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10 janvier 2005 — Frank C. Lanza, 73 ans, est un vieux routier de l’industrie d’armement US. C’est un des plus vieux CEO américain, à la tête de la compagnie L-3 Communications Corp., qui fait partie du “deuxième tiers” des compagnies d’armement US, en-dessous des cinq “dinosaures” (Lockheed Martin, Boeing, Northrop Grumman, Raytheon, General Dynamics). Dans un récent (3 janvier 2005) numéro d’“Aviation Week & Space Technology”, on trouve dans la rubrique Face To Face un «Lanza Unleashed» d’un réel intérêt. Lanza est de cette sorte d’homme qui, même à l’intérieur d’un système dont il épouse la cause et les intérêts, ne parvient pas à se conformer au langage convenu de ce système.
Nous avons choisi de reproduire les passages de ses déclarations qui concernent la situation au Pentagone, et, dans ce cadre, la situation de deux programmes d’avions de combat dont nous suivons en général régulièrement les développements.
« FLAWED PENTAGON OVERSIGHT: What used to be called [acquisition] 'reform' is now 'deform,' and over the last 5-6 years the Defense Dept. and the military have abrogated their responsibility [for overseeing major acquisition programs]. Why? Because they didn't have the resources… What has happened is we've let programs get underbid dramatically [and had] some pretty bad management scenarios. [At L-3] it would be totally unacceptable to have a program that overruns 100%, 200%, 300%... Look at how many studies they've run on [the Space-Based Infrared satellite system] to find alternatives. [They] threaten termination, and all they do is write a check for another $1 billion. So there's no incentive anymore for companies to really perform to what they commit to because everything's cost reimbursable. There doesn't seem to be much to do with past performance. Do you see contracts being stopped because of past performance? I haven't.
» BIG CHANGES AHEAD? [The Pentagon] really hasn't established a budget for real transformation yet. . . . We thought it would happen in [the fiscal 2005 budget]. Then Iraq came along, which postponed that real transformation budget. The [Quadrennial Defense Review] that's going to occur in '05 is going to look at force structure. It's going to look at what platforms are important. It's going to look at whether the budget is equally shared between Air Force, Navy and Army, where the Army now gets about 23% and says it wants 30%. . . . The Army can only go up, not down.
» VULNERABLE PROGRAMS: There's going to be major impact on tactical air, major impact on shipbuilding. There's going to be a decision about how much space is worth to us… We already know that the Joint Strike Fighter [JSF] is going to be cut probably in half, the F/A-22 has been cut by a third, we know that the DD(X) is already in trouble… You have to say tactical air cannot be considered the highest priority in the Air Force any longer. What air force in the world can compete with the U.S. Air Force?... The F/A-22's not going to be terminated. But how many do you need? (USAF initially planned to buy 750; the number is now about 275.) The priority is on delivering ordnance. And we have a problem in far reach. [In the Iraq war] we were flying airplanes for 24 hours to do bombing runs… A bomber, or some version of a longer-range [aircraft] is very possible.
» JSF AS A COOPERATIVE PROGRAM: I don't think [JSF] has anything to do with international collaboration, nor does it give you a card to the future. So baloney. What was smart is they got international collaboration to make sure it didn't get terminated… I'm not saying we're going to terminate it, but you don't need to buy it today, because you have very capable aircraft. If you add the F/A-22 to it for air superiority you don't have to have a JSF tomorrow morning. So it can be stretched. »
Ces quelques commentaires laissent l’impression, — à notre sens complètement justifiée — que le Pentagone et, d’une façon plus générale, le monde du complexe militaro-industriel forment, derrière l’apparence rationnelle et rassurante de la puissance, un ensemble essentiellement caractérisé par le désordre. Cette idée doit rester constante dans l’évaluation qu’on fait de la puissance militaire US. Le facteur du désordre explique bien des circonstances dites par ailleurs “inexplicables”.
Les commentaires de Lanza sur les deux programmes d’avions de combat sont encore plus intéressants. Ils permettent de mieux saisir la réalité de leurs positions, au-delà des batailles d’influence.
• C’est sur le F/A-22 que Lanza est le plus catégorique, bien que cet avion soit le principal visé dans les réductions budgétaires annoncées. Toutes les remarques de Lanza paraissent de bon sens: le F/A-22 sera protégé, reste à fixer exactement le volume de la production. Implicitement, Lanza met en avant les capacités stratégiques de cet avion lorsqu’il parle de l’intérêt déclinant du domaine aérien tactique, au contraire du domaine stratégique/de pénétration. (« …we have a problem in far reach… A bomber, or some version of a longer-range [aircraft] is very possible. ») Dans le contexte où elle est dite, une telle remarque est une forte plaidoirie implicite pour les versions à long rayon d’action du F-22, le FA-22 et, surtout, le FB-22 de bombardement, avec un rayon d’action de 1.800 miles, qui est proposé par l’USAF. (On peut en effet s’attendre dans les mois qui viennent à une contre-offensive en force de l’USAF et de son F-22, centrée sur les nouvelles versions de l’avion, comme le FB-22.)
• En quelques mots, le point de vue de Lanza sur le JSF est fascinant. Il expédie de deux mots ce qui est chanté (en Europe) depuis des années comme l’archétype du lien transatlantique en matière d’aviation militaire, de technologies et de coopération industrielle avancée, — et ces deux mots sont: « So, baloney ». Lanza n’attribue au programme de coopération internationale du JSF qu’un seul but réel: empêcher qu’on liquide le programme JSF (américain). Pour le reste, Lanza attribue au JSF une fonction de bouche-trous plus ou moins manipulé, estime que la perspective de sa production est d’ores et déjà réduite de moitié (alors que le Pentagone continue imperturbablement à parler de 1.700 avions pour l’USAF, soit la production complète), et qu’il est destiné à être réduit encore et retardé selon les opportunités et les nécessités.
Cette vision cynique du programme JSF est évidemment bien plus proche de la réalité que tout ce qui a été dit et écrit sur lui, de source officielle US et (surtout) de source européenne. Plus que jamais, le JSF nous apparaît comme un outil de manipulation et sa concurrence désormais ouverte avec le F/A-22 doit très vite mettre ce fait en évidence.