Un modèle pour la réforme du Pentagone?

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Un modèle pour la réforme du Pentagone?

Depuis quelques jours et en relation évidente avec la crise financière, surgit à nouveau la question du Pentagone, de son budget qui pourrait être réduit en fonction de la crise financière, mais aussi de sa réforme fondamentale. Tous ces événements sont évidemment liés les uns aux autres, notamment la réduction du budget et le besoin de réforme. Actuellement, les partisans d’une réforme fondamentale se retrouvent en position de force à cause des pressions de la crise financière. On a vu le 10 octobre notre référence au texte du 9 octobre de William S. Lind. Avec ce texte, on reparle à nouveau des “réformateurs du Pentagone” qui eurent leur heure de gloire dans les années 1970 et 1980 et dont il reste aujourd’hui des partisans, – Lind lui-même, mais aussi Winslow Wheeler…

Lind : «In the face of falling defense budgets, the work of the military reformers of the 1970s and 1980s may prove useful. They argued that by putting people and ideas over hardware, we could have more effective forces at a lower cost. Military reform was scuppered by the vast tide of money that flowed into DOD starting in 1980. […] Fortunately, a few people have kept the reformers' ideas alive and updated them, waiting for the financial crisis that has now come. Winslow Wheeler and the Strauss Military Reform Project have published several books on the subject, with a new volume soon going to press…»

Comme le rappelle Lind, Gates lui-même a fait allusion aux “réformateurs du Pentagone” dans de récents discours. C’est une indication qu’il existe dans la pensée du secrétaire à la défense, qui a de solides chances de se succéder à lui-même en janvier 2009, une inclination très nette à se tourner vers les idées réformatrices pour attaquer le problème du Pentagone.

Par conséquent, il est tout à fait justifié de s’attacher à un article que vient de publier Wheeler, notamment dans Armed Forces Journal d'octobre 2008, sur le site CounterPunch et sur le site de l’institut où il travaille, le Center for Defense Information, – le 9 octobre pour ce dernier. Ce texte est intéressant parce que, au-delà de la critique, Wheeler s’attache à proposer un schéma fonctionnel pour mettre en place un dispositif permettant, selon lui, de lancer une réforme fondamentale du Pentagone avec l’arrivée de la nouvelle administration.

Il propose de faire appel notamment à deux organismes extérieurs très compétents et intègres, pour assurer un “audit” de la situation général du Pentagone: le Congressional Budget Office (CBO) et le Government Accounting Office (GAO); de mettre en place une commission indépendante d’enquête qui accueillera et intégrera les données du CBO et du GAO en même temps qu’elle sollicitera divers avis dont seront exclues les personnes et organisations liées au complexe militaro-industriel; de geler les procédures d’acquisition a Pentagone pendant que l’enquête donne ses effets, pour tenter d’établir une situation nouvelle en intégrant les orientations de cette enquête.

Voici le passage du texte de Wheeler comprenant ces propositions:

«The need for integrity in Pentagon expenses is not just a matter of satisfying green-eyeshade accountants. It also means having reliable estimates of cost, schedule and performance for programs. Habitually, at the beginning of an enterprise, the Defense Department underestimates costs, overstates performance and cites a schedule it cannot maintain. Real reforms could be simple, but vested interests with all the power in today’s system will oppose them vehemently.

»Ending the addition of billions of dollars of dubious pork projects to defense bills each year would require a process to sort out the junk from the worthy projects, if any. Members of Congress who argue that their earmarks are good ideas should have no problem with competent, independent evaluation of their proposals and a good-government process for implementing them. In short, any earmark proposed to any defense (or any other) bill should have:

»• An estimate from the Congressional Budget Office for all costs, past, present and future.

»• An evaluation from an independent entity (one with no material interest in the project, which eliminates the Pentagon) to determine if the project is needed and, if needed, whether the proposed solution can be effective. In most cases, GAO can and should provide such evaluations.

»• A requirement that any earmark that successfully emerges from the CBO and GAO evaluations must be submitted to a competitive bidding process, for initial and for any follow-on work.

»Weeding out irrelevancies from the military services’ budgets should be performed by an independent panel. While the views of the military services and of other interested parties should be heard, their membership on any such review panel must be barred for it to have credibility. Similarly, retired military officers who have any pecuniary relationship with defense corporations must also be barred. And finally, any person accepting membership on the panel, as well as staff, should be barred from accepting any future position with any entity that can gain from the panel’s decisions.

»Commensurate with a review panel should be a pause in new contracting and other expenses in the Pentagon, other than contractual obligations already incurred and war expenses that must be paid. New contract obligations and new program, or milestone, decisions should be held in suspension. The purpose of this important step is to permit the program review panel to operate in an atmosphere of seriousness and purpose, and to force the Pentagon to start down the long-avoided road of financial management integrity.

»While new spending is suspended, the Pentagon’s audit agencies and qualified public accounting firms should undertake a maximum effort to audit the entire Pentagon system. The basis for understanding current programs and the financial consequences of new decisions must be established. Without doing so, there is little hope the hardware review panel will be able to understand the consequences of its own decisions. It is also a fundamental question of the Pentagon finally putting aside its empty promises and to actually fix its financial accounts so that future program enterprises are initiated in a system that understands the future consequences of its current decisions.

»After the initial audit, any program, project or activity that has not received a clean audit should be placed on a public watch list for special oversight and frequent periodic reports to the defense secretary and Congress. Programs and their managers that fail should be noted, and new money for programs and promotions for managers that cannot pass an audit should be suspended, except for programs — but not managers — that the Pentagon and Congress jointly certify as essential despite their fiscal turpitude.

»Failure to fix the Pentagon on this essential measure will mean that none of the other reforms will be meaningful. How can you control an acquisition process that you cannot accurately measure in terms of cost, schedule and performance?»

Il nous semble manifeste que les propositions de Wheeler tracent une orientation assez précise vers ce que pourrait être une action de réforme radicale au sein du Pentagone. L’essentiel est bien entendu de réaliser cette action par l’extérieur, hors des canaux et des réseaux habituels de la bureaucratie pentagonesques. (C’est la seule méthode possible pour les réformateurs qui veulent attaquer une citadelle bureaucratique; ce fut notamment la méthode suivie par Gorbatchev in illo tempore.)

Face au Pentagone, la chose n’a pas été souvent tentée, et jamais à cette échelle bien entendu, qui semblerait impliquer une sorte d’arrêt de fonctionnement du processus d’acquisition et de planification interne pendant un certain temps. Il faut signaler que certaines des initiatives de Gates semblent préfigurer cette sorte d’action, comme par exemple le “gel” du processus d’acquisition du programme KC-45. Ce constat renforce l’hypothèse d’une “complicité” entre Gates et les milieux réformateurs, qui pourrait être soutenue par un Congrès qui devrait activer un état d’esprit réformateur sérieux, pour l’instant encore potentiel mais déjà manifesté.

Tout cela est bel et bon mais il n’est pas temps de se dissimuler l’ampleur et la difficulté de la tâche. Si le schéma Wheeler est suivi, le Pentagone identifiera aussitôt une attaque extérieure et mobilisera toutes ses forces contre elle. Le risque est celui d’une guérilla bureaucratique où le seul fait de gagner du temps représente une victoire, parce que les “réformateurs” doivent agir vite et efficacement dans une situation où le fonctionnement du Pentagone ne peut être interrompu trop longtemps. Si ce fonctionnement reprend, selon les nécessités opérationnelles, après une tentative comme celle que propose Wheeler, et cette tentative qui ne serait pas verrouillée définitivement, la bureaucratie retrouvera aisément le dessus. L’action réformiste, pour espérer avoir quelque espoir de réussir, doit être à mi-chemin entre la persuasion et le coup d’Etat institutionnel, mais très vite avec l’accent mis sur le coup d’Etat institutionnel devenant coup de force tout simplement….


Mis en ligne le 13 octobre 2008 à 12H46