Un moment spécial pour les “special relationships”?

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Un moment spécial pour les special relationships?


9 avril 2007 — Nous n’avons guère l’habitude, ici à dedefensa.org, de nous jeter avec avidité sur les théories “complotistes”. Il y a des raisons, disons “objectives” (!) à cela. Dans une époque devenue si totalement virtualiste, où l’affirmation d’objectivité est devenue elle-même une tromperie, — et cela d’abord par la volonté indigne des autorités politiques, anglo-saxonnes pour l’essentiel, — le mensonge et le montage sont devenus une façon d’être, ou une façon d’“informer” ; dans ce cadre où la réalité est complètement une chose aussi malléable que la gomme à mâcher, il n’y a rien de plus aisé que d’imaginer un complot et aucune possibilité réelle de se voir démenti. D’autre part, la théorie du complot, aujourd’hui, fait la part bien trop belle à la capacité de nos dirigeants de contrôler une époque alors qu’il est manifeste par ailleurs qu’ils sont impuissants à le faire.

Cela dit et bien compris, — tout de même, l’affaire des prisonniers britanniques relâchés par les Iraniens, ou l’affaire des “otages” britanniques libérés, semble et nous semble bien suspecte. Cette différence d’énoncé (prisonniers – otages), déjà, indique la suspicion qui est de règle. Cette suspicion est de règle, surtout depuis le retour des prisonniers. Il y a d’abord la question du traitement des “otages” par les Iraniens, passés brusquement d’une représentation théâtrale du Paradis (à Téhéran) à une représentation théâtrale de l’Enfer (à Londres) ; il y a l’affaire des contrats instantanément passés entre les organes de presse et les mêmes “otages”, dont on pourrait penser qu’ils font partie d’un “arrangement” entre le MoD et les “otages” pour peaufiner une version officielle.

Enfin, — et c’est là où nous voulons en venir, — il y a la question de l’attitude des USA. Si nous nous attachons à ce dernier point, c’est essentiellement à cause de sa dimension politique importante. Nous donnons ci-après deux ou trois pièces pour constituer le dossier.

• Le Guardian/Observer, critique de la politique étrangère de Blair mais jamais d’une façon radicale, de tendance travailliste et fidèle au parti, a publié à deux reprises des informations intéressantes sur l’attitude des USA et le rôle “directeur” des Britanniques à cet égard. Un premier texte significatif paraît le 31 mars. Nous en parlions dans un F&C, il y a trois jours. Avions-nous raison de tenir ce commentaire pour “juste”, — ou bien ne faudrait-il pas le définir comme “juste pour une bonne part, mais déjà un peu sollicité” ?

«…Le Royaume-Uni face à l’Iran se garda bien d’en appeler à la solidarité de son mentor. Rétrospectivement, on peut tenir pour juste le commentaire (“The American Dimension”) du Guardian du 31 mars : “Even though the prisoners are British rather than Americans, neocons have been desperate to head for television studios. The only reason they have not done so yet is a request by the British government to the Bush administration to stay out of it. Word has also reached members of Congress. The British fear is that even a mild rebuke from President George Bush, or a neoconservative such as John Bolton, will be counterproductive, escalating the crisis and making it harder to get the 15 back. Tony Blair is well aware of the battle lines in Washington and, hopefully, will keep this at the top of his mind during the crisis…”»

• Le 7 avril, il y a un article du même Guardian sur le sujet. Très documenté, plein de détails convaincants. Il s’avère, d’après ce compte-rendu , que le Pentagone était prêt à tout pour aider les Britanniques et que les avisés Britanniques ont repoussé ces propositions pour ne pas compromettre les négociations.

«The US offered to take military action on behalf of the 15 British sailors and marines held by Iran, including buzzing Iranian Revolutionary Guard positions with warplanes, the Guardian has learned.

»In the first few days after the captives were seized and British diplomats were getting no news from Tehran on their whereabouts, Pentagon officials asked their British counterparts: what do you want us to do? They offered a series of military options, a list which remains top secret given the mounting risk of war between the US and Iran. But one of the options was for US combat aircraft to mount aggressive patrols over Iranian Revolutionary Guard bases in Iran, to underline the seriousness of the situation.

»The British declined the offer and said the US could calm the situation by staying out of it. London also asked the US to tone down military exercises that were already under way in the Gulf. Three days before the capture of the 15 Britons , a second carrier group arrived having been ordered there by president George Bush in January. The aim was to add to pressure on Iran over its nuclear programme and alleged operations inside Iraq against coalition forces.

»At the request of the British, the two US carrier groups, totalling 40 ships plus aircraft, modified their exercises to make them less confrontational.

»The British government also asked the US administration from Mr Bush down to be cautious in its use of rhetoric, which was relatively restrained throughout.»

• Confrontés à ces informations, il est alors avisé de revenir au texte officiel de Tony Blair, le 4 avril, peu après la libération des prisonniers. A ce moment, les prisonniers sont en sécurité, il n’est plus question d’éventuellement ménager l’Iran au nom d’une tactique de circonstance. Dans le bref communiqué du Premier ministre (voir par exemple AP/USA today), quelques lignes sont consacrées aux remerciements à ceux qui ont aidé le Royaume-Uni :

«…I would like to thank our allies in Europe, our allies in the United Nations Security Council for their support, and also our friends and allies in the region who played their part.

»We're grateful to all of them as we are to the officials in the Foreign Office and the Ministry of Defense and here in Downing Street for the work that they have done.

»And to the Iranian people I would simply say this: We bear you no ill will, on the contrary, we respect Iran as an ancient civilization as a nation with a proud and dignified history.

»And the disagreements that we have with your government we wish to resolve peacefully through dialogue…»

Une confusion dans la connivence des rapports stratégiques

Ces gens sont attentifs à la forme, à l’effet, au spin, à la “narrative” des choses. Rien de plus normal puisqu’ils ne vivent que de ça et agissent principalement par cela. Dans ce contexte, voilà Tony Blair qui remercie les Européens, le Conseil de Sécurité, les “pays de la région” qui ont aidé le Royaume-Uni (c’est-à-dire le Qatar et... la Syrie), éventuellement le peuple iranien et, pour un peu, le gouvernement iranien… Et pas un mot pour les USA, dont on apprend trois jours plus tard qu’ils ont offert une aide militaire sans limites aux Britanniques?

Ajoutons que l’affaire, — le rôle des USA dans cette crise très rapide, — n’a été que rarement évoquée par les commentateurs britanniques, y compris les plus dithyrambiques pour les special relationships. (On peut aussi rappeler le commentaire de Niall Ferguson, déjà cité, signalant simplement l’indifférence US à cette affaire.)

Il existe donc un mystère des relations USA-UK pendant cette crise. Les informations données par le Guardian ne sont pas nécessairement inexactes mais elles peuvent avoir été tronquées, interprétées, etc. Il faut d’autre part observer une autre coïncidence qui peut être autre chose qu’une coïncidence : la visite de Nancy Pelosi en Syrie le 3 avril, la veille de la libération des prisonniers britanniques, alors que la Syrie joue un rôle central dans les négociations de coulisse qui ont abouti à la libération des Britanniques.

L’interprétation US du comportement de l’administration GW Bush pendant cette crise est aujourd’hui extrêmement incertaine. Notons ce qu’en écrit Jim Lobe, citant l’un et l’autre experts (sur Atimes.com aujourd’hui) :

«The Bush administration's relative silence during the crisis may also have conveyed, inadvertently perhaps, another message — that, despite widespread speculation that its recent military buildup in the Persian Gulf is intended to prepare the grounds for an attack on Iran, it has no wish to do so, at least for the moment.

»“The Iranian capture of 15 [British] military personnel could certainly have been used as ... a pretext [for a military strike], since it could easily have escalated to a full-fledged military crisis,” said [Gary Sick, an Iran expert at Columbia University who served in the White House under president Jimmy Carter]. “I regard the absence of unbridled escalation in this case as a significant indicator that the US desire for a strike may be more muted than it has been portrayed.”»

Nous en resterons à ces diverses questions implicitement posées, pour retenir plutôt ces quelques points fondamentaux :

• La crise s’est très vite résumée à un dialogue bilatéral, et elle s’est résolue grâce à ce dialogue bilatéral. Cela a constitué de facto une rupture du front anglo-américain, et c’est sans doute un résultat important, peut-être inespéré pour les Iraniens.

• Qu’il y ait eu ou non des offres d’aide US, qu’elles aient été ou non repoussées par les Britanniques, le fait est que la crise n’a été marquée par aucune pression militaire notable de la part des USA. Cela aussi, c’est une rupture du front anglo-saxon, parce que la logique des situations, — et c’est ce que réclamaient les néo-conservateurs et autres extrémistes derrière Bush, — voulait que les USA tiennent le rôle du bâton tandis que les Britanniques auraient tenu celui de la carotte. Si cette absence des rôles logiques est le résultat de la position du Royaume-Uni, cela signifie une évolution notable de sa politique.

• Dans tous les cas, l’absence de “remerciements” britanniques aux USA, et de Tony Blair en plus, représente un signe puissant d’une confusion bien réelle dans les rapports USA-UK, dans un problème absolument essentiel de leur connivence stratégique actuelle. La scène est difficile à détailler mais il semble possible qu’une évolution des rapports entre les deux alliés puisse avoir lieu.