Un nouveau “front” : Arabie versus Israël

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Le tourbillon de la crise iranienne et des satellites de la crise générale du Moyen-Orient se poursuit, toujours dans le désordre le plus complet et ce qu’on pourrait désigner comme une sorte de “mélange des genres”. Il y a quelques semaines, lors de l’“attentat” raté et bidon contre l’ambassadeur saoudien aux USA, irréfutablement d’origine iranienne puisque bidonné en conséquence (partie iranienne associée aux narcotrafiquants mexicains, – bigre, en vérité…), il ne faisait aucun doute qu’Israël et l’Arabie se tenaient fermement côte à côte contre le diable iranien, jusqu’à envisager des arrangements militaires en cas d’attaque israélienne. Changement de décor, de scène et de scénario… Par quoi commencer dans l’échange ci-après exposé ?

• Prenons l’Arabie Saoudite pour constater brièvement, avant de céder la plume à l’excellente synthèse de John Glaser, sur Antiwar.com le 25 janvier 2012, que les Saoudiens réactivent la perspective terrifiante pour Israël de l’établissement d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient, – comprenant l’Iran certes, mais Israël évidemment… Et celui qui fait cette proposition, Prince Turki, est un membre influent dans l’innombrable amoncellement de princes saoudiens, ancien chef du renseignement saoudien, qui s’est jusqu’ici fait remarquer par des incitations incendiaires pour l’élimination du nucléaire militaire iranien, – lequel, comme l’on sait ou l’on ne sait pas en général si l’on s’en tient aux communiqués officiels, est un objet d’hypothèses variées mais n’a aucunement la réalité solide des 300 têtes nucléaires israéliennes prêtes à l’emploi. (Le souligné en gras, dans les déclarations de Prince Turki est de notre fait, comme l’on ne manquera pas de s’en douter.)

«Prince Turki Al Faisal urged the five permanent U.N. Security Council members to guarantee a nuclear security umbrella for Mideast countries that agree to a nuclear weapons-free zone and impose sanctions on countries that develop or maintain nuclear weapons. “I think that’s a better way of going at this issue of nuclear enrichment of uranium, or preventing Iran from acquiring weapons of mass destruction,” he told the Associated Press. “If it goes that route, I think it’s a much more equitable procedure than what has been happening in the last 10 years or so.” Turki said establishing a nuclear weapons-free zone “deserves everybody’s attention and energy, more so than other activities which we see unfolding, whether it is redeployment of fleets in the area, whether Iranian or American or British or French, whether it is the sanctions efforts against Iran.”

» The former Saudi intelligence chief was referring not just to Iran – on whom the Security Council has already imposed sanctions for its nuclear program – but also to Israel, the only state in the region that possesses nuclear weapons, although they refuse to confirm or deny the fact.»

• …Et voici que le même jour, le 25 janvier 2012, l’honorable site DEBKAFiles, qui nous dit tout haut ce que souvent pense Netanyahou tout bas, nous fait part des inquiétudes israéliennes devant les considérables livraisons d’armes US à l’Arabie Saoudite, à venir, en… 2015. (84 chasseurs de pénétration à grandes capacités Boeing F-15SA, vendus pour $29,4 milliards, livrables en 2015, en plus des 72 Typhoon britannico-européens [EADS] qui, paraît-il, sont capables de voler et même d’attaquer.) Voilà un canard (l’armement US de l’Arabie menaçant Israël) aussi vieux que la Guerre froide (la première affaire de cette sorte remonte à 1980), canard qui ne volait plus guère depuis un certain temps, tant on croyait la partie bien engagée entre les compères saoudien et israélien. Il est très difficile de ne pas voir entre les deux nouvelles une sorte de rapport de cause à effet, dans le sens qu’il vous plaira (Saoudiens d’abord, ce qui serait notre hypothèse privilégiée, puis réaction israélienne, ou l’inverse). Bref, la nouvelle de DEBKAFiles nous rappelle qu’entre l’Arabie et Israël, il y a un contentieux sans fin, enterré pour un temps, qui ressurgit à cette occasion… La cerise sur le gâteau dans cette intervention de DEBKAFiles se trouve sans aucun doute dans l’hypothèse évoquée que quelques-uns des avions saoudiens pourraient être utilisés par des pilotes saoudiens déguisés en terroristes d’al Qaïda high tech (il faut cela pour piloter des F-15), ou par des terroristes d’al Qaïda high tech déguisés en pilotes saoudiens, pour effectuer contre Israël une attaque type 9/11 (référence imparable dans les entretiens habituels USA-Israël). Le scénario est certes hollywoodien, mais il y a bien assez d’imagination dans la communauté américanisto-sioniste, à Washington et ailleurs dans la périphérie, pour la prendre au sérieux.

«…With its latest acquisitions from Washington and Europe, the Saudi Air Force will have more fighter-bombers of more advanced models that the Israeli Air Force. Deep concern over this was recently relayed by Prime Minister Binyamin Netanyahu and Defense Minister Ehud Barak to President Barack Obama, Secretary of State Hillary Clinton and Defense Secretary of Defense Leon Panetta.

»DEBKAfile's Washington and military sources that Israel made its concern known with the utmost discretion so as not to be seen as hampering the expansion of the Saudi Royal Air Force as Riyadh gets set to tackle Tehran should Saudi oil exports be sabotaged by Iranian attacks on its oil production or the closure of the Strait of Hormuz, its primary export outlet. […]

»Israel leaders reminded the Obama administration of its standing pledge to maintain Israel's qualitative military edge in the region. The aircraft supplied to the Saudis will place that edge in doubt. They voiced two additional causes for concern:

»1. One fine day, Saudi Arabia, which has never agreed to peace relations with Israel, may be moved to attack the Jewish state from an air base very close to Israel's shores. That proximity and the size and quality of its air force will allow dozens of warplanes to penetrate Israel's air defenses and drop bombs on southern and central Israel.

»2. Israel also fears that four or five Saudi pilots or hired Islamist fliers may one day form an al Qaeda cell inside the Saudi Air Force and conspire to carry out a suicide attack on Israeli cities on the model of al Qaeda's 9/11 attacks on New York and Washington, most of whose participants were Saudis.

»Israeli intelligence officials in close touch with American counterparts asked them if Washington had asked for Saudi assurances about the reliability of the air crews who will man the new F-15SA planes. They were told that no such guarantees had been requested.»

La dernière précision est donc du plus haut comique, à un point qu’elle pourrait être vraie… Demander aux pilotes saoudiens, ou aux innombrables princes de la famille, de jurer que les F-15 ne seront jamais utilisés contre Israël, voilà qui ramène la diplomatie au rang de la bande dessinée ou des films hollywoodiens sur les croisades. (Quoi qu'il en soit par ailleurs des limitations secrètement installées sur les armements occidentaux de hautes technologies livrés à des pays extérieurs, notamment du Moyen-Orient ; mais ces dispositions ne font pas partie de la diplomatie, d'autant qu'elles ne dépendent que d'engagements verbaux et qu'on en ignore l'efficacité réelle.) Il y a donc suffisamment d’arguments pour croire à la véracité de la nouvelle, puisque c’est dans ce climat que les choses se font aujourd’hui. Mais laissons-là l’affaire des F-15, qui est manifestement un argument déterré en toute hâte par Israël pour porter le soupçon sur l’Arabie et sur tout ce que ce pays pourrait faire de propositions. Bientôt, l’on nous convaincra que le pullulement des princes est l’inspirateur direct du discours d’Ahmadinejad sur l’élimination d’Israël de la carte du monde, discours dont on sait évidemment qu’il n’a jamais contenu cette proposition. (Raison de plus pour y croire et, chemin faisant, y impliquer les princes… Ainsi se règlent effectivement, aujourd’hui, les grandes affaires sérieuses du monde, – bis repetitat.)

Dans le chef des Saoudiens, l’idée de relancer l’idée de la zone dénucléarisée, par l’intermédiaire d’un prince qui reste influent, marque leur méfiance extrême, à la fois du comportement des Israéliens selon l’idée qu’Israël, une fois “réglé” le problème iranien, pourrait bien participer à l’effort de déstabilisation de l’Arabie en cours, notamment depuis le Qatar ; à la fois des promesses renouvelés pour la nième fois, de la part des USA, de veiller à la sécurité de l’Arabie, en liquidant le problème iranien et en contenant les ardeurs israéliennes jusqu’à prévenir tout tournant anti-saoudien du type qu’on a évoqué. Bref, les Saoudiens ne croient pas fondamentalement à la fameuse coalition anti-iranienne et, passé l’un ou l’autre moment de fièvre, reviennent à des jugements plus équilibrés, correspondant à la complexité de leur anxiété permanente, qui prennent en compte tous les dangers vrais et potentiels de la région qui les guettent. On pourrait ajouter que certains dirigeants saoudiens pourraient ne pas être insensibles à certaines avances iraniennes, faites il y a quelques semaines, d’un renversement d’alliance contre Israël et les USA. Sans aller à cette extrémité, ils pourraient admettre, en effet, que le danger de la région n’est pas iranien et que les engagements US de veiller à la sécurité générale de cette région ne valent guère que ce que valent la puissance et la résolution des USA ces derniers temps,– c’est-à-dire, plus vraiment tripette, vu l’état de la chose (l’ensemble “puissance-résolution” des USA). On dit également que l’amélioration des relations entre l’Arabie et la Chine pourrait fort bien se faire au profit de l’idée générale du Prince Turki, plutôt que contre l’Iran…

Par ailleurs, et pour passer sur l’autre versant de ce nouveau “front”, les Israéliens, Netanyahou-style, sont terrorisés à l’idée de cette zone dénucléarisée qui permettrait effectivement de régler le problème de l’obsession du nucléaire iranien qui les occupe si complètement en leur conférant une importance considérable, en réglant pareillement celui du nucléaire israélien. Ils le sont d’autant plus que les Saoudiens ne sont pas seuls à jouer avec cette idée, qui est depuis longtemps à l’agenda des organisations internationales chargées de ces questions. Les Turcs y sont favorables, les Egyptiens nouveau style également, les Russes également (et les Chinois avec eux, et sans doute les Indiens malgré tout, et les Brésiliens, etc.), et ainsi de suite. Même les Français devraient être conduits à reconnaître, selon les vertus de leur belle logique cartésienne, que cette idée conduirait à une solution d’un problème (la crise iranienne) dont Sarko nous ânonne depuis 2007 qu’elle est “la plus grave crise internationale”, etc.

Il faut admirer la souplesse extraordinaire de ce champ d’expérimentation des vertueuses relations internationales type-bloc BAO qu’est la crise iranienne. On passe d’un théâtre à l’autre, d’un sujet à l’autre, les alliances temporaires et occasionnelles se font et se défont, temporairement et occasionnellement comme il se doit. On a peu l’occasion de tenir aussi fermement l’archétype même de ce que sont devenues, depuis au moins dix années, et, en réalité, depuis la fin de la Guerre froide, les relations internationales. Le désordre y est considérable, à un point tel qu’on n’arrive plus à trouver aujourd'hui une interstice sérieuse où glisser enfin une attaque non moins sérieuse, sans provocation ni accord international, contre un pays déclaré “paria international”.


Mis en ligne le 26 janvier 2012 à 12H11

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