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10 novembre 2002 — On a pu remarquer dans une succession d'articles que nous offrons en liens dans notre rubriques “Nos choix”, l'extraordinaire variété d'interprétation existante sur la résolution qui a été votée à l'ONU le 8 novembre par 15 voix contre 0, à l'unanimité du Conseil de sécurité.
On rappelle ci-après cette variété extraordinaire d'interprétations qui ont été données à la résolution.
• Dans le Guardian du 7 novembre, Ewen MacAskill et Oliver Burkeman écrivent ceci (ce sont les titres, ils résument le sentiment général) : « Document leaves way clear for war — Resolution's grey areas may give hawks excuse for strike. » Pour les deux auteurs, il ne fait aucun doute que les ambiguïtés sans fin de cette résolution permettront aux faucons de l'administration d'imposer la guerre.
• Le Globe and Mail de Toronto dit, le 8 novembre, un peu la même chose, mais d'une façon finalement complètement différente, menant à une conclusion complètement différente : « U.S. settles for weaker Iraq resolution ». Pour ce journal, GW a obtenu l'unanimité pour sa résolution parce qu'il a fait des concessions significatives aux Rest Of the World, à la France en premier ; du coup, cette résolution manque de netteté, de force en un sens, et complique singulièrement la tâche des Américains s'ils veulent la guerre.
• Le site WSWS a une vision complètement, radicalement différente. Dans son édition du 9 novembre, il dénonce dans la résolution américaine votée à l'ONU « a cynical cover for US aggression ». Pour WSWS, on n'est pas loin d'une sorte de complicité entre les puissances impérialistes et capitalistes, ou bien il y a eu une soumission complète des autres devant la puissance US et les arrangements, ceci pouvant d'ailleurs se marier avec cela. Les soi-disant concessions de la résolution US ne sont qu'un peu de maquillage. On reconnaît la vision trotskiste (WSWS est le site de la IVe Internationale), crépusculaire, anti-capitaliste sans la moindre nuance renvoyant à la nationalité, à la culture, etc.
• Le 9 novembre, le New York Times publie un article où il fait l'historique de la bataille ayant mené à la résolution (« How Powell Lined Up Votes, Starting With His President's »). L'interprétation est claire : la résolution est une victoire des modérés, donc de Powell d'abord, qui a travaillé “objectivement” avec divers pays alliés, contre les faucons du DoD. On notera qu'on retrouve l'orientation du journal new-yorkais, hostile à la guerre, qui nous offre une version à la gloire d'une Amérique modérée et multilatéraliste.
• Son de cloche radicalement opposé, avec Rupert Cornwell, de The Independent, le 9 Novembre. Le premier paragraphe nous dit tout : « In the space of a few minutes yesterday, two starkly contrasting faces of power were on view: diplomatic power, clothed in the formulaic rites of the United Nations Security Council, and raw, real power as brandished by President George Bush in the Rose Garden of the White House. » En d'autres termes : soyons sérieux, cette résolution est une feuille de vigne offerte à la vertu du Rest Of the World, seule compte la puissance US, qui a tonné et obtenu l'unanimité du Conseil de Sécurité. La suite ne fait aucun doute.
• Pourtant, dans le même Independent du même jour, Robert Fisk nous télégraphie, de Beyrouth, la version des Syriens (qui ont voté pour la résolution, comme on sait). « Waverer voted yes “to stop use of force and US right to go to war” », nous dit Fisk. Les précisions sont intéressantes :
« Syria's minister of information, a senior member of the Baath party, told The Independent last night that his country voted for the resolution on Iraq's arms inspection in order “to eliminate the [US] right to go to war against Iraq.” Adnan Omran, formerly Syria's ambassador to London, said the resolution prevented the use of force by the United States and “guaranteed” the central role of the UN. Mr Omran said Syria had been assured by other members of the Security Council that the resolution did not give the US government the right to invade Iraq.
» “We did not accept that the resolution permitted the US and Britain to go to war against Iraq,” he said. The Syrian government, Mr Omran said, accepts the “central role of the UN Security Council” in the crisis. »
• Là-dessus, on ne terminera pas cette étonnante revue de presse sans citer une dernière contradiction, ou semblant telle, sur le cas syrien, avec le New York Times du 8 novembre. Sur le même cas syrien, l'on nous confie que la Syrie a voté par peur : « Syria Fears Isolation More Than War. ». Peur de l'isolement, par conséquent, peur d'être identifié comme ennemi par la puissance US.
• ... On pourrait même ajouter, en sorte de Post-Scriptum, les versions encore plus minimaliste, qui vous entretiennent des habiletés tactiques de cette bataille pour en faire une victoire stratégique US (confusion de deux substances différentes, tactique et stratégie). Voici celle qui nous est donnée par NewsMax.com (très à droite, très proche de GW), reprenant une analyse de UPI :
« U.S. Ambassador John Negroponte “kept up the negotiations for eight weeks, and ensured that most of the fuss was about paragraphs 1, 4 and 12.,” UPI reported today.
» Paragraph 1 says that Iraq “has been and remains in material breach” of U.N. Resolutions. Paragraph 4 says that Iraq's non-cooperation with the inspectors would be “a further material breach.” And paragraph 12 says that if the United Nations if the inspectors report non-compliance, the security council must reconvene immediately to consider “the need for full compliance.”
» Now there is “quiet self-satisfaction among the Brits and Americans that paragraph 5 — the silver bullet — went through with little fuss,” says UPI. Paragraph 5 says the inspectors must have “immediate, unimpeded, unrestricted and private access to all officials and other persons” and that the inspectors “may at their discretion conduct interviews inside or outside of Iraq, may facilitate the travel of those interviewed and family members outside Iraq.”
» UPI notes: “This means an open ticket to the West for all the best brains in Iraqi who would like to leave. It is also the guarantee that Iraq can be declared in material breach if access to any designated scientist, technician, official or civilian is denied. And the CIA and Britain's SIS have drawn up a very long list.” »
Au terme de cette rapide revue, on en revient, pour notre conclusion, au constat de départ, sur l'extraordinaire diversité des interprétations sans qu'aucune ne se discrédite par une sollicitation abusive ; au-delà, c'est le constat de l'extraordinaire ambiguïté de cette résolution. Rarement l'image du “verre à moitié plein ou à moitié vide” n'aura autant convenu. Notre conclusion revient à dénoncer et à écarter la question qui semblerait s'imposer : laquelle de ces interprétations est la bonne ? Elle le sont toutes. Cette réponse est-elle une pirouette ? Pas du tout, elle constitue en elle-même la réponse à la question implicite qui est dans tous les esprits (qui l'a emporté à l'ONU ?)
Au départ était la super-puissance, au départ étaient son unilatéralisme triomphant, sa détestation naturelle de toute soi-disant autorité qu'on pourrait juger supra-nationale. Jusqu'alors, et si absurde ou criminel qu'on pouvait juger ce comportement, on ne pouvait lui dénier la logique qui est la clé de la cohésion, de la conviction et, finalement, de l'influence. A substance de super-puissance, comportement de super-puissance : si ce n'est aujourd'hui que les USA suivent cette logique, quand cela serait-il ? Pourtant, le fait est, comme nous prouvent cette ambiguïté et cette diversité caractérisant la résolution et les interprétations qu'on en fait, que cette logique a été abandonnée.
Peu nous importe que les Américains l'aient emporté sur tel paragraphe en cédant sur d'autres, car il devrait enfin bien entendu que l'important pour les USA en cette occurrence était de ne céder sur aucun paragraphe, et même de ne pas de se présenter au jugement des autres et de se passer de tous ces paragraphes. Peu nous importe qu'un faucon malin puisse trouver la faille qui permette aux USA de faire sa guerre, car il devrait enfin être bien entendu que l'important pour les USA n'est pas de faire leur guerre, mais la façon de la faire, qui devrait être un exemple, un avertissement et une prédiction pour le Rest Of the World. Le fait est qu'il n'en est rien. La super-puissance qu'on vous désignait comme on chuchotait, in illo tempore, à propos du Roi-Soleil, s'est conduite à New York comme un boutiquier d'avant la guerre d'Indépendance. Boutiquier d'un poids et d'une force peu communes, sans aucun doute, mais boutiquier tout de même. Il ne suffit pas d'avoir la puissance, il faut encore l'imposer sans l'imposer, sans mégoter, sans magouiller, l'imposer comme quelque chose qui va de soi. Cela n'est pas le cas. Cela dit tout.
Pour le reste, aucun doute là-dessus : nous nous préparons une belle période de coups bas, coups dans le dos, coups fourrés et le reste, en marge des péripéties autour de la mission des inspecteurs de l'ONU. Nous allons avoir une bonne mesure de ce qu'est l'unanimité de la “communauté internationale”.