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5639• Nous vivons une époque dont les changements sont décrits comme « peut-être les plus importants de ces derniers siècles », selon le Russe Bordachev, directeur du Programme du Valdaï Club. • Il en résulte qu’il n’y a plus guère de grandes puissances régulatrices et que des acteurs d’habitude d’importance négligeable acquièrent assez de poids pour faire évoluer des projets géopolitiques extravagants. • Ainsi du projet de “Grande-Pologne”, décrit comme un « monstre géopolitique » faisant barrage contre la Russie. • Texte du site italien ‘Piccole Note’.
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Parlons donc de la Pologne. Il n’est pas courant, pour un pays qu’on a l’habitude de considérer comme du “deuxième tiers” en Europe (“Trop grand pour être un petit pays, trop petit pour être un grand pays” comme l’on dit de la Hollande), de se trouver, – volontairement et consciemment, – au centre de querelles et d’hypothèses propres à bouleverser la carte du monde et – “volontairement et consciemment”, et tout juste à regret, – de susciter ce qui s’approcherait le plus d’une guerre mondiale. Il n’est pas courant d’être étiqueté, soit comme « le pays le plus puissant d’Europe », soit comme « un monstre géopolitique », comme l’est la Pologne selon deux des intertitres du texte ci-dessous.
... Lequel texte nous embarque dans une étrange aventure qui reste solidement ancré dans la mémoire polonaise, qui est en général moquée (l’aventure) par les gens séreux, qui se trouve aujourd’hui considérée avec quelque sérieux sinon quelque frayeur ; il faut dire que le projet est salué au champagne par les neocon, c’est tout dire... Il s’agit de l’idée de “la Grande-Pologne”, ressuscitant une sorte d’avatar moderne et même postmoderne de l’Empire Jagellon. On parle d’une sorte d’“empire des trois-mers” (Baltique, Mer Noire, Adriatique), évidemment au travers d’une union/annexion liant l’Ukraine, ou ce qu’il en resterait, aux bottes d’une Pologne chevauchant des vieux rêves et acceptant d’être étroitement liée au tuteur américaniste.
Le plus étrange, ou le plus significatif de notre époque, est qu’une telle représentation n’est pas écartée d’un sourire ou d’un geste nonchalant de la main. Il s’agit là d’une application d’une nouvelle définition du monde, qui concerne un passage furieux et tempétueux, dans une époque différente, avec une extraordinaire rapidité, réveillant ainsi des bouleversements et des emportements dont nous n’avions plus l’habitude, et dont, sans doute, nous n’eûmes jamais vraiment l’habitude.
Le Russe Timofei Bordachev, directeur du Programme du Valdaï Club, a signé un article intéressant, éclairant à cet égard, pour RT.com le 28 avril 2023, sous la présentation suivante :
« Comment des manœuvres diplomatiques de plus en plus frénétiques remodèlent l'ordre mondial
» Ces tendances sont particulièrement évidentes dans le comportement des pays occidentaux, mais la plupart des autres pays ne font pas exception. »
On reprend le passage de l’introduction de cette analyse, sur lequel nous reviendrons sans aucun doute. On comprend que nous prenons l’exemple de la Pologne, – dans une situation d’importance et d’influence absolument inédites, qu’on n’aurait jamais cru possible il y a dix ans ou trente ans, ou cinquante ans, – pour ce passage de la citation ; c’est-à-dire que nous prenons la Pologne comme un de ces « petits et moyens pays, en particulier ceux qui se sont fait connaître pour leur habileté à tirer le meilleur parti de situations internationales ambiguës ! »... On comprend ce que nous entendons, si l’on n’est pas trop sourd.
« Il ne fait aucun doute que le monde est en pleine mutation. Les changements actuels sont peut-être les plus importants de ces derniers siècles. Cela est d'autant plus vrai que jamais dans l'histoire de la politique internationale, il n'y a eu autant d'acteurs issus de contextes historiques et culturels différents. Cela signifie que nous ne parlons pas d'une nouvelle redistribution du pouvoir au sein d'un cercle restreint d'États, mais d'un phénomène beaucoup plus large.
» Dans la pratique, cependant, ces changements radicaux ont conduit à une situation très paradoxale : La diplomatie est fortement influencée par des manœuvres tactiques plutôt que par des considérations stratégiques. Cela est particulièrement évident dans le comportement occidental, mais la plupart des autres pays ne font pas exception. Même les actions de puissances telles que la Chine ou la Russie, qui sont à bien des égards de véritables exemples de conservatisme diplomatique, montrent des signes de préoccupations contextuelles. Mais que dire alors des petits et moyens pays, en particulier ceux qui se sont fait connaître pour leur habileté à tirer le meilleur parti de situations internationales ambiguës !
» En d'autres termes, ce ne sont pas seulement les grands États qui détermineront la composition du nouvel ordre mondial, mais aussi les petits opportunistes qui sont aujourd'hui à la manœuvre en permanence. »
Le “projet“ que décrit le site ‘Piccole Note’ n’est pas une divagation complètement hors de saison mais bien un projet dont l’on débat, comme le montrent des citations d’un article du ‘Guardian’ et d’un autre de ‘Foreign Policy’ (USA). Bien entendu, tout cela se place dans le chaos géopolitique qu’a installé la guerre en Ukraine suivant les manœuvres de pression otanienne et américaniste sur la Russie des années précédentes. Le projet de Grande-Pologne est effectivement et naturellement soutenu par les neocon US qui inspirent la politique de Biden, à partir d’une situation où la Pologne pourrait absorber une part importante de l’Ukraine et se proclamer comme rempart contre la Russie.
Le projet est effectivement dénoncé par une opposition polonaise qui s’établit de plus en plus fermement contre les effets de la guerre en Ukraine. C’est le cas de Michael Krupa, dont on a déjà pu lire un texte sur ce site, et qui en publie un autre ce 29 avril sur le site de Larry S. Johnson. Krupa appuie fermement la candidature de Donald Trump et son programme condamnant radicalement les aventures bellicistes de Biden, et notamment l’engagement US en Ukraine et en Pologne, – avec le projet de la Grande-Pologne, ce “monstre géopolitique” accouché par le chaos de la GrandeCrise...
Ainsi, de Krupa, cette dénonciation du projet de Grande-Pologne, cette folie neocon si parfaitement de son temps et à sa place dans cet instant d’espace-temps où règne le plus formidable chaos de toute notre histoire moderne, et comme pour l’achever dans sa phase de l’activité idéologique de la modernité.. Car c’est bien dans ce cadre de la bataille civilisationnelle qu’il faut envisager cet étrange projet polonais soutenu par le chaos progressiste américaniste :
« Non. En tant que Polonais, je ne considère pas la Russie comme mon ennemie.
» Les troupes américaines ne devraient pas être stationnées en Pologne et servir d'avant-postes aux fantasmes des néoconservateurs.
» Je ne considère pas le régime corrompu actuel de Kiev comme mon ami.
» Les drapeaux arc-en-ciel flottant aux côtés des drapeaux ukrainiens sur la Pologne me mettent bien plus en colère que les drapeaux russes flottant sur la Crimée ou le Donbass.
» Nous devons tourner nos armes politiques et notre juste colère contre l'ennemi intérieur - les mondialistes et leurs complices volontaires, les partisans de l'apocalypse de notre civilisation, en particulier ceux qui ne restent conservateurs et patriotes que de nom.
» Donald Trump doit être le marteau qui décimera cet agenda impie. »
Ci-dessous, voici donc le texte du site ‘euro-synergies.hautetfort.com’, reprenant cette note du site italien ‘Piccole Note’ sur le projet de Grande-Pologne ressuscitant un “empire” du XIVème siècle pour s’ériger en défenderesse d’une civilisation américaniste placée en asile de fin de vie au début du XXIème siècle. La description nous suggère implicitement, par simple absence de références, l’espèce de paralysie qui touche les grands pays occidentaux de l’UE, – notamment la France et l’Allemagne, sans surprise, – devant cette agitation qui évolue vite, et qui déconstruirait complètement l’actuel arrangement européen, – ou “dérangement” si l’on préfère, – et peut-être est-ce effectivement préférable...
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Alors que la confrontation en Ukraine reste incertaine, il est toutefois certain que la Pologne figurera parmi les gagnants de cette guerre. Le récent voyage du Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki à Washington a définitivement relancé cette perspective géopolitique d'importance mondiale, car le poids de la Grande Pologne sera considérable à l'avenir.
Le Guardian écrit à ce sujet : « Tous les grands partis polonais soutiennent l'Ukraine, mais ils espèrent aussi que, bien que l'arc de l'histoire soit long, il finira par s'infléchir vers un nouvel ordre géopolitique. Ils veulent que l'Ukraine émerge de cette guerre comme une étoile montante, qu'elle renverse l'orientation occidentale séculaire de l'Europe et que la Pologne devienne le “vainqueur non déclaré” du conflit.
Cette perspective éblouissante devrait se concrétiser après la fin de la guerre par l'annexion de l'Ukraine, – ce qu'il en resterait, – par la Pologne.
Une concession bienveillante de la part de Zelenski qui, lors de sa visite à Varsovie au début du mois d’avril, l’a déclaré sans ambages, affirmant qu’« il n'y aura plus de frontières » entre les deux nations, (créditant ainsi sa personne du pouvoir de faire ce qu'il veut du pays dont il ne devrait être que le président).
C'est en effet un développement étonnant pour une guerre dans laquelle l'Occident s'est porté à la défense de l'intégrité territoriale de l'Ukraine parce que le respect de cette intégrité ferait partie des “règles” du monde qu'il est censé préserver. Cette intégrité, menacée par la Russie, sera préservée, précisément, par la dilution de l'Ukraine dans la Grande Pologne. Une schizophrénie flagrante.
Si une telle perspective a un fondement, ce n'est pas tant en raison des visées expansionnistes polonaises ou des décisions arbitraires de Zelenski, mais en raison des sponsors internationaux d'un tel projet, qui sont alors les mêmes milieux qui alimentent cette guerre par procuration contre la Russie, c'est-à-dire les milieux anglo-saxons hyper-atlantistes.
Dans ‘Foreign Policy’ (FP), par exemple, on s'extasie sur cette perspective qui propose en clef moderne le retour de l’âge d’or de la Grande Pologne, celui de l’Empire Jagellon établi vers la fin du 14ème siècle, – après la fusion avec la Lituanie par mariage, – qui dura, avec des fortunes diverses, jusqu'au 18ème siècle, étendant sa domination sur la Biélorussie, l'Ukraine, la Lettonie, l'Estonie, la Tchéquie, ainsi qu'une partie de la Prusse, de la Hongrie et de la Russie.
C'est précisément à cette période que l'on doit le vif conflit entre la Pologne et la Russie, car les Russes étaient si hostiles à la domination polonaise que le jour de la libération de Moscou de l'oppresseur est toujours célébré comme une fête nationale (qui coïncide d’ailleurs avec la fête de Notre-Dame de Kazan, la sainte patronne de la Russie, également parce que l'on attribue cette libération à son intercession).
L'antagonisme atavique Moscou-Varsovie fait de la Grande-Pologne un rempart idéal pour contenir la Russie et rompre temporairement les relations entre Moscou et l'Europe occidentale, comme le souhaitent les néoconservateurs US.
Mais, comme l'explique le ‘Guardian’ dans le passage ci-dessus, ce projet a également pour but de dévaloriser de plus en plus le rôle géopolitique de l'Europe occidentale. En fait, précise FP, l’empire Jagellon n'est pas né pour affronter des ennemis orientaux, mais pour faire face à la « menace des chevaliers teutoniques ».
La suite de l'article de FP est instructive: après avoir souligné les difficultés rencontrées par l'Ukraine pour rejoindre l'OTAN et l'UE, il explique: « Imaginez plutôt qu'à la fin de la guerre, la Pologne et l'Ukraine forment un État fédéral ou confédéral commun, fusionnant leurs politiques étrangères et de défense respectives et amenant l'Ukraine à rejoindre l’UE et l’OTAN presque instantanément.
» L'Union polono-ukrainienne deviendrait le deuxième plus grand pays de l'UE et se révélerait probablement être la plus grande puissance militaire du continent, assurant un contrepoids plus qu'adéquat au tandem franco-allemand, ce qui manque à l’UE après le Brexit » [au profit de Londres, pourrait-on ajouter].
» Pour les États-Unis et l'Europe occidentale, l'Union serait un moyen permanent de protéger le flanc oriental de l'Europe contre l'agression russe. Au lieu d'un pays de 43 millions d'habitants, quelque peu chaotique, traînant dans le no man's land, l'Europe occidentale serait protégée de la Russie par un pays redoutable ayant une conscience très claire de la menace russe ».
» “Sans une Ukraine indépendante, il ne peut y avoir de Pologne indépendante”, avait déclaré publiquement Jozef Pilsudski, qui dirigea la Pologne entre les deux grandes guerres et préconisa une fédération d'Europe de l'Est dirigée par la Pologne, qui inclurait la Lituanie, la Biélorussie et l'Ukraine, essentiellement une réédition du Commonwealth médiéval [polono-lituanien].
» Il ne s'agit pas d'un fantasme. Au début de la guerre actuelle en Ukraine, la Pologne a adopté une législation permettant aux réfugiés ukrainiens d’obtenir des cartes d'identité polonaises, leur donnant ainsi accès à une série de prestations sociales et de santé réservées aux citoyens polonais.
» Le gouvernement ukrainien a promis de rendre la pareille aux Polonais résidant en Ukraine en leur accordant un statut juridique refusé aux autres citoyens étrangers. Avec plus de 3 millions d’Ukrainiens vivant en Pologne [...], les liens culturels, sociaux et personnels entre les deux nations se renforcent chaque jour. »
Une telle fusion/annexion comporte de nombreuses difficultés, mais FP cite l'unification allemande d'après 1989 comme un exemple vertueux. Elle est possible « quand il y a une volonté politique », conclut-il. Et la volonté politique est là: les Etats-Unis et la Grande-Bretagne peuvent compter sur Varsovie pour protéger leurs intérêts sur le continent européen et vis-à-vis de Moscou.
Si l'on considère l'armement de l'OTAN qui se déverse en Ukraine et en Pologne, la convergence du mouvement néo-nazi ukrainien avec les pulsions nationalistes polonaises, l'antagonisme vif des deux pays à l'égard de la Russie, rendu incandescent par le conflit actuel, et leurs visées mal dissimulées sur le Belarus, tout cela fait de cette créature géopolitique, née de l'ingénierie politique anglo-saxonne, un monstre géopolitique coincé en Europe continentale. La réalisation du rêve néocon risque donc de se transformer en cauchemar pour le reste des pays européens (et pas seulement).
Pour conclure, il convient de mentionner que cette perspective n'est pas d'aujourd'hui. Depuis un certain temps, l'OTAN, en collaboration avec des politiciens locaux, travaille sur le projet Intermarium, c'est-à-dire l'union des pays d'Europe centrale et orientale, de la Baltique à la mer Noire et à l'Adriatique, dans une fonction antirusse; de même que depuis un certain temps, des rumeurs circulent sur la fusion ukraino-polonaise. Mais il nous a semblé utile d'enregistrer l'accélération en cours.
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