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27 février 2004 — Étant désormais régulièrement à court de qualificatif, on s’en abstiendra pour qualifier le dernier rebondissement, le “rebondissement du rebondissement”, dans les suites du déclenchement de la guerre irakienne. Il s’agit de la divulgation de l’espionnage électronique (écoutes) de Kofi Annan par les Britanniques, annoncée par Clara Short, l’ancienne ministre de Tony Blair, à l’occasion de l’affaire Katharine Gun, que nous présentions déjà comme un “relief du désastre”.
L’affaire Short-Annan met à nouveau Blair dans un grand embarras, en accentuant et en noircissant encore l’activité d’espionnage britannique en marge des sessions de l’ONU de l’année dernière. Comme si cela ne suffisait pas à montrer les activités déstabilisatrices considérables et presque hystériques des Britanniques dans cette période, on apprend ce même jour que les services de renseignement ont fait également de la provocation déstabilisatrice en Arabie Saoudite.
Toutes ces opérations ont été soit demandées (ordonnées), soit suggérées par les Américains, que ce soit les hommes de la CIA, que ce soit même, dans certains cas, ceux de l’OSP du Pentagone, c’est-à-dire directement des centres néo-conservateurs. L’illégalité propre à ces opérations se double d’une illégalité du cadre général où elles naissent, dans la mesure où l’OSP est une institution fortement contestée, qui constitue, selon le lieutenant-colonel Karen Kwiatkowski, « a neoconservative coup, a hijacking of the Pentagon »
(Cet aspect de l’implication des Américains derrière les actes britanniques a été évoqué dans le cas de l’écoute téléphonique de Annan, selon The Independent : « There was speculation at Westminster last night that the bugging was carried out by American security services but that Mr Blair did not wish to say so for fear of upsetting the Bush administration. »)
Par ailleurs, dans cette tourmente qu’est devenue l’affaire des écoutes téléphoniques à l’ONU, tout le monde s’y met. C’est ainsi que Richard Butler, l’ancien directeur des inspecteurs de désarmement de l’ONU, a estimé qu’il avait été mis sur écoute par au moins quatre services de renseignement, ceux des quatre membres permanents du Conseil de sécurité. Les explications de Butler tendent à rendre un tableau particulièrement révélateur de l’atmosphère et des pratiques régnant à l’ONU. (Dans cette orgie d’espionnage et d’écoutes, d’autres indications venues de la TV australienne nous font savoir, sans provoquer le moindre étonnement évidemment, que Hans Blix aurait également été espionné.)
Butler, interrogé par la TV australienne aujourd’hui :
« “Of course I was, I was well aware of it,” Buter told ABC radio on Friday. “How did I know? Because those who did it would come to me and show me the recordings that they had made on others to help me do my job disarming Iraq. They would say ‘we're just here to help you’ and they would never show me any recordings they had made on me.”
» Butler, executive chairman of the UN Special Commission to Disarm Iraq from 1997 to 1999, told of diplomats going to great lengths to keep conversations under wraps because they believed the UN headquarters in New York was full of spies. “If I really wanted to have a sensitive conversation with somebody... I was reduced to having to go either to a noisy cafeteria in the basement of the UN where there was so much noise around and then whisper, or literally take a walk in Central Park,” he said.
» Butler said he was bugged by the Americans, British, French and Russians. “I knew it from other sources, I was utterly confident that I was bugged by at least four permanent members of the Security Council,” he said. »
L’affaire irakienne présente un cas très singulier. Jusqu’ici, lorsque les autorités agissaient avec la puissance et les moyens officiels des gouvernements, montaient des opérations illicites dans le cadre de la préparation d’une guerre ou de la participation à une crise, dont elles sortaient maîtresses pour ne pas dire victorieuses dans l’un et l’autre cas, la découverte d’une de ces opérations restait le plus souvent au stade de l’accident. Le surcroît de légitimité acquis lors de la maîtrise de la crise ou de la victoire dans la guerre contenait les effets et limitait les débordements.
Ici, on voit bien que c’est le contraire, particulièrement, voire exclusivement au Royaume-Uni et aux USA parce que ces deux pays ont mis leur légitimité dans la balance du destin de la guerre, ayant suscité, voulu et provoqué cette guerre. La maîtrise et la victoire de la crise et de la guerre, telles que l’une et l’autre ont été présentées, n’ont servi à rien, — signes enfin que cette maîtrise et cette victoire sont sujettes à caution, et plutôt enfantées par un appareil de communication de type virtualiste. D’où une continue dégradation de la situation, de révélation en révélation, parce que l’autorité des deux gouvernements n’existe plus. Ce phénomène était déjà perceptible dans des cas précédents, ces dernières années ; il éclate aujourd’hui d’une façon radicale dans ce domaine de la crise irakienne et des matières de sécurité nationale qui lui sont liées.