Un Trafalgar postmoderne, avec Nelson vendu pour trente deniers

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La Royal Navy, qui n’avait jamais cédé, qui régnait sur les mers, — “Rule the Waves” — a dû céder à l’extraordinaire pression populaire qui a enflammé Londres ces dernières quarante-huit heures. La Royal Navy est revenue cette nuit, sur ordre d’un ministre paniqué, sur l’autorisation donnée aux ex-otages devenus prisonniers libérés et témoins privilégiés et bien payés de monnayer leur propre “calvaire iranien”. Le New Labour est à nouveau mis en cause pour ses pratiques propagandistes, Tony Blair en tête. Le prochain départ du sémillant Premier ministre britannique risque d’être marqué d’une gloire frelatée quoique sans doute bien payée.

L’attaque contre les pratiques mercantiles de la Royal Navy, — pratiques d’ailleurs conformes, après tout, aux lois du marché, — a été d’une terrible puissance. Elle marque la puissance également terrible du malaise qui secoue jusqu’au tréfonds l’establishment britannique emporté dans le vertige de la politique aventuriste et pro-américaniste de Blair et de ses spin doctors. La diatribe de Lord Heseltine, ancien ministre conservateur de la défense, a été particulièrement dévastatrice, — ici, telle que le Guardian en rapporte des extraits, dans l’article qui nous annonce le Trafalgar à contre-emploi de la Royal Navy :

«The decision to allow the sailors and marines to sell their stories for sums of up to £100,000 was condemned by opposition politicians, families of dead service personnel and former officers. Some of the 15 have already given interviews for free. Lord Heseltine, the former deputy prime minister and defence secretary, said the decision was tantamount to saying: “‘Look lads, Rupert Murdoch's Sun has taken over. He's got the big cheque books and if he's prepared to pay to hell with any rules or regulations, any understandings, any customs, any traditions, it's all up for grabs.’ That's called New Labour. I am profoundly shocked.

»“What an extraordinary story, that people who every day take calculated risks with their lives are expected to earn relatively small sums of money whilst people who get themselves taken hostage, in circumstances which are worth exploring, can make a killing. I have never heard anything so appalling,” he said.

»Another Tory former minister, John Redwood, condemned “a new low in the long and dispiriting history of Labour spin”. Former foreign secretary Sir Malcolm Rifkind said he was “appalled” and would demand a statement from Mr Browne when parliament returns next week. That call was endorsed by the Labour MP David Crausby, a member of the defence select committee, and the Liberal Democrats' defence spokesman Nick Harvey.»

Comme on le voit, les conservateurs sont déchaînés. A juste titre, ils défendent les traditions, l’honneur, le devoir affreusement menacés par les pratiques mercantiles. On ne peut mieux dire qu’ils ne disent. Mais le système est impitoyable. Eux-mêmes soutiennent une politique générale qui pourrait être désignée comme l’“américanisation de l’Angleterre”, où tout évidemment a un prix, y compris les traditions, l’honneur, le devoir. La pitoyable aventure des “otages” conduits, souvent sans enthousiasme et parfois avec une gêne qu’on comprend bien, à faire un métier qui paye bien de la situation d’otage libéré, n’est que la logique poussée à son terme de cette politique générale. Cela s’appelle un dilemme ou les mots n’ont plus leur sens. Mais non, — c’est plutôt que les mots n’ont plus leur sens.


Mis en ligne le 10 avril 2007 à 03H41