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1093Nous avons déjà utilisé l’expression, il y a peu. C’était le 10 août 2013 et cela concernait la crise Snowden/NSA, – qui, d’ailleurs, se poursuit à son rythme, et à un bon rythme. (Voir la dernière révélation majeure Snowden-Greenwald, dans le Guardian, ce 4 octobre 2013 : «The National Security Agency has made repeated attempts to develop attacks against people using Tor, a popular tool designed to protect online anonymity, despite the fact the software is primarily funded and promoted by the US government itself.») L’expression, référence du titre de la chanson de Bob Dylan, «Like a rolling stone...», devrait être la devise, la définition, le fondement constitutif d’une crise aujourd’hui : laissée à elle-même, se développant à son propre rythme, etc. Les directions-politiques du Système ne s’intéressent, dans cette matière, qu’à la tactique le plus basse et la plus immédiate ; la stratégie, la grande orientation des choses, la maîtrise des événements, la “volonté politique” d’agir sur le fondamental, tout cela est laissé à on ne sait quoi, – à la crise elle-même, à la fatalité, au destin, à la Providence et ainsi de suite.
Cette longue introduction pour signaler plusieurs volets d’information et d’analyse qui donnent une situation de la crise governement shutdown à Washington, laquelle va enchaîner sur celle du plafond de la dette (date-pivot, qui peut changer, du 17 octobre). Plusieurs éléments constatés ces trois derniers jours (voir le 4 octobre 2013) se confirment.
• L’attitude du président Obama, d’abord. Un texte de McClatchy.News du 4 octobre 2013, confirme une volonté de refus de toute négociation de BHO selon l’argument que cette crise a été initiée par le Congrès, et que c’est au Congrès à s’en arranger. Le texte détaille divers aspects tactiques, autant que d’autres, plus personnels, comme la défiance d’Obama pour le Speaker de la Chambre des Représentants, considéré par Obama comme incapable de maîtriser la Chambre. Ce dernier point de détail est très symbolique du comportement des directions politiques, où l’irresponsabilité générale est déléguée de l’un à l’autre, dans un comportement généralisé de soupçon et d’accusation généralisé ; l’homme soi-disant “le plus puissant du monde” et universellement considéré comme manquant à son devoir de leadership, se défausse de cette accusation sur d’autres. Un autre argument est qu’une autre crise bien plus grave (le plafond de la dette) s’approche à grands pas et Obama ne veut pas user ses forces pour cette deuxième bataille, — raisonnement typique, là aussi, de l’enchaînement de l’irresponsabilité en forme de cercle vicieux : la séquence actuelle aggrave les conditions de la prochaine séquence, et Obama pourra lancer contre le Congrès la même accusation qu’il lance aujourd’hui s’il y a affrontement pour cette deuxième séquence... Les maîtres de la tactique politicienne l’approuvent.
«The last time the federal government shut down over a budget impasse – in the winter of 1995-96 – lawmakers on Capitol Hill couldn’t get President Bill Clinton to leave the negotiating table. This time, lawmakers can’t get President Barack Obama to join in. Obama has never relished the back-and-forth of detailed policy negotiations. But with public opinion on his side and no re-election campaign ahead, there’s even less incentive for him to engage in fiscal talks this time around, especially after failing at his previous attempts to cut a deal with House Republicans.
»There’s also little reason to engage in a full-blown negotiation now when another fight – arguably a much bigger one – looms in the coming weeks. The government is expected to exhaust its borrowing authority in mid-October, threatening a default for the first time in history unless Congress acts. “His hands-off approach is perfectly understandable,” said William Galston, a former policy adviser to Clinton who’s a senior fellow at the Brookings Institution, a center-left policy research center. “Why should he get involved in a congressional spat?”»
• Une remarque de la citation précédente concernant Obama («But with public opinion on his side...») ressort d’une perception d’une consigne du Système qui était installée dans le monde de la communication lorsque le shutdown a commencé, et cela formant par conséquent le credo de nombre de commentateurs. (John Nolte, de Breitbart.com, le 30 septembre 2013 : «There is no question that the media's mission is to shape a reality that declares Obama a winner and the GOP a loser in the event of a shutdown...»). Cette conviction-Système disons, se trouve largement mise en question par les sondages qui commencent à donner le réel sentiment du public. Un des derniers sondages en date, effectué mardi et mercredi, montre que le public blâme tout le monde à Washington pour la situation de crise. (McClatchy.News, le 4 octobre 2013.)
«Americans are largely annoyed with everyone involved in the government shutdown. A new CBS poll, taken Tuesday and Wednesday, the first days of the shutdown, found 72 percent disapprove of how congressional Republicans are handling budget talks, while 61 percent disapprove of how President Barack Obama and Democrats are dealing with matters. “More generally, most Americans (61 percent) think congressional Republicans oppose the policies proposed by Barack Obama and the Democrats mostly to stop Democrats from gaining political advantage rather than because of a disagreement over policy,” according to a poll analysis.»
• Le point précédent est aisément compréhensible à la lumière des analyse des plus récentes enquêtes sur le sentiment général du public US concernant Washington as a whole, autrement dit le système washingtonien ou la direction politique du système de l’américanisme. Ces enquêtes montrent, sans réelle surprise, un climat général très défavorable et en constante détérioration, de la part du public US. (McClartchy.News le 4 octobre 2013 : «Americans’ confidence in officials’ ability to handle domestic issues reached the lowest point in recent history last month. It’s a trend that shows few signs of any serious reversal anytime soon, particularly not with Republicans and Democrats in Congress, as well as President Barack Obama, primed for another down-to-the-wire duel over government money.») Effectivement, la situation tactique telle qu’elle évolue, avec une volonté d’affrontement plutôt qu’une volonté de coopération, ne peut qu’accentuer ce sentiment général d’hostilité contre Washington, dans une situation extrêmement volatile. Ce point est d’autant plus important qu’on a pu voir, avec la phase de la crise syrienne du 21 août-10 septembre, combien la pression du public, par divers moyens de communication difficilement contrôlable (ce que nous nommons [voir notamment le 25 septembre 2013] “le bruit de la communication”), pouvait s’avérer extrêmement efficace et déstabilisant pour l’action des directions politiques.
• Les effets latéraux du government shutdown commencent à se faire sentir par des situations diverses, de réduction d’activité, ou de suspension de négociations internationales (sans compter, bien entendu, les avertissements concernant la possibilité d’une brutale aggravation de la situation générale, notamment financière). Il s’agit d’un aspect très remarquable de cette crise spécifique, montrant l’esprit général qui la caractérise ; comme nous l’avons noté le 4 octobre 2013, il s’agit d’une différence fondamentale d’avec le précédent shutdown de 1995-1996, qui n’avait eu pratiquement aucun “effet latéral” de cette sorte, et surtout pas au niveau international. Divers exemples de ces “effets latéraux” concernent la sécurité nationale (Russia Today, le 2 octobre 2013, avec les déclarations du directeur national du renseignement James Clapper et du chef d’état-major de l’US Army, le général Odierno) et, datant du 4 octobre 2013 (Russia Today), l’annonce de la suspension des négociations USA-UE sur la zone transatlantique de libre-échange et de possibles changements dans la position US, y compris pour la reprise des négociations une fois la crise achevée.
«The United States has no choice but to delay negotiations over a major free trade deal with countries in the European Union because of the partial federal government shutdown, the Obama administration has said. Michael Froman, a US trade representative working within an agency of the same name (USTR), phoned European Union Trade Commissioner Karel Del Gucht Friday to inform the Belgian politician that US officials would not be taking a scheduled trip to Brussels next week to discuss future plans. [...] “USTR will work with the [European] Commission to craft an alternative plan that can begin once the US government shutdown ends,” the USTR said in a statement.»
Ainsi revenons-nous à l’expression employée dans le titre : «Like a rolling stone...». Lorsque nous utilisions l’expression dans le premier texte référencé du 10 août 2013, nous décrivions essentiellement une situation objective d’une crise roulant comme une pierre et grandissant, lançant ses effets divers et dévastateurs, irrésistiblement. Nous n’insistions pas particulièrement sur son autonomie. Ici, nous le ferons d’une façon particulièrement accentuée ; à ce moment, la crise du government shutdown devient une phase d’une crise infrastructurelle générale en cours depuis fin 2009-début 2010, qui est la crise du pouvoir washingtonien, et une phase qui se caractérise, outre ses effets divers, par sa complète autonomie, par sa dynamique propre, comme actionnée et commandée par elle-même, les principaux acteurs affirmant spécifiquement qu’ils ne veulent pas intervenir (Obama essentiellement). Bien sûr, il s’agit d’une schématisation outrée, car ils (les acteurs) devraient être forcés à un moment ou l’autre d’intervenir, mais il s’agit néanmoins de l’essence même de cette situation à son origine et dans son déroulement général. Au reste, leurs interventions se feront au moins autant pour conforter leur situation tactique que pour tenter de contenir l’effet stratégique de la crise.
Les deux concepts fondamentaux sont effectivement sollicités pour poursuivre l’analyse. On notera aussitôt combien la politique de la tactique, que suit manifestement le président Obama en ne faisant rien et en attendant que les autres fassent quelque chose, s’oppose indirectement mais avec un effet négatif dévastateur à la politique de la stratégie, que seule la crise elle-même conduit dans la plus complète autonomie depuis le début de la phase actuelle. On observera que cette répartition des rôles n’est pas nouvelle, notamment, du point de vue symbolique si l’on se réfère aux probables intentions de chacun, dans l’analogie que nous faisons souvent entre tactique et stratégie avec l’image de la bataille de la Marne couronnant par la défaite stratégique l’application tactique victorieuse du plan Schlieffen allemand. (Voir le 23 mars 2013 : «Le “plan Schlieffen”, tel qu’il avait été appliqué, fut une impressionnante succession de victoires tactiques achevées par un désastre stratégique.») On retrouve une démarche similaire dans l’esprit, dans ce champ de bataille du Washington, où chacun, et surtout Obama comme facteur dominant en l’occurrence et sans aucun doute (puisque le leadership lui revient de droit), cherche une victoire tactique alors que le résultat général serait un renforcement stratégique de la crise, peut-être décisif. Il s’agit d’une variante de l’analogie de la Marne, tactique et stratégie n’étant pas opposées frontalement dans l’observation qu’on en fait, mais l’esprit est le même qui revient au constat de ces responsables politiques placés devant des crises monstrueuses et qui s’emploient à des besognes tactiques pour leur propre position dans le Système, en laissant à la crise le développement d’une stratégie dont l’effet final ne peut être que l’anéantissement du Système. A la différence de l’analogie de la Marne, dirions-nous, avec le champ tactique et le champ stratégique n’étant pas opposés frontalement, le premier occupe presque complètement les acteurs de la pièce (sapiens-Système), supposés défendre le Système, tandis que le second est le domaine de la crise que personne ne peut songer à freiner, sans parler de l’arrêter, puisqu’on opère dans une autre dimension.
On dit et on imprime que le Speaker de la Chambre Boehner, qui n’est pourtant pas un caractère tragique préoccupé du sort du “peuple américain”, entra dans une mâle fureur, vendredi matin, lorsqu’il lut un article du Wall Street Journal, citant un officiel de la Maison-Blanche affirmant “nous en sommes en train de gagner... Peu nous importe le temps que durera le shutdown pour arriver à nos fins” (voir Defense News le 4 octobre 2013) :
«“This isn't some damn game,” Boehner said after a GOP conference meeting, his voice rising. “The American people don't want their government shut down and neither do I. All we're asking for is to sit down and talk to each other like the American people expect us to.” [...] Boehner's flash of anger was apparently prompted by a story in The Wall Street Journal, in which an unnamed senior Obama administration official was quoted as saying, “We are winning. ... it doesn't really matter to us” how long the shutdown lasts. He held up the newspaper, then slammed it down during the GOP news conference...»
Avec cette anecdote, la messe est dite pour ce qui est de la compréhension qu’on doit avoir de cette crise. Le government shutdown, en attendant la tragi-comédie du plafonnement de la dette, se développe de façon à permettre à la crise de sortir tous ses effets. Le plus intéressant sera de voir quels effets inattendus vont se révéler dans les jours prochains, effets latéraux, évolution psychologique, réaction du public et “bruit de la communication”, etc. Ainsi l’image «Like a rolling stone...» est-elle développée dans toute sa puissance.
Mis ebn ligne le 5 octobre 2013 à 11H24
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