“Un nouveau pape est appelé à régner...”, etc

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“Un nouveau pape est appelé à régner...”, etc


14 janvier 2004 — Comme on dit au cinéma, on connaît la chanson : “Un nouveau pape est appelé à régner, — Araignée ? Quel drôle de nom pour un pape ...”, — et ainsi de suite, sorte de mouvement perpétuel. Ce pastiche de l’absurde est ressorti à chaque fois qu’on approche de la succession d’un pape, et c’est le cas avec Jean-Paul II, — ou, plutôt, certains l’avancent en fonction de ce qui est supposé être son état de santé (mauvais) et on commence à parler de son éventuel trépas, par conséquent de son remplacement.

L’article de l’écrivain italien Roberto Pazzi, d’abord publié en Italie (en italien) puis publié dans sa version anglaise par l’International Herald Tribune, exprime indirectement une tendance importante au Vatican : celle qui veut un retour à un pontificat plus “classique”, c’est-à-dire à un Pape italien, — bien que l’idée soit présentée par Pazzi dans des termes de modernisme (avec un nouveau pape italien, « [w]e would surely have in bioethical and sexual matters a more modern and less conservative attitude... »). Le cas est important : parce que le pontificat de Jean-Paul II a été lui-même d’une considérable importance, sur un temps très long, ce qui rend sa succession si importante ; parce que la question se pose dans des temps extraordinairement incertains et fondamentaux, où, justement, le Vatican, et singulièrement Jean-Paul II, ont joué un rôle extrêmement important (prise de position très active du Vatican contre la guerre en Irak).

Avec respect, avec prudence, c’est-à-dire avec habileté, Pazzi offre une critique appuyée de Jean-Paul II. (Il le fait au nom d’une certaine connaissance de ces milieux du Vatican et autour, et de liens indiscutables qu’il a avec eux ; Pazzi est l’auteur de livres, tel que Conclave, qui prennent le Vatican pour cadre et la politique de l’Église pour fond de l’intrigue.) Il juge que ce pape polonais fut, souvent, Polonais avant d’être pape. Il lui reproche implicitement, pour une bonne part, un anticommunisme trop virulent. On pourrait répondre à Pazzi que ni les pays de l’Est, ni la Russie n’ont à s’en plaindre, tant le rôle de ce pape dans la chute du communisme, conséquence au moins en partie de sa nationalité polonaise et de sa conviction anticommuniste, fut considérable et incontestable. Mais Pazzi, décidément habile et d’ailleurs avec des arguments méritant d’être considérés, se garde bien de se laisser entraîner sur ce terrain-là de la chute du communisme orthodoxe et oppressif.


« While retaining one's respect and admiration for the great pope who is John Paul II, one might still ask what it means to have had a Polish bishop of Rome for 25 years. Beyond the many authoritative observations of the Vatican specialists — reporters like Marco Politi of La Repubblica; periodicals like Limes; scholars like Alberto Milloni, to name just a few — it is not only an obvious matter of national pride that makes many of us Italians dream of the election of a fellow countryman. One often gets the distinct impression that the bishop of Rome believes he is still sitting in Krakow and not in the Vatican, and that the weight of the anguished history of Poland lies heavy on his shoulders.

» Indeed, his visceral anticommunism is that of the Pole who has felt his country oppressed by the Soviets. That feeling has often informed choices made by John Paul that might have had a different outcome, ones perhaps more appropriate to Catholics in the parts of the world where they took effect. How otherwise to explain the harsh condemnations of the new catechisms of Central and South America, where the Catholic Church was allied with the Marxists against the abuses of dictatorships and capitalist oligarchies? Valuable for us all is the example of Oscar Romero, the archbishop of San Salvador, who, though he was assassinated like a martyr in his church because he defended the oppressed of his country, was viewed with distrust by the Vatican. »


On conviendra que la critique est indirecte, qu’elle a même du sens ; elle n’en reste pas moins ambiguë et laisse la porte ouverte à des interrogations. Certes, l’essentiel du rôle de Jean-Paul II ces trois ou quatre dernières années a été de prendre position indirectement sur la principale question aujourd’hui : la poussée dévastatrice de la globalisation et, de façon plus directe, plus concrète, de l’interventionnisme militariste américain. Sur ce point, qui n’est pas rien, Pazzi aurait pu apporter un bémol de dimension : on ne peut certes plus reprocher à Jean-Paul II d’être trop Polonais lorsqu’on compare sa position sur la question de la politique de Washington, et celle de Varsovie aujourd’hui.

Or, c’est bien ce point qui, encore plus de n’être pas rien, fait l’essentiel d’une politique mondiale et d’une inspiration universelle aujourd’hui, comme celle que réclame Pazzi. Qu’on l’approuve ou non, on ne peut nier qu’aujourd’hui Jean-Paul II a une politique universelle et nullement polonaise, et qu’il regroupe sur son nom une partie très importante, très fortement majoritaire, de l’opinion mondiale. Cela n’est pas le fait d’un pape nationaliste, voire provincialiste, comme le portrait en est esquissé dans ce texte. Au contraire, Jean-Paul II a établi une nouvelle popularité de l’Église, et il l’a fait sans la moindre démagogie, — on peut dire qu’il a été rejoint par l’opinion publique du monde plus qu’il ne l’a rejointe. C’est une popularité plutôt politique que religieuse, certes, mais Pazzi sera le premier à reconnaître que les deux sont liés, lui qui reproche à Jean-Paul II de n’avoir pas assez soutenu ses théologiens d’Amérique Latine très engagés politiquement. (Et, certes, on ne peut pas dire non plus que cela soit le côté le plus brillant, ni même habile du reste, de la “politique” de Jean-Paul II.)

Il est bon que le futur pape apporte quelques correctifs sur des questions éthiques et sociologiques. Il n’est pas sûr pourtant que le débat sur la contraception et l’avortement soit tranché, du point de vue de l’Église, comme il n’est pas sûr qu’une prise de position différente de celle de Jean-Paul II sur la question aurait stoppé la diffusion du SIDA en Afrique (cas cités par Pazzi dans sa critique). Quoi qu’il en soit, ces importantes questions ne sont pas l’essentiel. L’essentiel est à l’urgence, c’est-à-dire cette politique américaine dont tout le reste dépend, et Jean-Paul II a sur ce point une politique qui est son legs, son héritage. Il est dommage que Pazzi n’en dise mot.

Il est possible qu’un pape italien fasse l’affaire. L’argument historique du pape successeur “conceptuel” de l’universalité des empereurs de Rome est séduisant, quoique discutable (et plutôt conservateur que moderniste, d’ailleurs, ce qui n’est pas plus mal). L’idée de cette parenté pour les Italiens n’a pas toujours été une réussite absolue (Mussolini se réclamait des empereurs de Rome), — mais pourquoi pas ? Il n’empêche : si un pape italien fait l’affaire, il faudra justement qu’il nous montre qu’il n’est pas Italien, puisque l’Italie aujourd’hui c’est plutôt Berlusconi. Il faudra justement qu’il s’affirme comme le successeur, le légataire enthousiaste de Jean-Paul II pour le principal que nous léguerait ce pape : être devenu le porte-parole spirituel mais aussi indirectement politique de la “deuxième superpuissance du monde” : l’opinion publique mondiale, qui condamne l’activisme déstabilisant américain comme aucun dirigeant politique n’ose le faire.