Un sacrilège au Pentagone

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Au Pentagone, le poste de n°3, – Under Secretary of defense for acquisition, technology and logistics, – est d’une réelle importance. On appelle la personne qui l’occupe “le tsar des acquisitions” (ou la “tsarine”?) parce qu’elle a l’autorité directe sur des sommes considérables (d’une façon générale, autour de $300 milliards par an) pour l’acquisition des systèmes d’arme des forces armées US. Dans un temps d'affirmation de restrictions non encore réalisées, de possibilités et d’intentions de réforme, etc., c’est un poste toujours aussi important et, en plus, extrêmement délicat et polémique. C'est pour cette raison qu'on attendait avec intérêt la nomination par l'administration Obama de son n°3 du Pentagone.

Ashton B. Carter, qui fut au Pentagone avec le secrétaire à la défense Perry (1997-2001), sous Clinton, remplace donc John D. Young. Un homme paraît-il complètement (à peu près) indépendant des pressions directes des industries concernées, Carter, remplace un homme qui, venu de Lockheed Martin (LM), sut s’occuper avec zèle des intérêts qui comptent. Jusqu’à peu près aux derniers jours, Young fut un fidèle soutien du JSF, produit-vedette de LM, avant de prendre les précautions du dernier jour, avec un mémo désormais fameux où le même Young expliqua à son chef la catastrophe qu’est le JSF.

Le Boston Globe nous fait, le 23 février, un tableau plutôt flatteur du nouveau venu..

«Unlike most of his predecessors selected to be under secretary of defense for acquisition, technology and logistics, Carter has no professional ties to America's arms makers or manufacturing industry, nor has he spent his career in government procurement. Instead, from his perch at Harvard's Kennedy School, Carter has been criticizing the Pentagon for buying too many armaments it doesn't need, decrying what he calls a lack of discipline and “failure to take account of cost growth in weapons systems and defense services.”

«A trained scientist with a doctorate in theoretical physics and a degree in Medieval history, Carter's advocates say the long-time Harvard professor and national security specialist is being chosen because his combination of technical expertise and knowledge of defense strategy will be needed to make what Gates calls "difficult choices" about which weapons programs to invest in and which ones to terminate.

»“He is not being brought in to help the defense industry thrive,” said Loren Thompson, president of the Lexington Institute, an Arlington, Va., think tank. “He is being brought in to decide what we need and what we can do without.”

»At a ‘fiscal responsibility summit’ at the White House today, Senator John McCain, the Republican presidential nominee last year, highlighted serious cost overruns in the Pentagon budget as part of cutting the federal deficit, and said “tough décisions” on procurement need to be made as the country also pays for the wars in Afghanistan and Iraq. “This is going to be one of our highest priorities,” Obama replied.»

L’article ajoute que Carter est l’objet de diverses rumeurs, venues des milieux de l’industrie de défense, concernant des soi disant pratiques assez douteuses du personnage, – lobbying, corruption, etc. On comprend que cette évocation puisse faire monter des vapeurs et le rouge aux joues des dirigeants de LM, brutalement inquiets pour la vertu de la nation et le sort de l’argent du contribuable. Bref, la campagne de rumeurs et de dénigrement nous dit au moins qu’on aura Carter à l’œil et qu’on l’accueillera au Pentagone avec un tapis de peaux de banane.

Sans aucun doute, l’intention est là. Carter est de formation scientifique, effectivement plutôt hors des cercles de la corruption industrielle du CMI; il est aussi notablement expérimenté après ses années au Pentagone de Clinton, voire avec l’intérêt, ou l’avantage c’est selon, d’une formation qui tendrait plutôt vers l’humanisme que vers le “technologisme” (licencié en Histoire médiévale, après tout, voilà un aspect inhabituel). Mais surtout, il y a ce fait fondamental : Carter est d’ores et déjà catalogué, identifié, quasiment dénoncé par l’industrie, le CMI, les consultants et tous les amis, comme l’ennemi à abattre. C’en est ainsi parce que l’atmosphère, à Washington et sur le Potomac, est surchauffée, notamment pour tout ce qui concerne les rumeurs et hypothèses de réforme et de chambardement au Pentagone. Il y a, avant les faits eux-mêmes, l’appréhension de ces faits qui constitue en soi un événement propre. Quoi qu’il en soit de sa carrière dans les mois et années qui viennent, de sa réussite dans son entreprise supposée, Carter est perçu comme le symbole d’une volonté de réforme du Pentagone, – et cela est presque, au niveau de la perception, comme si la bataille de la réforme, avec tous ses remous et ses polémiques, avait déjà commencé.


Mis en ligne le 25 février 2009 à 06H22