses plus récentes chroniques, du 10 juillet, (« Boy president in a failed world? », aussi bien sur atimes.com que sur son propre site) est particulièrement remarquable. Il s’agit d’une analyse du dilemme fondamental de notre temps, qui est que nous devons finalement reconnaître que nous sommes dans l’impossibilité de ne pas nous engager dans la véritable bataille en cours. Cette chronique de Engelhardt va donc dans le même sens qu’un de nos récents “Faits & Commentaires» sur l’autruche qui chantait le Progrès. Engelhardt aborde cette question par le biais d’une critique globale directe du “régime Bush” où il compare l’administration GW et les terroristes. Il touche au cœur de ce dilemme, notamment dans cet avant-dernier paragraphe de conclusion, — et c’est là l’essentiel du “message de Tom”:
« It is perhaps an insult to children to compare the Bush administration to them, but I'm at a loss for images. I'm a deeply civil person. If I had my choice, like so many people in this world of ours, I would simply wash my hands of their apocalypts and ours. Unfortunately, that's not possible. Theirs, at least, are someone else's responsibility, but Bush and his malign fictional worlds are, it seems, mine. »
Le “message de Tom” est aussi notre message, comme nous avons essayé de l’exprimer une fois de plus, après tant d’autres remarques de la même sorte: nous ne pouvons pas nous “en laver les mains”; non seulement moralement, mais plus simplement, selon le simple bon sens, selon l’évidence de la situation du monde, la situation physique: « If I had my choice, [...] I would simply wash my hands of their apocalypts and ours. Unfortunately, that's not possible... »
Aux beaux esprits qui, pour éviter une critique fondamentale qui les engagerait un peu trop en-dehors du conformisme qui leur procure leurs privilèges et nous emprisonne tous, auraient tendance à dire: “Bush et son action, ce sont les affaires des Américains, pas les nôtres, nous n’avons pas à nous y immiscer comme nous n’aimons pas qu’ils s’immiscent dans nos affaires”, — à ces beaux esprits-là, la réponse est: ce n’est pas possible. Nous sommes vraiment dans un monde “globalisé”, comme ils disent, et la preuve se fait chaque jour plus pressante que ce qui est globalisé est d’abord le pire ; et ce fait même, ne serait-ce que par la simple nature physique des événements mais également par l’énergie négative dispensé par cette évolution, interdit absolument toutes les bonnes choses que la globalisation serait censée nous apporter. Nous sommes emportés dans une spirale du pire et nous ne pouvons pas nous en laver les mains. Nous n’en avons pas le pouvoir. Ce qu’ils détruisent, c’est notre civilisation, c’est notre monde, donc c’est nous. Ce n’est pas une bataille idéologique ni une bataille géopolitique, c’est une bataille pour la survivance. Et il se trouve, — mais ceci explique sans doute cela, — que c’est un simple d’esprit sophistiqué, c’est-à-dire un simple d’esprit sans les vertus des époques de rude profondeur comme le Moyen Âge, qui mène cette course à l’abîme.
D’où la deuxième (et finale) conclusion de Tom Engelhardt:
« The sad thing is that the truth is relatively simple. What people using terror in the fashion of London are quite capable of doing is killing and maiming randomly and in large numbers – and perhaps in the process revealing to us both how fragile and how strong our world actually is. What they are completely incapable of doing, no matter what Bush says, is taking our liberties and freedoms away. They can't take anything away. Only we can do that. »
Effectivement, seuls “nous-mêmes” sommes capables de réduire en cendres, littéralement peut-être, notre civilisation et notre monde. C’est ce que GW a entrepris de faire, en toute bonne conscience car cet homme, comme l’écrit Engelhardt, n’a sans le moindre doute aucune mauvaise intention, aucune duplicité sur le fond des choses; littéralement, “Boy George” croit bien faire en même temps qu’il jure tenir la grande aventure de sa vie. Cet imbécile presque parfait, qui parle comme vous et moi, qui est vaniteux comme il est si courant de l’être, qui croit d’autant mieux comprendre le monde qu’il n’y comprend rien, finalement n’est pas un mauvais bougre. Ce sont les pires.
“Boy George” nous pose la question fondamentale du Mal, déjà archi-débattue: et si la plus grande force du Mal, sa suprême habileté, était de ne pas paraître l’être, et même, de ne pas l’être du tout? Le problème est que cette question théorique séduisante est posée dans une époque où l’imbécile parfait qui n’est pas un mauvais bougre possède par défaut (parce que tout le monde laisse faire et que personne n’ose le dire à haute voix) le pouvoir de déchaîner des forces d’une puissance qui bouleverse le monde et menace effectivement de le briser. La question théorique, séduisante certes, est également pressante et concerne notre vie quotidienne, nos enfants et tout le reste, et enfin notre âme même.
Drôle d’époque… Époque de fin des temps? S’il fallait en choisir une, elle conviendrait, sans aucun doute, plus qu’aucune autre auparavant, avec l’imbécile parfait en chevalier blanc-noir (dichotomie des simples) de l’Apocalypse. Bref, et ricanant sans hésiter, à-la-Céline, — on a l’apocalypse qu’on peut.
Ces réflexions pessimistes (dur euphémisme) n’empêchent pas que nous sommes ce que nous sommes, c’est-à-dire comptables de l’élan vital qui nous possède et justifie notre existence. Donc, comme dit Tom, nous ne pouvons jouer à Ponce-Pilate, d’autant moins que “Boy George” n’a vraiment rien du Christ.