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15551er juillet 2006 — L’importance de l’élection mexicaine ne peut être contestée ; parce que le Mexique est un grand pays, parce qu’il est au centre de l’une ou l’autre grande affaire au potentiel déstabilisant considérable. La situation géopolitique qui l’entoure est très intense. L’un des candidats est potentiellement et instinctivement perçu comme l’instrument de cette éventuelle déstabilisation mexicaine. Pourtant, Obrador semble envisager d’une façon très fondamentale une politique qui serait plutôt celle d’une tentative de rupture avec ce contexte de crise extérieure, qui serait plutôt celle d’un repli sur la dimension mexicaine, même s’il s’agit d’un repli révolutionnaire. C’est une des raisons pour laquelle nous parlions avant-hier d’“ambiguïté” (l’autre raison principale de cette ambiguïté étant ce que fut la politique de Fox).
Le Mexique présente ainsi un cas très particulier. Fox est perçu partout comme un dirigeant très pro-américain, et qui l’a été sans aucun doute, ou, disons, sans aucun doute d’une certaine façon et dans certains domaines… A côté de cela, il a joué un rôle très déstabilisateur de l’influence US au Mexique sur deux fronts :
• D’abord dans le domaine essentiel de l’émigration mexicaine (“latino”) vers les USA. Cela était évident dès la visite de Fox à Washington, quelques jours avant 9/11 et oubliée un peu vite à cause de cela. Depuis, la question est restée pendante et ouverte entre les USA et le Mexique et Fox a continué à tenir son rôle déstabilisateur.
• Lors de la fameuse saison onusienne de l’automne-hiver 2002-2003, Fox a joué un rôle important, aux côtés des Français qui menaient l’offensive, qui a contribué à affaiblir notablement la position américaine. Dans un domaine essentiel de la crise générale qui nous secoue, ce fut une attitude remarquable montrant combien l’attitude naturelle du Mexique, au-delà des étiquettes de ses présidents, est de s’opposer aux poussées impérialistes générales des USA.
En gros, nous observons ceci : malgré sa position et sa réputation de libéral de droite, de pro-yankee dans le domaine économique autant que par intérêt personnel (ce qui a amené Fox à s’opposer sévèrement à Chavez), la présidence Fox a largement organisé des situations à très forte potentialité déstabilisatrice des relations entre Mexique et USA.
Obrador, maintenant, qui sera peut-être l’élu demain, qui devrait de toutes les façons (même dans le cas d’une défaite qui devrait être serrée et conduire à une période troublée) tenir un rôle politique important désormais. Lui aussi, bien qu’il soit étiqueté “gauchiste”, se présente d’une façon paradoxale, notamment avec l’intention d’un certain effacement en politique extérieure par rapport à Fox. Obrador affirme que ce qui compte, c’est la politique intérieure, impliquant que la politique extérieure peut être mise au second plan. Bien sûr, c’est une illusion de campagne. Tout se joue en politique extérieure, et mille fois plus pour le Mexique que pour aucun autre pays puisqu’un pan essentiel de sa politique extérieure se marie intimement avec sa politique intérieure (l’émigration et les relations avec les USA par conséquent). D’autre part, si Obrador veut améliorer la situation intérieure en modifiant certains aspects du traité ALENA, il fait de la politique extérieure puisque ce traité le lie aux USA (et au Canada). Ces diverses situations, qui concernent d’abord les relations avec les USA, ont été largement “dramatisées” par l’activité de Fox comme on l’a signalée.
Bien entendu, un point chez Obrador nous intéresse : son fort sentiment religieux (catholique), tel que nous l’indiquions hier. Il s’agit d’un facteur difficilement mesurable dans ses effets pour sa politique éventuelle, mais sans le moindre doute d’une très grande importance politique. Il rencontre bien entendu des événements dont nous nous sommes faits l’écho (notamment le 18 mai dernier). On sait que le catholicisme, dont Obrador fait un cas si fiévreux et qui est particulièrement vivace au Mexique et chez les “latinos”, est en cours de réorientation rapide en Amérique du Nord. Sous la pression de divers facteurs convergents, l’Église pourrait évoluer vers un rôle politique oppositionnel aux USA et cela corrélativement avec la question de l’émigration.
On est ainsi conduit à conclure que cet aspect très particulier de la personnalité d’Obrador peut intervenir très puissamment au niveau politique, c’est-à-dire au niveau de son attitude politique. (Dans tous les cas, Obrador ou pas, le poids de la religion comme facteur politique au Mexique et dans l’extension mexicaine vers les USA (l’émigration) ne va cesser d’augmenter.)
Tout cela fait un cocktail étrange. Le Mexique est dans une situation où différents facteurs et différentes situations se développent, qui n’ont guère de liens de coordination entre eux mais dont l’effet peut s’avérer explosif. On peut compter sur le grand voisin du Nord pour éventuellement donner le coup de pouce psychologique qui rendrait la situation soudain dramatique. Si Obrador est élu, on peut être sûr d’assister à Washington à la surenchère habituelle de commentaires, de chroniques, de dénonciations diverses contre le “danger gauchiste”, — et, cela, quoi que fasse le nouveau président mexicain.
A côté de ces jugements généraux existent diverses situations qui agitent le Mexique, aussi bien selon une tendance traditionnelle que selon des tensions conjoncturelles. Un texte de Tom Hayden du 27 juin en offre un aperçu, illustré par cet extrait :
« “The country is a powder keg that could ignite on election day,” warn activists who accompanied the recent Zapatista campaign and witnessed the police repression in May of flower vendors in San Salvador Atenco, where a land resistance movement had succeeded in becoming virtually autonomous from the state. The Zapatistas forged an alliance with the community and, for the present, Marcos and his associates have camped out in Mexico’s urban jungles instead of their traditional bases in the mountains of Chiapas.
» Another flash point is Oaxaca, where teachers have camped in a tent city during a yearlong campaign for pay increases. The armed forces recently tried to dislodge the protestors, using gas from helicopters, and the resistance broadened to 70,000 in the colonial town square. Talks through a federal mediator have broken down and the standoff continues. Lopez Obrador supports the teachers.
» Apocalyptic scenarios are never to be ruled out in Mexico. If Lopez Obrador wins by a close margin and sectors of the elite and armed forces refuse to accept defeat, much of Mexico might become like Oaxaca and San Salvador Atenco, with people pouring into the streets in a prolonged confrontation.
» An even darker projection, commonly if privately expressed by many Mexicans, is that Lopez Obrador will be assassinated if he comes close to the ring of power. Luis Donaldo Colosio, a presidential candidate in 1994, was assassinated in broad daylight. That election ushered in the NAFTA era and the simultaneous Zapatista uprising... »
… Nous parlons dans le titre d’un “Mexique ‘maistrien’” en renvoyant à l’analyse historique que fit Joseph de Maistre de la Révolution française en 1796 (Considérations sur la France). Dans un texte de notre Lettre d’Analyse de defensa à l’occasion du référendum français de mai 2005 (texte mis en ligne sur le site, rubrique de defensa en date du 25 mai 2005), nous avons rappelé le fondement de la méthodologie historique qu’avait développée Joseph de Maistre.
Maistre considérait que, durant certaines périodes de grande importance (la Révolution en fait partie), la puissance des événements qui expriment les grands courants de l’Histoire dépasse et emporte les hommes ; ceux-ci ne sont plus que des acteurs passifs, contraints ou complices s’ils veulent survivre.
Maistre écrivait : « On a remarqué, avec grande raison, que la révolution française mène les hommes plus que les hommes la mènent. Cette observation est de la plus grande justesse... [...] Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement. »
(Le langage choisi montre que Maistre n’avait guère d’estime ni pour la révolution, ni pour les révolutionnaires. Mais il considérait l’événement comme objectivement fondamental. C’est à ce titre qu’il le juge comme un révélateur et comme un “accélérateur” de l’Histoire correspondant à ces “grands courants” qui emportent les hommes. Le jugement n’est pas idéologique. En réalité, Maistre tient que la Révolution, par ses outrances, fait avancer la cause qui lui est inverse, — cause qui a la faveur de Maistre, — et qu’il faut donc lui laisser développer toutes ses outrances.)
Le Mexique semble effectivement dans un moment où des événements importants pourraient l’affecter sans que personne n’ait conçu ni machiné ces événements. L’attente même de tels événements est un facteur indicateur et un facteur mobilisateur pour de tels événements.