Une coalition Tea Party-progressistes contre Moby Dick

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L’un des points de tension les plus intéressants et les plus explosifs du nouveau Congrès US, avec Tea Party à bord, s’avère de plus en plus être la question du budget de la défense. La synthèse du Progress Report du 10 novembre 2010 de ThinkProgress.org est consacrée à cette question. Elle observe que cette “coalition” en formation s’appuie sur l’initiative lancée à la fin du printemps dernier par les députés Barney Frank (démocrate de gauche) et Ron Paul (conservateur de droite, libertarien proche de Tea Party). La synthèse est d’autant plus significative que ThinkProgress.org, progressiste modéré de gauche, s’est toujours montré très critique de Tea Party et peu incliné à une alliance entre cette fraction et les progressistes de gauche, pour des raisons idéologiques.

Ci-dessous, une longue citation de cette synthèse, avec, dans le texte original, de nombreux liens renvoyant aux citations des personnages cités.

«Republicans should resist pressure to take all defense spending off the table. ... Taking defense spending off the table is indefensible. We need to protect our nation, not the Pentagon's sacred cows." Those words come not from a progressive Democrat or antiwar activist, but from famed ultra-conservative Sen. Tom Coburn (R-OK), who wrote a bold op-ed last week chiding his fellow Republicans for their resistance to reducing the defense budget. Coburn is the latest in a string of Senate Republicans to come out in favor of scaling back the Pentagon's treasure chest, which makes up the largest chunk of discretionary spending in the federal budget. With the U.S. debt now exceeding $13 trillion, sensible efforts to cut wasteful spending while minimizing cuts to job-enhancing measures for average Americans are more welcome than ever. In early December, President Obama's Deficit Reduction Commission will release its plan to Congress, likely setting off a furious debate about the proper measures to take to rein in U.S. debt. Slowly, Tea Party-backed conservatives interested in downsizing the government and progressives who have long sought to lower U.S. defense spending are coming together to ensure that reducing the military budget to a more appropriate size for the 21st century will be prominent part of the debate. As John Norris, the executive director at CAP's Sustainable Security and Peacebuilding Initiative, writes, “Progressives and Tea Partiers may find that cutting defense spending would both reduce the deficit and allow for sensible investments in infrastructure and job creation that could produce greater growth and competitiveness over the long haul.”» […]

»…In the GOP's much-touted “Pledge For America,” Republican leaders explicitly exempted defense-related spending from waste-trimming. Yet, a number of Republican senators chose to rebuke the Pledge and call for defense cuts. Last month, Sen. Johnny Isakson (GA) told a local news station that reducing the deficit “begins with the Department of Defense.” The same month, Senator-elect Pat Toomey (PA) criticized Congress for voting for “programs the Pentagon doesn't even want” during a debate with Rep. Joe Sestak (D-PA). The week before, Senator-elect Mark Kirk (IL) said that we need “across-the-board” reductions in defense spending. And three weeks ago, Sen. Bob Corker (TN) said on CNBC that defense cuts have to be “on the table” because there's “a lot of waste there.” Perhaps the Republican Senate caucus's most outspoken advocate for defense cuts is Tea Party “darling” and Senator-elect Rand Paul (KY), who told PBS's Gwen Ifill that cutting defense spending “has to be on the table.” Paul reiterated his call for reducing the military budget this weekend while appearing on ABC's This Week. He tweaked Republicans for “never” saying “they'll cut anything out of military. ... There's still waste in the military budget. You have to make it smaller.” In his op-ed in the Washington Examiner last week, Coburn praised Paul's "courage" in calling for a smaller military budget and said he looks forward to “working with him" toward that goal. All of these Republicans ha”e received significant backing from the Tea Party. “I have yet to hear anyone say, 'We can't touch defense spending, or any other issue. ... Any tea partier who says something else lacks integrity,” said Mark Meckler, a Tea Party Patriots national coordinator.»

Notre commentaire

@PAYANT Cette affaire du budget de la défense s’avère effectivement comme le point central de l’affrontement entre le nouvel état d’esprit introduit au Congrès par les élections mid-term, et l’establishment washingtonien d'autre part. Cette fois, l’affrontement se fera sans aucun doute selon des lignes non partisanes (ligne “bipartisane”, selon la formule affectionnée et souvent pratique par l’establishment dans l’esprit du “‘parti unique”, mais cette fois contre l’establishment) ; justement entre une fraction des démocrates et une fraction des républicains, avec la réalisation institutionnalisée de ce qui n’a pas (encore ?) été réalisé sur le terrain, entre la mouvance Tea Party et ceux qui s’y associent à droite, et une opposition progressiste à coloration antisystème à gauche. Un paradoxe s’affirme en ceci que c’est au cœur de l’institution même du système, au Congrès, que s’esquisse ce rassemblent antisystème impératif pour une action efficace, entre la droite Tea Party et libertarienne des républicains et la gauche progressiste et populiste des démocrates. (Le paradoxe se complétant par le fait que sur le terrain et hors des structures les plus pressantes du système, une telle alliance n’a pu être réalisée à cause des pesanteurs et des paralysies idéologiques des uns et des autres.)

Le sujet est extraordinairement polémique et l’affrontement va s’avérer sanglant. On l’a déjà vu avec des “attaques préventives”, style-bushiste, lancées par les neocons et assimilés contre de tels projets de réductions du budget du DoD. On peut en avoir un exemple plus récent, de moindre éclat mais tout aussi significatif, de la part d’un Colin Clark, de DoDBuzz, le 8 novembre 2010, lorsqu’il présente et annonce la prise de position de Rand Paul pour une réduction du budget du DoD. Son commentaire est inhabituellement acerbe et vindicatif, pour Clark qui d’habitude cherche à garder un ton mesuré, contre cette “prétention” des TeaPartiers de réduire le budget du DoD.

L’avantage incontestable des contestataires est que le Pentagone (Moby Dick) a un dossier absolument calamiteux, d’une façon générale comme sur des programmes spécifiques. (Voir l’avis de cet homme fantasque et incertain, – sur ses engagements, – le sénateur John McCain sur le JSF ; McCain étant le stéréotype d’un membre de l’establishment qui pourrait à l’occasion soutenir les contestataires à partir de la position très puissante qu’il occupera sans doute à la commission des forces armées du Sénat.) Cela signifie que la coalition de l’establishment des bellicistes-interventionnistes opposée à des réductions du budget du DoD devra s’appuyer, en position défensive, sur un mur fissuré et en complète désintégration qui est l’état actuel de la gestion du Pentagone, et avec certains alliés qui peuvent à tout moment passer dans le camp adverse. Ce n’est pas la meilleure position qu’on puisse imaginer pour le “parti de la guerre” jusqu’à maintenant tout puissant, et qui faisait la loi et l’ordre à Washington et au Congrès.

Un autre élément qui va enflammer le débat est la paralysie totale du Pentagone, son incapacité à réduire ses dépenses puisque l’essentiel va au désordre qui caractérise sa situation, et qui interdit des mesures en bon ordre. Le Pentagone va donc opposer une défense fondée implicitement sur son impuissance, sur la paralysie de son désordre et de son incompétence, donc sur des “arguments” réels qui alimenteront la position adverse, tout cela rendant très difficiles des réductions cosmétiques pour calmer ses adversaires et en même temps exacerbant chez ces mêmes adversaires les arguments fondés sur la nécessité de réductions ; le tout sera saupoudré de nouvelles régulièrement catastrophiques sur l’évolution des programmes, notamment le JSF. (Accessoirement mais d’une façon qui n’est pas indifférente, le Pentagone va perdre un autre atout avec le départ prochain d’un secrétaire à la défense, Robert Gates, qui a montré une certaine maestria à défendre le Pentagone devant le Congrès, malgré ce qu’il pense de la situation du monstre.) Le débat deviendra nécessairement une polémique majeure où éclateront au grand jour les positions les plus irrationnelles, notamment sur la nécessité des engagements extérieurs de la part des «megalomaniacal neoconservatives who are more in need of mental attention» (selon le député Kucinich) et leurs associés, partisans d’Israël et partisans d’une attaque contre l’Iran.

Mais terminons sur ce grand enseignement, en revenant plus en détails sur un point déjà signalé. Le fait politique extraordinaire est de voir une alliance entre l’extrême gauche et l’extrême droite (termes selon les nuances US, surtout par rapport au Congrès) s’amorcer au sein du Congrès sur un problème d’une telle importance fondamentale avec ses répercussions sur les questions de la “politique interventionniste” et du statut du complexe militaro-industriel, alors que cette alliance devrait exister sur le terrain et chez les dissidents depuis des années. La position de Ron Paul est caractéristique de cette situation : ce député si original, encore totalement marginalisé il a 3 ans, est promis à occuper une place centrale dans ce débat, en même temps qu’il disposera sans doute en janvier 2011 d’une position de président d’une sous-commission de la commission des finances de la Chambre chargée de la tâche polémique et sensationnelle de d’attaquer à la Federal Reserve pour obtenir certains changements fondamentaux dans le statut de cet organisme, des informations sur certaines de ses pratiques et un audit sur la réalité des réserves d’or des USA. Observation symbolique de cette situation : si Rand Paul continue son évolution, on aurait la situation absolument inédite aux USA, où les “dynasties” sont monnaie courantes dans l’establishment pour soutenir le système, de voir une “dynastie” contestataire de l’establishment et du système s’établir au cœur même du système, avec le père à la Chambre et le fils au Sénat. C’est un signe de plus que la bataille contre le système prend des voies absolument inédites et que la “révolution” tant attendue peut survenir selon des normes et des dynamiques complètement inattendues.


Mis en ligne le 11 novembre 2010 à 06H48

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