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4451er avril 2005 — Encore un rapport mettant en évidence les énormes erreurs américaines d’évaluation du potentiel militaire de l’Irak avant la guerre (les océans d’ADM de Saddam introuvables). On en trouve des détails sur BBC.News du 31 mars, sur The International Herald Tribune (IHT) du 1er avril, etc. La particularité très inhabituelle de ce rapport-là se trouve dans ce que c’est la Maison-Blanche qui l’a demandé, et que la Maison-Blanche est très contente du résultat. Le porte-parole de GW, Scott McClellan, a observé que l’administration « would act on those recommendations in a fairly quick period of time ».
La critique technique développée dans le rapport est connue et ne peut surprendre. Il s’agit d’une critique habituelle contre une bureaucratie dont la puissance est telle qu’elle constitue un monde en soi et refuse les incursions de l’extérieur qui peuvent être dérangeantes. (On peut toujours se référer au discours de Rumsfeld du 10 septembre 2001, qui constitue un point d’orgue de la critique de la puissance destructrice de la bureaucratie.) Cette critique est particulièrement forte et dramatique, et, du point de vue technique, certainement fondée. Voici ce que dit l’IHT à ce propos :
« The false assumptions about Iraq's arsenal were not the result of deliberate distortion, nor were they influenced by pressure from outside the agencies, the report found. Rather, it said, they came about because the intelligence bureaucracy collected far too little information “and much of what they did collect was either worthless or misleading.” Moreover, the commission concluded, intelligence officials failed to make it clear to policymakers how deficient their information was.
» Describing the intelligence bureaucracy as “fragmented, loosely managed and poorly coordinated,” the commission said the government's 15 intelligence organizations “are a ‘community’ in name only and rarely act with a unity of purpose.”
(...)
» Like the commission that investigated the terrorist attacks of Sept. 11, 2001, and the Senate Intelligence Committee, which also studied intelligence lapses leading up to the American-led war against Iraq, the Silberman-Robb commission was critical of some of the most familiar entities in the bureaucracy — the Central Intelligence Agency and the Federal Bureau of Investigation — as well as the huge National Security Agency, much of whose function is electronic eavesdropping and analysis.
» “The CIA and NSA may be sleek and omniscient in the movies, but in real life they and other intelligence agencies are vast government bureaucracies,” the nine-member commission told the president. “They are bureaucracies filled with talented people and armed with sophisticated technological tools, but talent and tools do not suspend the iron laws of bureaucratic behavior,” the commission said. “The intelligence community is a closed world, and many insiders admitted to us that it has an almost perfect record of resisting external recommendations.”
» Despite the reference to the talented people in the bureaucracies, the commission hinted that the human makeup needs change. “We need an intelligence community that is truly integrated, far more imaginative and willing to run risks, open to a new generation of Americans and receptive to new technologies,” the commission said. »
Cela écrit, et qui n’est pas nouveau, il reste aussi une dimension politique autour de ce rapport. La critique ne fait aucune place aux interférences du pouvoir politique dans le processus d’évaluation et de décision.
Que se passe-t-il exactement avec ce rapport? D’abord, la CIA en est la principale accusée, alors que les évaluations grotesques sur les ADM de Saddam sont venues directement des manipulations des neocons, du Pentagone, des équipes de communication de Blair, etc. Le premier résultat politique intéressant du rapport, quelle que soit la véracité de sa critique, est celui-ci : on met la CIA sur la touche. Ensuite, le rapport déplore la méconnaissance actuelle, dans la logique du passé tel qu’il est analysé, des capacités de ses adversaires actuels (toujours à cause de la CIA, bien sûr) : « The bad news is that we still know disturbingly little about the weapons programs and even less about the intentions of many of our most dangerous adversaries. » On est invité à penser que la Corée du Nord et, surtout, l’Iran sont ici concernées. (Le texte de la BBC est explicite à ce propos : « The commission did not name any country in the declassified version of the report — but analysts say the statement refers to such countries as North Korea and Iran. »)
La Maison-Blanche va donc agir. Comment? Des réformes vont être lancées, comme c’est l’habitude dans cette sorte de circonstances. Mais tout le monde reconnaîtra qu’il y a un problème politique immédiat : la Corée du Nord et surtout l’Iran, dont les services de renseignement américains admettent ne pas connaître grand’chose des capacités en matière d’armes de destruction massive. Pour l’immédiat, on va donc lancer des missions d’évaluation pressantes des potentiels de ces deux pays, surtout (bis) l’Iran. Ces missions ne seront pas confiées à la CIA, en pleine crise et dont l’incompétence affirmée vient d’être exposée sur la place publique. Elles seront confiées à des groupes plus “sûrs”, dont l’hostilité politique à ces deux pays, et à l’Iran principalement, est avérée.
On pourrait alors, justement, retrouver le schéma irakien. L’administration utiliserait la même méthode, qui n’est nullement dénoncée dans le rapport puisque l’essentiel de l’attaque est porté contre la bureaucratie, la CIA et les autres agences classiques. Le but de l’administration serait d’autant mieux rencontré: trouver une mise en cause de l’Iran, qui pourrait servir de casus belli en cas de besoin. Belle manœuvre qu’on qualifierait de virtualiste, en plusieurs étapes: utiliser ses propres manipulations renouvelées pour mettre hors course les services embarrassants qui faillirent mettre à jour ces manipulations déjà réalisées dans le cas précédent (ce fut le cas de la CIA, qui s’opposa également à certaines évaluations des néo-conservateurs) ; justifier complètement les manipulations à venir, qui seront du même type à propos de l’Iran. Cette appréciation est moins un procès d’intention qu’une prévision fondée sur la logique des situations et des comportements.
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