Un petit air de panique…

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Un petit air de panique…


8 décembre 2006 — GW existe, nous l’avons rencontré. D’une certaine façon, le reste du monde (including Tony Blair et le reste de Washington avec ses salons peuplés de vieux sages) regarde le président US avec un air courroucé et stupéfait. Comment, il résiste? Il prétend, seul contre tous, et surtout contre les vieux sages dépêchés illico presto (quelques mois d’analyse) par Dad (Bush-le-vieux), — contre tout cela, il prétend avoir raison? D’un autre côté, quand le vin est tiré il faut le boire.

Evénement ordinaire transformé en événement extraordinaire, comme s’il y avait un événement, — et pourtant, c’est le cas… Quel imbroglio nous a dévoilé symboliquement cette rencontre Bush-Blair d’hier, deux jours après la remise du rapport de l’ISG. Dans ce champ d’innombrables miroirs déformants qu’est devenue la politique du monde, American-style à l’ère du président GW Bush, tout le monde est prisonnier de tout le monde.

Tony Blair n’est pas d’accord aujourd’hui avec GW, pourtant il le fut pendant trois ans, il le conforta dans ses folies et il partagea plus qu’aucun autre la folie générale. Les vieux sages de Washington, idem pour la plupart, qui soutinrent le projet irakien parce qu’il fallait bien serrer les rangs, — et puis parce que, après tout, la petite “promenade de santé” militaire ne leur déplaisait pas... D’ailleurs, la recette qu’ils offrent porte la marque de leur ambiguïté. L’ISG propose d’abandonner vite fait l’Irak pour pouvoir continuer à dire que l’Amérique est la plus grande et la plus forte alors que sa fuite serait la démonstration du contraire.

Si GW a été complètement insensé de lancer l’aventure irakienne, le reste du système, tout ce qui fait cette “vanité de puissance” (caricature de la “volonté de puissance”), s’est ridiculisé dans la même mesure en s’effondrant face à ce pays de troisième zone, massacré par une défaite terrible (en 1991) et plus de dix ans d’étranglement méchant et pervers imposés par l’embargo. GW est une caricature de président mais le système est une caricature de puissance, mesurée à sa performance en Irak.

Bref, ils sont prêts à récrire l’histoire pour faire porter le chapeau à GW, devenu bouc-émissaire en chef, mais ils ne valent pas mieux que lui. Mais auront-ils le temps de récrire l’histoire? Ce régime, le régime américaniste, est bel et bien au bord du désastre.

Pour l’immédiat, il est vrai qu’entendre GW continuer à proclamer sa foi dans la victoire et repousser les conclusions du rapport de l’ISG par conséquent, nous offre un moment sans exemple de surréaliste virtualisme. Il est vrai aussi que les commentateurs eux-mêmes, n’osant appeler un chat un chat (l’effondrement US dans le désastre irakien étant l’animal en question) sont obligés de donner encore quelque crédit aux paroles du président US, par souci des formes et pour répondre à leur propre conformisme. Il est donc vrai qu’entendre GW dire que nous sommes, “you know”, vraiment très très bons (“We got special operators. We've got, you know, better intelligence”), — tout cela mesure ironiquement à quel niveau d’inconscience et dans quelles eaux déchaînées se trouve la direction occidentale.

Extraits à ce propos, du Guardian, en marge de la rencontre Bush-Blair qui débouche sur une sorte de rupture des deux compères («Bush-Blair split over report's key proposals»)…

«In his remarks yesterday, the president did appear to give some hints on future military strategy, suggesting that the initial emphasis would be on a final effort to contain the sectarian violence centred in Baghdad, which may allow US troops then to concentrate on al-Qaida groups, which would be more palatable to US public opinion.

»“We'll continue after al-Qaida. Al-Qaida will not have safe haven in Iraq. And that's important for the American people to know. We got special operators. We've got, you know, better intelligence,” he said.

»“The strategy now is how to make sure that we've got the security situation in place such that the Iraqi government's capable of dealing with the sectarian violence, as well as the political and economic strategies as well.”»

Il faut aussi bien comprendre que GW n’est pas si seul même s’il paraît être enfermé dans une naïve vanité et une foi confondante qui n’ont pas leurs pareilles. Washington est plus que jamais un chaos et un cloaque où s’entrechoquent les intérêts divers ; en l’occurrence, par exemple, GW a avec lui, fermement, ses chefs militaires, qui considéraient en 2002 l’aventure irakienne comme une folie et qui, aujourd’hui, s’accrochent au navire qui sombre en espérant un miracle final qui les remettrait à flots. Même le soutien “bipartisan” au rapport ISG n’est pas exempt de fissures, et il existe une puissante “aile marchante”, également bipartisane, qui pourrait aller d’un John McCain (républicain) à un Lieberman (démocrate félon), à un Joe Biden (démocrate), et qui propose, elle, d’envoyer des troupes supplémentaires pour montrer (enfin) aux Irakiens de quel bois l’on se chauffe.

Bien entendu pire que le Viet-nâm…

Il n’empêche, nous avons vécu hier un moment sans exemple, celui où chacun, en même temps qu’il fut complice du désastre puisqu’il fait partie de l’establishment, se pince également en se disant : je rêve… (Sous-entendu : “ce type, GW, va nous mener au désastre…”).

D’où ce type de commentaire où certains osent, soudain, prendre la mesure du champ de miroirs déformants devenu champ de ruines. (De Martin Jacques, “visiting research fellow” au Asia Research Centre, London School of Economics, commentateur régulier du Guardian, ce matin) :

«Just a month after the American electorate delivered a resounding rebuff to the Bush Iraq policy, the great and the good — in the guise of the Iraq Study Group (ISG) — have subjected that policy to a withering critique. The administration has had the political equivalent of a car crash. George Bush is being routinely condemned as one of the worst presidents ever, and his Iraq policy no longer enjoys the support of a large swath of the American establishment. The neoconservatives suddenly find themselves isolated and embattled: Rumsfeld has been sacked, Cheney has gone quiet, the likes of Richard Perle are confined to the sidelines. The president is on his own and it is difficult to see how Bush can avoid moving towards the ISG position. The political map is being redrawn with extraordinary alacrity.

»Before our eyes, the neoconservative position is disintegrating. Its foreign-policy tenets have been shown to be false. As is now openly admitted, they have brought the US to the verge of disaster in Iraq, which is why the American version of the “men in grey suits” has ridden to the rescue. After less than six years in office, elected at a time when the US was unchallenged as the sole superpower, the Bush administration has managed to deliver the country to the edge of what can only be compared to a Vietnam moment: the political and military defeat of the central and defining plank of American foreign policy.

(...)

»But the Iraq moment is far more dangerous for the US than the Vietnam moment...»

Exact, comme l’écrit encore Martin Jacques: «Vietnam traumatised the US but left its power intact; Iraq, however, will be far more serious for the superpower...» Nous en sommes tous là et, aujourd’hui, dans les chancelleries où l’on sait ce que parler veut dire, on commence à vous dire entre deux portes qu’aujourd’hui (bis) le problème prospectif le plus immédiat qu’il va falloir gérer, c’est l’effondrement de la puissance US.

GW fut parfait dans le rôle du clown-fait-roi. Mais, vraiment, le reste ne vaut guère mieux et même plutôt moins, — car, “qui l’a fait roi” sinon cet establishment vaniteux et vertueux, qui prétend à la sagesse et contemple, effaré, cette chose mise par lui-même dans le fauteuil de la présidence et qui s’avise aujourd’hui de repousser les conseils avisés des vieux sages.

Il s’agit donc d’un moment rare, d’un moment plein d’un symbolisme puissant. La puissance que nous avons créée et qui s’est déchaînée, la puissance américaniste, nous apparaît pour ce qu’elle est : nue, invertébrée, sans structure réelle, et sans âme bien sûr. Une énorme puissance de pacotille, qui massacre les plus faibles et pille les trésors des peuples. Là-dedans, le plus à dénoncer nous paraîtrait moins le pauvre GW qui se croit président que les vieux caciques type-Baker qui l’ont mené là où il est et ne parviennent plus aujourd’hui à lui faire comprendre les instructions comme on devrait entendre raison.