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1514Par diverses voies de traverse, nous pouvons saisir avec une certaine précision, à la fois un sentiment général dans les milieux de sécurité nationale en France à la veille de l’élection présidentielle, et, éventuellement, ce que serait l’orientation d’un “président Hollande” émergeant du scrutin du 6 mai, et qui serait évidemment fortement influencé par ces mêmes milieux. (On sait, bien entendu, qu'une victoire de Hollande le 6 mai est, pour l'instant, l'hypothèse la plus largement considérée.) Hollande, encore inexpérimenté dans les questions de politique internationale, serait en effet fortement influencé par ces milieux parce qu’il devrait très vite prendre des décisions, parce qu’aujourd’hui les relations internationales se résument à un vaste enchevêtrement de crises pressantes, immédiates, renvoyant autant à une structure crisique qu’à des chaînes crisiques, qu’à un temps crisique se matérialisant en une vaste superstructure crisique que nous nommons “crise haute”. Il n’y a guère de temps pour beaucoup réfléchir, il faut agir et l’on s’appuie alors sur les milieux adéquats, en place d’une façon suivie alors que les présidents passent.
Notre voie de traverse principale vient d’une analyse d’Arnaud de Borchgrave, le 16 mars 2012, sur UPI, à partir d’une conférence de type background au Council of Foreign Relations, le 14 mars. Le thème en était “la perception extérieure des USA”, et on y entendait, dans ce type de débat assez décousu où l’on s’exprime parfois avec plus de spontanéité, un Russe (Igor Yurgens, président de l’Institut des Développements Contemporains à Moscou), un Japonais (Yasushi Kudo, représentant Genron NPO, sorte d’ONG de réflexion sur l’avenir des choses et du monde) et le Français Thierry de Montbrial (président de l’IFRI, chargé d’ors et de prestige dans la hiérarchie de la pensée stratégico-littéraire parisienne propres à impressionner son auditoire washingtonien si sensible au decorum).
C’est à ce dernier, Montbrial, que nous nous attacherons, parce que notre jugement, d’après ce qu’il a dit et dans les circonstances où il l’a dit, montrait assez qu’il se trouvait dans ce cénacle pour faire passer quelques messages sur l’éventuel et de plus en plus pressant “après-sarkozysme”, considéré du point de vue des milieux français la sécurité nationale. Montbrial n’est pas un excessif, rien d’un audacieux de la pensée et un sacré manœuvrier des salons ; aussi, lorsqu’il expose des considérations assez nouvelles, d’aucuns dans le genre pensée-Système diraient “iconoclastes” par rapport aux normes mondaines des salons, on peut conclure qu’il s’estime couvert. Dans la circonstance envisagée, on peut admettre que l’homme fait l’émissaire, particulièrement chic et prestigieux pour ses amis washingtoniens, et l’on peut envisager que cet émissaire vient informer ces mêmes amis des pensées discrètes de ces milieux dirigeants de la sécurité nationale en France ; et il s’agit bien de pensées, dans ce cas espéré avec une certaine impatience, où ces milieux seraient débarrassés de ce qui est devenu pour eux un boulet, – Sarko, sa “politique”, ses foucades diverses, ses impulsions catastrophiques, ses tropismes changeants et intéressés, et ainsi de suite.
Voici donc, sélectionnées dans le texte, les citations par Borchgrave d’interventions de Montbrial ; lequel Montbrial a la part du lion dans le rapport de Borchgrave. Belge d’origine, Borchgrave est un connaisseur des affaires européennes et françaises ; il les comprend mieux que tous ses collègues américanistes, et nous comprenons, nous, qu’il fait passer à leur intention, dans ce texte, des “messages” sérieux provenant de France, en cas de “post-sarkozysme”…
Introduction de convenance, selon les formules éculées des relations franco-américanistes, qui nous font tout de même penser qu’à Paris, en cas de départ de Sarko et dans l’hypothèse généralement considérée de l’arrivée d’un Hollandfe, nous allons passer d’un “up” spectaculaire à un certain “down”…«Thierry de Montbrial, president of the French Institute of International Relations, said: “Franco-American relations go up and down like a roller coaster. Everything had reached bottom again when (French President Nicolas) Sarkozy was elected president in 2007 and back up it went.”»
…Puis les jugements généraux, transmis des milieux déjà cités. «“The world itself is fundamentally disorganized and we all seem to be moving toward chaos and anarchy. New blocs are bound to emerge from our crisis in confidence about who we are.” “The identity crisis is illustrated by a book on the coming Islamic age in bookstores. It's an ID problem.” “We all see China, sooner or later, becoming the next superpower, illustrated by the front-page picture of Obama bowing to China's Hu Jintao last January. We see fragmentation leading to anarchy….”»
… Puis les jugements sur les USA et leur politique, dans ce contexte de chaos et d’anarchie, dont les USA sont, pour beaucoup, la cause et les responsables. (Les jugements sur l'avenir de la puissance US nous semblent du genre convenu et sans grande originalité ni importance, ni véritable crédit.) «“We believe the U.S. has made fundamental mistakes – e.g., the financial management crisis of 2007, a fundamental flaw that was not taken seriously enough.” “There was also the big failure of Afghanistan. So was Iraq. We now live in fear of Israel bombing Iran's nuclear installations because we know the U.S. will be automatically involved, which makes the next phase unpredictable, except we know it will be a major setback for all of us.” […]
»“For the next 20 years I see the U.S. keeping its place as the world's No. 1 economic and military power but it's important you rely less on brute military power.” […]“During 40 years, the U.S. was consistent in its opposition to the Soviet Union, which was eventually defeated. It would behoove the U.S. to be smart and consistent over a long period of time, as it was during the Cold War.”»
Puis et enfin, tout cela nous conduisant à l’hypothèse “président Hollande” et, plus précisément, aux pensées, sinon secrètes dans tous les cas discrètes, des milieux de sécurité nationale en France, dans ce cas sur les crises syrienne et iranienne, – ainsi va notre interprétation (selon lesquelles il s’agit de leurs “pensées, sinon secrètes dans tous les cas discrètes”)… «“April 22 and a possible runoff May 6 will decide whether Nicolas Sarkozy (57), known as pro-American, is re-elected president or replaced by a socialist, Francois Hollande (57).” “With President Hollande, I cannot see military interventions in a united front with President Obama and (British) Prime Minister (David) Cameron.” “Do we really want civil war in Syria? What would be our objective? Are we prepared to increase chaos everywhere? In Syria, we should be working with Russia and China to put an end to what could become a civil war.” […]
»And understand that the Iranians are smarter than all of us. They're a genius at the diplomatic game. Very cruel. But I'm absolutely convinced they only want to reach the threshold of nuclear power, like the Japanese. The Iranian regime is very shaky. The leaders know that if they cross the barrier into military nuclear power, others in the region would follow. Not in their interest.”»
Notons pour clore ces citations que l’“émissaire français” aurait pu, dans les conditions où nous décrivons son intervention, prendre à son compte quelques remarques de son collègue russe (qui n’a pas dit grand’chose de sérieux sur la perspective Poutine-II), concernant la Syrie considérée à la lumière du “modèle libyen” : «“We are much criticized for our decision to stay with President Assad in Syria. Libya is a good example of what could happen in Syria. Of course, we also have a $20 billion exposure in Syria for arms sales. Syria also has the only port available for Russian navy ships in the Mediterranean.” […] “In Libya, the U.S. and NATO rode roughshod over Russian interests, which we could see happening again in Syria. And what are you leaving behind in Libya?”»
On notera également que les observations de Montbrial nous paraissent d’autant plus inspirées de ces “milieux français de la sécurité nationale” qu’elles s’accordent à ce que nous en disions il y a quelques mois (le 2 novembre 2011), notamment concernant le désordre anarchique du monde et la chute de la légitimité des États et des directions politiques, particulièrement et précisément ceux du bloc BAO. Le “modèle libyen” devenu ce qu’on sait, en train de fournir une formidable démonstration de sa propre absurdité à la lumière des évènements syriens, et pas loin de l’éclairage de l’interminable crise iranienne comme démonstration de notre sur-folie alimentée à des fantasmes d’une désinformation confiée à l’hystérie de la communication, – voilà qui est en train de modifier le paysage général et de se transformer en une conviction qu’il importe absolument de changer de fond en comble cette politique expansionniste, belliciste et autodestructrice du bloc BAO. La France est aux premières loges dans ce grand remue-ménage. Un changement de présidence en fournirait l’occasion, et nous irions même jusqu’à écrire que le processus lui-même des présidentielles en fournit l’occasion tant ce courant révisionniste nous paraît prendre de l’ampleur et pèserait même sur un Sarko réélu, pour en faire un Sarko diminué, et obligé de colorer sa politique générale de sécurité nationale d’une plus grande influence des milieux dirigeants de la sécurité nationale. On identifierait cela comme une sorte de “purge néo-gaulliste”, vraiment comme l’on dit “on purge bébé”, avec rapprochement du modèle russe. «In Syria, we should be working with Russia and China to put an end to what could become a civil war», dit Montbrial comme si la chose allait de soi ; et Juppé de prendre des notes, pour pomper, au cas où l’on ferait équipe...
Il n’y a pas de sagesse excessive ni un grand dessein dans tout cela, ne nous berçons pas d’illusions… Il y a un sentiment de panique qui monte. On se frotte les yeux et, au moins pendant un instant, l’on considère les choses comme elles sont, et le spectacle est complètement extraordinaire, en vérité, cette espèce d’explosion d’une situation hésitant d'une façon hystérique entre le chaos et l’anarchie. Cela pourrait être vrai à Paris, avec un “président Hollande”, voire un Sarko endommagé et chargé de plomb dans l’aile. Cela nous promettrait du sport car les Anglo-Saxons, eux, ne bougeront pas, complètement englués, comme Obélix dans sa potion magique, dans le chaos qu’ils ont enfanté, qui est leur essence même encore plus que leur substance ; incapables de s’en dégager, qu’ils soient Britannique et, plus encore certes, américanistes et washingtoniens plus que jamais en phase turbo-maniaque ; paralysés par leur hubris devenu caricature de cet orgueil de puissance, et plongés alors dans l’impuissance et dans le désordre de leur propre système, en attendant l’autodestruction accomplie du Système.
Conclusion nostalgique pour la France des salons, en cas de malheur, au cas où tout cela se concrétiserait… Il est vrai que les cheveux de BHL grisonnent et qu’il commence à prendre de l’âge, notre héros postmoderne ; du Capitole libyen à la Roche Tarpéienne syrienne, comme le chemin est court (nostalgie). Bientôt, il retournera à ses seules chemises éblouissantes et largement échancrées, – en terrain de connaissance, quoi… Observons à sa décharge qu’il aura joué son rôle, qui est d’accélérer l’effondrement du Système, de pousser aux feux de son autodestruction.
Mis en ligne le 19 mars 2012 à 04H50