Une autre voie pour la civilisation

Ouverture libre

   Forum

Il y a 6 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 4704

• Dans son style et sa méthodologie désormais bien connues des lecteurs de notre ‘Forum’, notre lecteur ‘J.C.’ nous donne quelques pistes originales pour avancer vers une conceptualisation des temps à venir.

________________________

 

Une autre voie pour la civilisation

« Nous l’avons déjà écrit et nous le répétons avec force : il ne peut y avoir, aujourd’hui, d’événements plus important pour la situation du monde qu’une dynamique de dislocation des USA. [...] La fin de l’‘American Dream’, qui interviendrait avec un processus de parcellisation de l’Amérique, constituerait un facteur décisif pour débloquer notre perception, à la fois des conditions de la crise, de la gravité ontologique de la crise et de la nécessité de tenter de chercher une autre voie pour la civilisation – ou, plus radicalement, une autre civilisation. » (de defensa.org, 14 octobre 2009)

"Il s’agit de comprendre que nous sommes à une rupture de l’histoire du monde, un peu à la façon dont Guénon en a fait la métaphysique. Il s’agit d’avoir cette conscience-là, ce savoir qui nous confirme d’être dans cette époque de Grande Exception, qui gomme la politique et l’histoire pour s’inscrire directement dans la métaphysique". (dedefnsa.org, 15 juillet 2023)

J'ai reparcouru le chapitre VI de “La crise du monde moderne” intitulé “Le chaos social”, ce que je n'avais pas fait depuis que j'avais remarqué que la devise franc-maçonne “Ordo ab chao” était une devise Janus, selon l'interprétation que l'on donnait au “ab” de la devise. Et il est pour moi clair que Guénon y interprète “ab” par “par” (!) et non par "à partir de", exactement comme Grand Frère Jack, ce Warwick faiseur de rois qui nous a fait Hollande et Macron, à l'égo tellement surdimensionné qu'il considère comme tout-à-fait normal que les grands de ce monde l'appellent pour lui demander conseil.

Tels Raffarin ils analysent tous les deux la situation du point de vue d'une élite intellectuelle (la France d'en haut) dont ils font partie et regardent le petit peuple (la France d'en bas) comme un ensemble d'atomes sociaux qui passent leur temps à se battre pour leur survie individuelle ("There is no such thing as society, there are individual men and women and there are families") auxquels on peut appliquer les fameuses lois de la thermodynamique, atomes que les élites manipulent à leur guise. Mais, bien entendu, Guénon pense que cette interprétation est catastrophique -au sens usuel du terme – alors que Frère Jack pense – comme Margaret Thatcher – que c'est la seule possible (TINA) et va jusqu'à énoncer un théorème de l'ordre par le bruit – pour dire qu'il y croit dur comme fer !

D’aparté en aparté

En son sens technique la métaphysique est l'étude de l'être en tant qu'être, c'est-à-dire l'ontologie. À soigneusement distinguer de – et à opposer à – l'étude de l'avoir en tant qu'avoir, étude que j'ai envie de qualifier de paraphysique, c'est-à-dire d'ekologie (j'ai vu qu'en grec moderne avoir se traduit par έχω ) ( je suis un bipolaire maniaque).

[ Que sont les mathématiques ? Après une vie “active” de près de 40 ans en tant qu'enseignant-chercheur en ce domaine, je me suis souvent posé la question. C'est en me plongeant dans "À l'ombre de Grothendieck et de Lacan" que j'ai un début d'élément de réponse qui me plaît. Patrick Gauthier-Lafaye, le lacanien, y dit : "Pour moi, il n'y a de réalité que de langage", et Alain Connes, le matheux, lui répond aussitôt (p.18) : "Et pour moi il n'y a de réalité que de mathématique". Et ce début d'élément de réponse qui me plaît c'est que les mathématiques sont d'abord un langage. C'est un langage qui se veut véhiculaire car à vocation universelle (un théorème vaut pour l'éternité) qui ne peut s'interpréter jusqu'à présent que dans un métalangage vernaculaire (à savoir pour nous le français, qui se trouve donc jusqu'à présent le juge de paix en la matière (et le rêve de Leibniz est d'inverser la situation). En fait depuis la fin du XIXème (Cantor) et le milieu du XXème (Mac Lane) les matheux disposent de deux langages dont la signature (l'ensemble des symboles non logiques) a soit un (l'appartenance pour la théorie des ensembles) soit deux (les objets et les flèches pour la théorie des catégories). Il suit que je vois les langages mathématiques comme des stylisations drastiques des langages vernaculaires (pour nous le français), car j'espère avoir convaincu les non-matheux qui se seraient aventurés à me lire jusqu'ici qu'on ne fera pas un article tous les jours avec des langages comme ça (les symboles logiques essentiels sont “et”, “ou”, “implique”, “non” (ce dernier pas toujours) ]

Ce premier aparté était nécessaire pour pouvoir aborder le second.

[ S'il fallait que je situe le berceau de la métaphysique occidentale contemporaine, je ne la placerais certainement pas aux États Unis. Et pourtant Mac Lane parle de beings et d'arrows. Et je pense que les mathématiciens français de l'époque ont fait une grossière erreur en traduisant -sans doute sciemment- “being” par objet, avec l'idée que la science se doit d'être objective, écartant ainsi toute possibilité de référence au sujet, latitude laissée par le choix de “being”. Je rappelle ici la position de Thom que j'ai maintes fois cité dans mes nombreux commentaires sur ce site : "Les situations dynamiques régissant l'évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés. L'emploi de vocables anthropomorphes en physique s'en trouve ainsi justifié.", citation qui va dans le sens du choix de "être", et même de "être vivant" -car pour Thom il faut voir tout concept comme un être vivant-. Je serais bien embarrassé s'il me fallait donner un nom de métaphysicien anglais. Mais ce ne serait certainement pas Roger Scruton qui m'a montré l'extrême superficialité de sa critique d'Alain Badiou et de Grothendieck (objets de sa vindicte) et de René Thom dont il parle un peu (en faisant référence en footnote à ... sa fille Françoise, historienne !). ]

Encore un dernier aparté :

[ Qu'y a-t-il de commun entre mathématiques et théologie ? Les religions ayant longtemps été utilisées -et l'étant encore- pour structurer et stabiliser les sociétés, la question se pose de savoir si les mathématiques peuvent arriver au même résultat. Les mathématiques ont une prétention à l'universalité ; de même que le catholicisme puisqu'en grec ancien signifiait “universel”. Je sais depuis longtemps que Thom a épigraphé "Et le Verbe s'est fait chair" le chapitre de Stabilité Structurelle et Morphogénèse consacré à des modèles de formation des organes sexuels, et qu'il a écrit "Dans de nombreuses philosophies, Dieu est géomètre. Il serait peut-être plus logique de dire que le géomètre est Dieu.". Je sais également depuis un certain temps que Grothendieck a sous-titré “La clef des songes” par “Dialogue avec le bon Dieu”. Mais je viens de découvrir qu'à maints endroits de ses articles techniques, il parle d'incarnation. Marque de fabrique des platoniciens ? ]

Alain Badiou a écrit un volumineux "L'être et l'évènement", que je n'ai pas lu. Mais j'ai lu et relu "L'éloge des mathématiques" d'où j'ai tiré les citations suivantes :

"Les mathématiques, c'est l'ontologie !" ;

"Dans mon propre système la logique de l'être pur, de l'être en tant qu'être, est classique, la logique de l'apparaître est intuitionniste, et la logique de l'évènement et des vérités qui en dépendent, du point de vue du Sujet, est para-consistante.". (Nb: la logique intuitionnistes n'accepte pas le principe du tiers exclu, la logique para-consitante n'accepte pas le principe de non-contradiction -et on comprend pourquoi les matheux rechignent à l'utiliser !-.

Je rappelle ici encore une fois la façon dont Thom conçoit le métaphysicien :

“L'image de l'arbre de Porphyre me suggère une échappée en "Métaphysique extrême" que le lecteur me pardonnera peut-être. Il ressort de tous les exemples considérés dans ce livre qu'aux étages inférieurs, proches des individus, le graphe de Porphyre est susceptible -au moins partiellement- d'être déterminé par l'expérience. En revanche, lorsqu'on veut atteindre les étages supérieurs, on est conduit à la notion d' “hypergenre”, dont on a vu qu'elle n'était guère susceptible d'une définition opératoire (hormis les considérations tirées de la régulation biologique). Plus haut on aboutit, au voisinage du sommet, à l'Être en soi. Le métaphysicien est précisément l'esprit capable de remonter cet arbre de Porphyre jusqu'au contact avec l'Être. De même que les cellules sexuées peuvent reconstituer le centre organisateur de l'espèce, le point germinal α (pour en redescendre ensuite les bifurcations somatiques au cours de l'ontogénèse), de même le métaphysicien doit en principe parvenir à ce point originel de l'ontologie, d'où il pourra redescendre par paliers jusqu'à nous, individus d'en bas. Son programme, fort immodeste, est de réitérer le geste du Créateur. Mais très fréquemment, épuisé par l'effort de son ascension dans ces régions arides de l'Être, le métaphysicien s'arrête à mi-hauteur à un centre organisateur partiel, à vocation fonctionnelle. Il produira alors une "idéologie", prégnance efficace, laquelle, en déployant cette fonction, va se multiplier dans les esprits. Dans notre métaphore biologique ce sera précisément cette prolifération incontrôlée qu'est le cancer.”

Aristote a dit du germe, à la naissance, qu'il est inachevé. On peut dès lors se demander si tout en haut du graphe on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée: "Premier selon l'être, dernier selon la génération".".

Unité-Harmonie-Diversité

Tous ces longs préliminaires pour revenir enfin à Guénon. De mon point de vue son argumentation repose essentiellement sur deux points :

- "L’argument le plus décisif contre la « démocratie » se résume en quelques mots : le supérieur ne peut émaner de l’inférieur, parce que le « plus » ne peut pas sortir du « moins » ; cela est d’une rigueur mathématique absolue, contre laquelle rien ne saurait prévaloir. " ;

- "Si l’on définit la « démocratie » comme le gouvernement du peuple par lui-même, c’est là une véritable impossibilité, une chose qui ne peut pas même avoir une simple existence de fait, pas plus à notre époque qu’à n’importe quelle autre ; il ne faut pas se laisser duper par les mots, et il est contradictoire d’admettre que les mêmes hommes puissent être à la fois gouvernants et gouvernés, parce que, pour employer le langage aristotélicien, un même être ne peut être « en acte » et « en puissance » en même temps et sous le même rapport." .

On voit que le "En même temps" pose problème, et renvoie au chat de Schrödinger, en même temps mort et vivant, et au chat affamé de Thom, en même temps prédateur et proie (et Thom écrit que cette assertion de nature translogique est pour lui à la base de l'embryologie animale). À ma connaissance, le premier métaphysicien à s'attaquer à ce problème du tiers inclus est Stéphane Lupasco ( cf. Wikipédia ou, mieux, le site tiersinclus.fr) que je trouve de fort bonne tenue ) .

Je suis profondément convaincu qu'une autorité spirituelle est indispensable à la stabilité de la société, qu'elle manque cruellement à la nôtre et que cette autorité doit être constituée de métaphysiciens démagogues, c'est-à-dire capables de tenir au peuple un discours doublement intelligible -par eux et par le peuple- ( étymologiquement la démagogie n'est autre que la pédagogie pour adultes ). Comment les détecter ? Je ne vois pas d'autre solution que de faire remonter le moins vers le plus en partant de chaque village de France -disons 150 personnes, enfants compris- qui proposera son panoramix, les panoramix des villages d'une même commune élisant leur panoramix communal, etc. jusqu'à constituer l'autorité spirituelle de la France (disons une quinzaine de personne, une par région). Le mode d'élection de ces clercs doit être aristocratique, c'est-à-dire choix par eux et eux seuls du meilleur d'entre eux, mode d'élection aristocratique qui vaut également pour le pouvoir temporel (le meilleur chef, le meilleur ministre de la santé, etc.), les élections “un citoyen une voix ” étant réservées exclusivement aux votes de confiance (Avez-vous confiance dans les institutions ? Avez-vous confiance en ceux qui vous gouvernent ?, etc. ) (pour moi, en aucun cas il ne faut utiliser un vote démocratique pour élire un gouvernant quel qu'il soit).

Pour en revenir à l'autorité spirituelle, je propose d'appeler les quinze élus des ridéalistes, d'une part parce qu'il me semble qu'il s'agira plutôt de vieux sages que de jeunes, d'autre part parce que ce néologisme amalgame les idées de réalistes et d'idéalistes. Car, pour rester dans le fil de Guénon, ces ridéalistes doivent -selon moi- être capables de proposer un panel de choix réalistes, à disposition du pouvoir temporel. Pour moi les ridéalistes ne prennent pas part au jeu politique -je ne peux imaginer que le jeu politique puisse intéresser un véritable métaphysicien ! - mais sont uniquement des conseillers dont le rôle est d'indiquer au pouvoir temporel -et au peuple- les conséquences d'un choix (agir c'est choisir !). D'où la quasi-nécessité d'être un bipolaire maniaque. Michel Maffesoli, qui le dit explicitement en ce qui le concerne, est pour moi un ridéaliste potentiel typique. Michel Onfray, qui semble vouloir se présenter aux Européennes, a toujours dit -jusqu'à présent- qu'il ne serait jamais candidat à la présidence de la République. Onfrray acceptant de siéger parmi les ridéalistes ?

On voit donc à ce point qu'il n'y a pas ici d'opposition entre démocratie et aristocratie, et que la démagogie n'y est pas connotée négativement.

Jusqu'en 1830 en France (Louis Philippe n'étant que roi des français) et encore maintenant en Europe et dans le monde il y a des rois non régnants, c'est-à-dire des lieutenants symbolisant un énigmatique pouvoir spirituel ( je trouve qu'Elizabeth II a correctement tenu son rang ). Mais le problème des rois en particulier, et des aristocrates en général, est qu'ils essayent -c'est humain- de transmettre leur prestigieuse et souvent confortable position à leur descendance. Il y a un moyen très simple de remédier à cette situation qui a mené et mènera à la catastrophe toutes les monarchies (et notre Vème république en est quasiment une). C'est d'élire comme roi et reine (hétéro hein !) deux enfants de, disons 6 ans, ni par élection aristocratique, ni par élection démocratique, mais par tirage au sort, et ce -disons- le 14 Juillet pour un an.

Je suis convaincu que se fixer un idéal commun est indispensable à l'unité de la nation/patrie/matrie (“Allons enfants de la matrie” n'exprime-t-il pas mieux que "fraternité l'idée de nécessaire unité ?). Avant de demander ce qu'il pourrait être, il faut d'abord se demander ce qu'il ne doit pas être. Et cet idéal commun ne peut pas être l'argent, présenté pourtant explicitement comme idéal à atteindre par Nicolas Sarkozy (“Travailler plus pour gagner plus” et par Emmanuel Macron (“Devenir milliardaire”) : l'argent -matérialisé ou dématérialisé- ne sera jamais une fin en soi sur ce point ce ne peut être qu'un moyen pour faciliter les échanges.

[ Se donner un idéal à atteindre nous emmène sur le terrain politiquement incorrect des causes finales. Pour moi le constat de l'évidence selon laquelle les moyens nécessaires à une fin sont exactement les causes produisant un effet donné tue dans l'œuf tout débat sur ce point. ]

L'idéal que je propose est l'anarchie (au sens étymologique). Précisément il s'agit d'éduquer progressivement la population pour arriver à la situation idéale où, chacun étant suffisamment sire de lui ( expression paraît-il d'origine normande, chère à Michel Onfray) pour qu'il n'y ait plus besoin de chef. Et on voit là que le travail des ridéalistes est immense.

Thom -encore lui- propose un tel modèle anarchique présentement bien nébuleux pour moi :

"On pourrait fort bien concevoir une société militaire sans chef unique, voire sans aucun chef, mais le corps social serait alors au moins une variété de dimension trois (afin d'avoir un champ ergodique sans singularité et structurellement stable. (...) Si les individus ont atteint un niveau moral suffisant pour ne pas exploiter à leur profit immédiat une défaillance temporaire de l'autorité (...) une situation très labile, à autorité fluctuante, a toutes chances de se révéler le régime optimal pour les individus.".

Restent les devises pour avoir l'esquisse d'un tout qui me paraît cohérent. Je propose "Unité-Harmonie-Diversité" ( je n'aime pas Ordre-Harmonie-Équilibre, un peu trop “bruit de bottes” à mon goût ) et “Vox populi Vox Dei” en citant une fois encore Machiavel : « Ce n’est pas sans raison qu’on dit que la voix du peuple est la voix de Dieu. On voit l’opinion publique pronostiquer les événements d’une manière si merveilleuse, qu’on dirait que le peuple est doué de la faculté occulte de prévoir et les biens et les maux. ».

Une proposition girondine

La proposition d'organisation sociale ci-dessus est clairement bottom-up, girondine, et n'est peut-être pas très éloignée de celle Michel Onfray, girondin et proudhonnien. Elle est frontalement opposée à l'organisation jacobine de la société française depuis au moins Philippe le Bel. Elle arrive, je crois, à mêler harmonieusement monarchie, aristocratie, démagogie, démocratie et anarchisme. Le talon d'Achille me semble être l'autorité spirituelle car on demande à cette autorité rien moins que de faire le travail de Dieu. Travail qu'un ancien directeur exécutif de Goldman Sachs s'est vanté d'avoir fait avec le succès que l'on sait.

J.C.’, – le  20 juillet 2023