Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
756
17 août 2005 — Les “tournants” dans la position publique de l’administration GW Bush, surtout vis-à-vis du public américain dans la guerre d’Irak, ne cessent de se suivre. Nous sommes sur une route de montagne diablement en lacets et, bien entendu, complètement chaotique.
Aujourd’hui, c’est un nouveau tournant, et avec de bons arguments dont on a déjà vu les signes ici et là. Robert Rich, dans son article désormais fameux du 15 août, résume la situation de GW en la mettant en parallèle avec celle de Johnson face au Viêt-nam au pire moment de sa présidence (avec la différence importante que Johnson-1968, — c’est l’analogie choisie — est au bout de son mandat alors que GW est au début de son second mandat, — par conséquent, avec beaucoup de temps pour que la crise et son désordre ne cessent pas de s’aggraver). Cette situation, c’est évidemment la vertigineuse érosion de l’opinion publique vis-à-vis du président et de “sa” guerre. Tout en réservant son opinion sur l’approche générale de la crise de Robert Rich, le site d’opposition radicale WSWS.org reconnaît la qualité de l’homme (« one of a handful of columnists for the major daily newspapers in the United States who exhibit intelligence and compassion ») et observe que « Rich is not wrong to believe that, in terms of public opinion, the summer of 2005 has marked a decisive shift against the war. »
Voici ce que nous dit Frank Rich, dans cette analogie historique et statistique frappante:
« A president can't stay the course when his own citizens (let alone his own allies) won't stay with him. The approval rate for Bush's handling of Iraq plunged to 34 percent in last weekend's Newsweek poll — a match for the 32 percent that approved President Lyndon Johnson's handling of Vietnam in early March 1968. (The two presidents' overall approval ratings have also converged: 41 percent for Johnson then, 42 percent for Bush now.) On March 31, 1968, as LBJ's ratings plummeted further, he announced he wouldn't seek re-election, commencing America's long extrication from that quagmire. »
L’évolution du sentiment public pour GW et pour “sa” guerre en Irak est désastreuse. La question, rappelée une fois de plus, est de savoir combien de temps il tiendra sur cette pente de l’impopularité, alors qu’il est à cet égard, dans le domaine de la chronologie, beaucoup plus dans la position du Nixon du Watergate que dans celle de LBJ abandonnant son projet de candidature pour un deuxième mandat le 31 mars 1968. La différence tient dans l’inconscience de GW pour cette position d’“homme aux abois”, par contraste avec la conscience aiguë, presque obsessionnelle, de Nixon de son statut d’“homme aux abois”. Cette différence est porteuse de tous les dangers: la situation d’un Nixon refusant de démissionner après la découverte des bandes enregistrées en juin 1974, s’arc-boutant à sa position, éventuellement par des moyens illégaux de force, aurait conduit à une crise de régime fondamentale. GW ne démissionnera pas parce qu’il n’est pas un homme de cette sorte, parce qu’il sait bien, de science Très-Haute, qu’il a raison.
Devant ce blocage psychologique plus qu’institutionnel, la situation tourne au désordre. Certes, les démocrates sont inexistants mais les républicains sont de plus en plus désunis. Les “alliances” sont des convergences de rencontre, ajoutant au désarroi et à la perte du sens, même partisan. L’on trouve par exemple une situation où un Biden (sénateur démocrate “faucon”) fait chorus avec un McCain (sénateur républicain réformiste), faisant chorus à cette occasion avec les “neocons” détestés de tous, pour exiger la tête de Rumsfeld. Le “dialogue” de Biden et de McCain, sur “Meet the Press” le 14 août, les arguments développés contre la politique de l’administration ou telle ou telle intervention, reflètent le climat extraordinaire de désordre régnant à Washington par rapport aux coutumes de respect du pouvoir exécutif par les hommes du sérail, en “temps de guerre” (puisque c’est le cas).
« “I think Rumsfeld should get his notice on Monday morning,” Biden said as he appeared on NBC's ‘Meet the Press’ program. Republican Senator John McCain, a possible presidential candidate in 2008, echoed the view, adding, “I don't have confidence” in Rumsfeld.
» McCain was particularly incensed by recent statements by General George Casey, the top US military commander in Iraq, and other Pentagon officials that substantial withdrawals from Iraq could begin as early as next year. “Look, I've got an idea for our Pentagon planners,” the Arizona senator opined testily on the Fox News Sunday show. “The day that I can land at the airport in Baghdad and ride in an unarmed car down the highway to the ‘green zone’ is the day that I'll start considering withdrawals from Iraq.”
» Biden, for his part, accused the defense secretary of being personally responsible for the US failure to get broader support for the US-led operation in Iraq from NATO allies. “As long as Rumsfeld's in charge of this operation, as opposed to the uniformed military, they virtually have no confidence in our ability to get the job done,” the Delaware Democrat pointed out. »
Une autre marque très symptomatique de l’évolution du climat, c’est le phénomène Cindy Sheehan, en train de devenir une héroïne de notre temps historique, peut-être, bientôt, la Jeanne d’Arc américaine, seule capable de purger et de sauver la Grande République. Lisez “Cindy Sheehan's War”, de l’excellent Tom Engelhardt, qui détaille comment notre Jeanne d’Arc est en train de faire trembler le sol américaniste de Washington. Plantée là, devant le ranch de GW, où le président passe ses longues, longues, longues vacances ; l’assiégeant, en un sens, avec sa pancarte rappelant la mort de son fils, entourée d’une nuée de journalistes qui se relaient autour de sa veille vigilante… Avec cette aura de tragédie de la mort de son fils en Irak, cette femme vient à la bonne heure sur la scène désastreuse de la Grande République ; cela ne signifie pas qu’on puisse la soupçonner d’opportunisme ou de calcul, cela signifie que son apparition correspond effectivement à une sorte de “nécessité historique”, par l’opportunité qu’elle offre soudain de rassembler sur un nom, un symbole, une situation personnelle et un caractère, les énergies dispersées mais de plus en plus nombreuses des opposants à la guerre en Irak et à la situation générale aux Etats-Unis. Si la chose se poursuit, s’amplifie et se structure, on pourra un jour se demander: l’apparition de Cindy Sheehan est-elle un événement antimoderne?
A côté de cela, comme une basse continue de la médiocrité du temps, il y a l’inconscience extraordinaire des élites du reste du monde devant l’évolution washingtonienne, — sauf les rares exceptions qu’on connaît et les cas extrêmes des nécessités électorales (Schröder remettant une couche d’anti-américanisme implicite à l’occasion de sa campagne électorale). Il n’est pas pour autant nécessaire de s’en plaindre ni de gémir à ce propos, — une simple touche de mépris en passant suffit, avant d’en distinguer les avantages. L’incapacité du reste du monde à comprendre l’évolution profonde en cours à Washington et à en rajouter dans le sens de la servilité zélée est aussi un élément-clé du désordre qui se développe à Washington. Cette attitude renforce, à Washington même et malgré l’évidence, la fausse impression d’infaillibilité au bout du compte du système, c’est-à-dire la fausse impression de sa nécessité historique et, par conséquent, de sa quasi-invulnérabilité. De cette façon, les McCain, les Biden, les Rumsfeld ne prennent pas de gants pour se déchirer entre eux et alimenter ces conditions déplorables d’accentuation du désordre, et chaque jour faire davantage de GW un sous-LBJ au plus grave de la crise vietnamienne.
L’explication est là: même chez ceux qui, à Washington, critiquent GW, même chez ceux qui dénoncent la guerre en Irak, il y a la conviction que le système supportera ces tensions. Il y a la conviction religieuse de son infaillibilité, dans le sens que l’Église donne à ce mot pour son propre compte de porteuse temporelle de l’inspiration divine. C’est un risque énorme, considérable, — si cette proposition était fausse? Pour notre part, nous croyons bien entendu à sa fausseté. Dans ce cas, la “guerre personnelle de Cindy Sheehan” est un signe avant-coureur de cette appréciation. Le système à Washington n’est plus en danger de rencontrer une opposition, ce que ses structures ne permettent pas ; il est en danger de déstructuration, d’“implosion” en un sens, sous des poussées inattendues et imprévisibles, dont cette étrange époque postmoderne confrontée à l’antimoderne a le secret. Nous pouvons être sûrs qu’il va “se passer quelque chose” mais serions bien en peine de dire quoi…