Un Têt mexicain?

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Le tournant de la guerre du Vietnam survint à la fin de janvier 1968, lors de la fameuse offensive du Têt du 31 janvier, lorsque la résistance sud-vietnamienne et des unités nord-vietnamiennes lancèrent une offensive coordonnée contre l’U.S. Army et les forces gouvernementales sud-coréennes. Selon la perception désormais classique, l’offensive fut une défaite militaire mais une victoire psychologique majeure et le tournant de la guerre. L’opinion et les dirigeants US se persuadèrent à partir de là qu’il serait impossible d’emporter la victoire. C’est l’analogie qui est faite au Mexique pour interpréter la situation marquée par des attaques d’une intensité et d’une forme sans précédent conduites par le cartel de la drogue La Familia, après l’arrestation, samedi, de Arnoldo Rueda Medina, surnommé La Minsa, chef en second du cartel.

Une dizaine d’attaques ont eu lieu contre des agents anti-drogues du gouvernement, la dernière ayant conduit à 12 tués parmi ces agents. Tout cela s’est passé dans l’Etat de Michoacán, qui est l’Etat d’origine du président Calderon et un point stratégique central parce qu’on y contrôle plusieurs routes vers les USA, vers où s’effectue le trafic.

Le Times de Londres rapporte, ce 16 juillet 2009, le sentiment général causé par cette vague d’attaques qui conduisent le “conflit” à un niveau absolument inédit. Les uns y voient un tournant politique capital tandis que les experts y voient également un signe de faiblesse de la part du cartel.

«Ciro Gomez Leyva, a columnist for the newspaper Milenio, described the killings as a Mexican version of the Tet offensive in Vietnam in 1968. “In the war against the narcos, Saturday, July 11, seems like a kind of Tet offensive, the synchronised action by South Vietnamese guerrillas and the North Vietnamese Army against US troops at the end of January 1968 that, despite being characterised as a military disaster, created the perception that the otherwise invincible US Army would never win in Vietnam,” he wrote.

»The perception that the war against drugs is being lost is pervasive. A poll published in Milenio said that only 28 per cent of Mexicans believed that the Government was winning, and more than half thought that it was losing. Mr Calderón said: “The criminals will not be able to intimidate the federal Government. In this battle we will not give up, we will not hesitate, because what is at stake is Mexico’s peace and safety.” […]

»Analysts said that the killings were not necessarily a sign of the cartel’s strength, but were an escalation of the battle to contain them. “This marks an important change in the drug war in that they are attacking federal forces directly,” Jorge Chabat, a drug expert, said. “It also suggests the capture of this person has affected the operations of the cartel. It was a major blow and this is a reaction out of weakness, not strength.”»

D’autres indications données par le Times concernent la pénétration extrêmement profonde des structures des services de sécurité et des divers services du gouvernement par les cartels, cela mis en évidence par des arrestations diverses, ou bien par le mandat d’arrêt lancé contre Julio Godoy, demi-frère du gouverneur de l’Etat de Michoacán et élu la semaine dernière comme membre du Parti Démocratique Révolutionnaire pour siéger au Congrès mexicain. C’est là également un aspect classique de la situation du Mexique et un caractère puissant de cette “guerre de la drogue” qui s'affirme de plus en plus comme un conflit autour de la légitimité du pouvoir politique.

L’ensemble de la situation montre effectivement l’accentuation du désordre et la perte de contrôle de la situation par un gouvernement dont la légitimité ne cesse de s’affaiblir. Cette orientation est, par ailleurs, dans la logique de l’élection du président Calderon, en 2006, qui se fit dans des conditions très suspectes et elles-mêmes d’une légitimité très douteuses. Les derniers événements sont bien plus une illustration de la situation qu’une cause, quoi que disent les experts de la réelle puissance du cartel La Familia. Les experts américains avaient pu conclure, après l’offensive du Têt du début 1968, que les forces du FLN et du Nord-Vietnam avaient subi des pertes énormes et étaient très affaiblies. Mais la vraie question n’était pas tant de savoir ce que pouvaient faire ces forces, que de savoir si les forces US et sud-vietnamiennes pouvaient gagner la guerre, et le Têt avait montré que non. De ce point de vue, l’analogie avancée par Ciro Gomez Leyva est juste; les derniers événements ne font que montrer l’incapacité des forces gouvernementales de gagner cette “guerre”, notamment parce qu’elles se trouvent dans une situation d’illégitimité évidente, telle qu’elle s’est formée selon les diverses conditions politiques et sociales établies par le régime.

Il s’agit bien, ici, d’un cas évident d’un conflit de la quatrième génération, ou G4G, selon la définition qu’en donne William S. Lind. L’essentiel tourne autour de la question de la légitimité des autorités en place. La “guerre de la drogue” n'est à cet égard qu’un moyen développé par la dynamique de la situation pour la mise en évidence de l'illégitimité de ces autorités, c'est-à-dire une réponse négative apportée à la question posée. A ce point, l’analogie du Têt semble devoir être abandonnée parce que, évidemment, les cartels n’offrent pour l’instant aucune alternative politique alors qu’au Vietnam les forces communistes en offraient une. Le développement des événements au Mexique fait évidemment penser à une évolution vers une situation de vide du pouvoir, générant un désordre devenant institutionnalisé. Ce développement correspond à une situation générale de notre époque, conforme aux normes qu’on rencontre désormais dans ces conflits G4G qui n’ont que très peu d’analogies avec le phénomène de la “guerre” au sens courant. Bien plus qu’une nouvelle forme de guerre, la G4G doit être perçue comme la marque opérationnelle d’un temps où la crise centrale est celle de la légitimité de l’autorité et du pouvoir politique, et non plus la question des concurrences et des antagonismes entre nations et groupes de nations ou d’intérêt.


Mis en ligne le 16 juillet 2009 à 06H16

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