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386Toujours cette expression de “perfect storm”, employée aux USA pour désigner un événement de crise combinant tous les composants de cette crise eux-mêmes portés au paroxysme, renforçant cette crise jusqu'à une sorte de paroxysme parfait pour elle-même. L’expression, employée dans Ouverture libre ce 3 septembre 2010, revient à nouveau dans notre titre pour introduire notre commentaire sur la situation prospective des élections mid-term de novembre prochain aux USA. Les éléments donnés par Rupert Cornwell, avec les dernières observations de Charlie Cook, sont suffisamment amples et précis à la fois pour effectivement apprécier d’une façon plus affirmée la situation US.
@PAYANT Il est difficile de ne pas observer que l’Histoire poursuit sa marche inexorable, jusque dans les moindres détails de la situation en cours de formation. Le pouvoir du président Obama se débat entre paralysie et impuissance, – mais nous n’avons encore rien vu si les prévisions de Charlie Cook, commentateur prévisionniste washingtonien chevronné et consacré s’il en est, se révèlent justes. Dans ce cas également, comme pour le cas des relations internationales, l’incertitude et le désordre parviennent à pénétrer et à se tailler la part du lion dans ce processus pourtant réglé comme du papier à musique pour maintenir le système de l’américanisme dans sa position de “démocratie totalitaire” gérée par l’oligarchie de l’establishment washingtonien. On détaille cette situation en plusieurs points, en prenant comme hypothèse les prévisions signalées plus haut et dans l’article de Cornwell.
• Le premier point, c’est un rappel de la situation actuelle. Les démocrates ont, depuis novembre 2008 (et même depuis novembre 2006), une solide majorité dans les deux Chambres. Le président démocrate a été élu dans un enthousiasme significatif, d’une façon très affirmée. Résultat : aucune autorité, un désordre grandissant, la paralysie et l’impuissance du pouvoir politique. Résultat en profondeur : une formidable délégitimisation du pouvoir washingtonien, d’abord du président et de la majorité démocrate, ensuite de l’establishment lui-même. Cette situation d’illégitimité est encore plus grave que la détestation extraordinaire où l’opinion publique tient le pouvoir washingtonien, parce qu’elle implique une énorme hypothèque sur la perception psychologique que ce pouvoir a de lui-même. Cette hypothèque pèse sur tous ses actes, – que ce soit ceux du président, de la majorité démocrate ou de la minorité républicaine, – en accentuant ses hésitations, son indécision, sa démagogie, son laisser aller vers une “montée aux extrêmes” particulièrement inféconde parce qu’elle ne rend pas ce pouvoir plus efficace mais qu’elle favorise effectivement les extrêmes en les légitimant. Nous parlons de toutes les sortes d’“extrêmes”, sans nous attarder aux étiquettes qui n’ont plus guère de signification, que ce soit la popularité d’un Ron Paul, l’alliance de ce même Ron Paul au Congrès avec le démocrate de gauche Barney Frank, l’influence massive et complètement désordonnée de Tea Party, le poids considérable de personnalités complètement insignifiantes dans la hiérarchie normale (le présentateur de Fox.News Glen Beck), etc. Cette cacophonie est dominée par Barack Obama, impavide, assuré de lui-même, gérant les diverses paralysies de sa politique et de sa situation d’une façon imperturbable. Barack Obama n’est la marionnette de personne, parce qu'il est au coeur d'un système qui n’est plus capable de manipuler des marionnettes ; il est le symbole du système failli, dans son impuissance à conduire les affaires.
• Si les prévisions se confirment, les élections vont en un sens entériner l’extraordinaire situation d’une majorité démocrate agissant comme si elle était une minorité parlementaire travaillant pour tenter de circonvenir l’opposition majoritaire, et l’amener à soutenir le président. Mais l’évolution de la stricte arithmétique parlementaire s’arrêtera là, – et si l’on s’arrêtait là, effectivement, il n’y aurait pas de changement fondamental avec ce qui a précédé, paralysie et impuissance entre les deux pouvoirs en position d’opposition se perpétuant…
• La grande différence, effectivement, et aussi l’incroyable contradiction du scrutin dans les prévisions qu’on fait, c’est que le vainqueur probable et massif (le parti républicain) se trouvera dans une position beaucoup plus difficile que lorsqu’il était dans la position (actuellement) du minoritaire dictant sa loi à la majorité démocrate absolument terrorisée, à l’image du président et sur consigne du président, de crainte d’être dénoncée pour s’éloigner un tant soit peu de la soi-disant ligne extrémiste du système. En effet, les républicains sont confrontés à Tea Party, qui s’avère être particulièrement incontrôlable, imprévisible, déstabilisant, – voire déstructurant pour le système. L’establishment, notamment libéral-progressiste, a beau tenter d’enfermer Tea Party dans des étiquettes convenues (raciste, xénophobe, sous-marin pour le corporate power contre saint-Obama le défenseur des pauvres, etc.), Tea Party reste un “objet politique non identifié” qui rue dans tous les coins sans qu’on parvienne à l’enfermer dans des brancards, qui n’a aucune ligne directrice, qui est d’ailleurs incapable de se discipliner assez pour suivre une ligne. On peut le regretter d’une certaine façon, – sauf (pour notre point de vue) que ce serait regretter que ce mouvement n'abandonne pas sa fonction déstabilisatrice pour jouer le rôle de réformiste, éventuellement radical, du système, – donc, avec un espoir, dont on sait qu’il est évidemment toujours déçu, de réformer le système jusqu’à le rendre métaphysiquement bon (par opposition au rôle métaphysiquement mauvais qu’il tient évidemment). Au lieu de quoi, Tea Party est destructeur, aveuglément (certains diraient “stupidement”) contre le principe et l'action d'un gouvernement central fort, principe qui est le cœur du système. Donc, il est singulièrement déstructurant, et comme sa poussée déstructurante s’attaque au cœur du système le plus déstructurant du monde, Tea Party est, par vertu algébrique (“moins plus moins égale plus”), absolument une force objectivement structurante. Cela n’en fait ni un parangon de vertu ni un exemple moral, mais ce n’est pas le sujet, puisque le sujet est en réalité la bataille contre le système sans nécessaire conscience de ce que cette bataille représente.
• Les républicains, qui croyaient ne faire qu’une bouchée de Tea Party, en le noyautant, en le retournant et en en faisant leur arme absolue, sont au contraire leur prisonnier. Les “primaires” entre candidats officiels du parti et candidats Tea Party du parti sont d’une férocité incroyable. Il n’empêche, la victoire républicaine, si victoire il y a, se fera avec un certain nombre de parlementaires républicains de la tendance Tea Party. Vont-ils être récupérés ? On en doute, parce que, ce qu’ils amènent c’est plutôt un comportement vitupérant qu’un programme, et parce que leur puissance nouvelle, qu’ils perdraient en s’alignant sans restriction, c’est bien d’être Tea Party au sein du parti républicain (et, de temps en temps, en-dehors, si le caucus de Tea Party se développe). Par conséquent, ce qu’une victoire républicaine apporterait, ce n’est pas un programme républicain pas loin d’être déjà appliqué par Obama depuis deux ans, mais bien le désordre… Le désordre au Capitole ? Ce serait la cerise sur le gâteau d’une descente aux enfers de l’élément fondamental du système de l’américanisme, – car sans le système politique en bon état de marche, pour coordonner les prébendes, organiser les lois en fonction des différents groupes d’intérêt, redistribuer le budget vers ces différents groupes, – sans cela, le système de l’américanisme devient impotent et en voie d'auto-dissolution, c’est-à-dire qu’on verrait se transformer en caractère structurel fondamental et effectivement dissolvant la conjoncture de paralysie et d’impuissance qui affecte la présidence Obama et tous les acteurs de la chose.
…Si Charlie Cook a raison, effectivement, il s’agit du “perfect storm” et, avec Washington définitivement impotent, la porte ouverte à toutes les possibilités, voire à toutes les aventures. La question de l’avenir des USA ne se résumerait plus alors au fait de savoir si Obama serait réélu en 2012 et les hypothèses pour l’avenir immédiat deviendraient beaucoup plus dramatiques.
Mis en ligne le 3 septembre 2010 à 12H40