Une danse de Saint-Guy secoue le bloc BAO

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Une danse de Saint-Guy secoue le bloc BAO

Le terme de “chaos” a fait fortune parce qu’il permet, sous la forme élégante d’un mot qui fait moins désordre que “désordre” (suivi d’hyperdésordre), de donner un sens, une rationalisation, à ce qui n’en a pas. En d’autres mots, qualifier la politique-Système dont la soi-disant “politique étrangère des USA” est le porteur d’eau avariée de “politique du chaos” sauvegarde les exigences de la raison. On oublie que cette raison-là n’est rien de moins que ce que nommons raison-subvertie. C’est dire si nous reviendrons sur l’emploi du mot “chaos” dans cette intention, comme nous l’avons déjà plusieurs fois visité...

En attendant, tenons-nous en à la recherche de la vérité d’une situation de la grande crise centrale Russie-Bloc BAO. Nombre de commentateurs affirment que les USA mènent, notamment en Europe, une politiqu e belliciste dans la crise Ukraine-Russie dans le but de semer le chaos avec pour effet de “détruire la Russie” (chaos en Russie, regime change, etc.), en attendant de passer à la Chine certes ; tout cela en amoindrissant et en soumettant décisivement l’Europe à son hégémonie, – ce dernier point, comme si l’Europe n’était pas soumise à l’hégémonie des USA... C’est-à-dire, l’Europe soumise à l ‘hégémonie des USA, certainement jusqu’à l’extrême de ces derniers temps, ce qui jette une étrange lumière sur la “politique du chaos” rationnalisée dont le résultat est de plus en plus celui de semer un énorme désordre au sein de l’Europe et du boc BAO, non pas vers la soumission aux USA (alors que celle-ci existait auparavant), mais en faisant courir un risque considérable à cette situation de soumission.

• Il s’agit d’abord du cas de l’Allemagne dont nous parlons déjà depuis un certain temps, avec le plus récent écho ce 9 mars 2015 à partir de l’article désormais fameux du Spiegel qui constitue à cet égard le principal signal d’alerte, considéré unanimement comme un article directement inspiré par le gouvernement Merkel et les organes de sécurité nationale de l’Allemagne (le BND). En en venant au fait, nombre de commentateurs de confiance commencent à considérer que la “fracture” entre l’Allemagne et les USA ne cesse de se marquer au point où il est temps de prendre les choses sérieusement. On citera The Moon of Alabama (le 7 mars 2015), Justin Raimondo (le 9 mars 2015 sur Antiwar.com) et Alexandre Mercouris (le 9 mars 2015 sur Russia Insider). Mercouris analyse l’article en question, dont on connaît la teneur qui est une mise en accusation implacable des errements de diverses personnalités US, dont le général Breedlove (commandant en chef suprême de l’OTAN, ou SACEUR), dans leurs tentatives de saboter l’accord Minsk2 et de relancer la guerre en Ukraine, avec la Russie comme but ultime. Il consacre la fin de son article à la situation à Washington, où il constate la perte totale de contrôle de la politique US, laissée aux plus maximalistes du War Party dans un désordre indescriptible (est-ce une “politique du chaos” ou une “politique chaotique”, – encore une fois pour éviter le mot “désordre“ qui fait désordre ?).

Très justement, Mercouris met en évidence le danger de cette situation. Elle l’est d’autant plus dangereuse, cette situation, que le Pentagone, hors-chaos cette fois, a identifié le risque très grave de la possibilité d’une rupture de l’OTAN et a été conduit à maximaliser sa propre politique en acceptant la politique du War Party (“ce que tu ne peux étouffer tu l’embrasses”) pour tenter d’éviter que ce risque devienne une véritable crise (voir le 5 mars 2015). Mercouris écrit :

«What the article does is all but accuse NATO’s military leadership of lying about the extent of Russian military involvement in Ukraine as part of a plot hatched by hardline insiders in NATO and Washington such as General Breedlove and Assistant Secretary of State Victoria Nuland to undermine the Minsk peace process so as to restart the war in Ukraine with Ukraine this time armed with US weapons. The article represents Obama as an isolated and hapless figure who has all but lost control of the US government.

»Many of those who regularly read Russia Insider may question the importance of this. After all we have been saying the same thing for months. The point is that up to now the US and German governments have gone out of their way to give an impression of perfect unity. What the article in Der Spiegel shows is this is no longer the case, if it ever was. The fact the article was written at all hints at the furious rows that are taking place between them behind the scenes. [...]

»The article however also shows how dangerous the situation has now become. The picture it gives of the mood in Washington is a very alarming one – of a war party almost completely out of control and itching for a fight that European governments led by Germany almost unanimously see as calamitous. One gets from the article a sense the Germans feel the Americans have taken leave of their senses. Thus we read comments like “many in the Chancellery simply shake their heads...”

»The fact Washington appears to have put a brake on its “training mission” to Ukraine may mean that under German and European pressure the moderates in Washington have once again won out. Putting pressure on Washington to stop the “training mission” by making disagreements public may even have been the intention behind the article in Der Spiegel. If so, then the picture the article paints of the situation in Washington suggests the respite will be only a temporary one. The moderates seem to be struggling to hold the line against a war party that is increasingly in the ascendant.

»The big question is, if Washington opts for war, what will Germany do? On the strength of the article in Der Spiegel and the stance Merkel has been taking since Minsk, it seems most likely that despite the pressure Germany will in the end oppose the war, just as it previously opposed the Iraq war. If so then NATO could soon be looking at the biggest split in its history.»

• A côté du cas fondamental Allemagne versus USA, on observe une dissolution accélérée de l’appareil de la narrative du bloc BAO. Il est de plus en plus difficile de continuer à suivre l’impératif du déterminisme-narrativiste, comme on le voit avec les péripéties de Breedlove dans le Spiegel (sans compter les comparses, comme Hodges), qui versent dans la contradiction, la confusion, le ridicule de la communication, – bref, le chaos, comme l’on dit. Cette tendance s’accélère et touche désormais la presse-Système du bloc BAO elle-même. (Directement, comme l’on voit avec les polémiques qui fleurissent par exemple autour des mensonges de l’OTAN, dans les colonnes du Guardian [voir le 9 mars 2015] ; indirectement, comme l’on voit avec le récit surréaliste par la personne concernée elle-même d’une interview de la rédactrice-en-chef de RT [Russia Today], Margarita Simonyan, en octobre 2014 par Time, “publiée” il y a quelques jours [le 1e mars 2015], – l’interview passant de 2.800 mots à 60 mots soigneusement sélectionnés et mis en ordre américaniste-hollywoodien pour illustrer la duplicité de RT vis-à-vis de l’assassinat de Nemtsov, – prémonition d’octobre 2014 à mars 2015, – caviardage absolument insensé, extraordinaire et surréaliste, de la part de Time, descendu au niveau de la sous-sous-Pravda, professionnellement de plus en plus détestable, chaotique c’est le mot, en plus d’être naturellement faussaire comme leur fonction les enjoint d’être... Quoi, ces gens-là deviennent-ils fous ? A ce rythme, leur crédit va fondre comme neige au soleil. )

• Là-dessus, il y a “le coup” de Juncker. Inspiré par l’un ou l’autre de ses conseillers bien connu pour sa tendance à faire de la stratégie en cabinet auprès des présidents successifs de la Commission, n’ignorant pas que cela plairait à l’Allemagne qui est l’une de ses références politiques favorites, Juncker, qui apparaît de plus en plus comme un personnage falot et vide de substance en étant passé du niveau luxembourgeois au niveau européen, lance l’idée d’une armée européenne. Idée aussi neuve que les pères Fondateurs, n’est-ce pas, – mais cette fois avec l’habileté stupéfiante de désigner implicitement cette armée comme un outil de confrontation avec la Russie si nécessaire, et nécessité fait loi, – pour le jour très prochain où, comme chacun sait, la Russie attaquera l’Europe. Valsez saucisses!, comme écrivait Albert Paraz en décrivant le monde de la politique française de la IVème République, qui est de plus en plus complètement supplanté par le spectacle abracadabrantesque des directions politiques du bloc BAO.

L’Allemagne ne peut être mécontente de cette idée qui lui permet de “communautariser” en théorie sa faiblesse militaire si violemment dénoncée par les maximalistes anglo-saxons (voir le général Hodges le 9 mars 2015) ; elle regagne, par le biais d’une proposition européenne sans guère de conséquence, une sorte de vernis de fermeté vis-à-vis de la Russie tout en continuant à dénoncer les va-t-en-guerre de l’OTAN. De son côté, justement, la Russie ne s’est guère offusquée de l’idée, sachant ce qu’il faut en attendre réellement puisqu’on en parle exactement depuis 1951-1952 (premiers débats sur la Communauté Européenne de défense [CED], seule proposition sérieuse enterrée par un vote français en août 1954), avec une réactivation de l’idée dans les années 1980-1990 (brigade franco-allemande, Corps européen), – seule période vraiment favorable à un tel projet, lequel se perdit dans un chaos complet, un de plus, à partir du moment où les Américains, hostiles en principe à toute idée de cette sorte, revinrent en force en Europe avec les accords de Dayton (1995) concernant la Bosnie.

• La seule réaction notable a été un cri de fureur des Britanniques, ce qui justement n’a pas du déplaire aux Allemands puisque voilà les maximalistes antirusses (UK avec les USA) pris à leur propre jeu, dénonçant avec véhémence un projet pourtant présenté comme d’esprit antirusse. Les Britanniques retrouvent à cette occasion leur réflexe isolationniste et ce qui leur reste de nostalgie de leur souveraineté nationale, et cela d’autant plus vivement que Cameron est à quelques semaines d’un scrutin électoral où l’humeur antieuropéenne est palpable, et où le parti conservateur est en mauvaise posture notamment dans ce domaine. Le Premier ministre britannique a fait dire que l’idée n’avait “aucun avenir” et que ceux qui l’évoquent vivent “dans un monde imaginaire”, une sorte de DisneyEurope si vous voulez... (Voir SputnikNews, le 10 mars 2015.)

«The proposal has already received strong dismissals from British leaders, who say the idea has “no prospect,” and accuse its enthusiasts of living in a “fantasy world.” “Our position is crystal clear,” a UK government spokesperson said, “that defense is a national – not an EU – responsibility and that there is no prospect of that position changing and no prospect of a European army.”»

Parallèlement, voilà Donald Tusk, le Polonais président de l’UE qui fait des voyages tout seul, comme un grand, comme s’il était en Europe l’égal du président des USA, justement le plus remqarquable de ces voyages pour aller visiter son homologue à la Maison-Blanche. La visite de Tusk à Washington, les 7-9 mars, était assez impromptue et inhabituelle à la fois, comme à peu près tout est inhabituel chez cet étrange président qui s’est retranché dans un donjon de guerre au cœur de l’UE et ne cesse de sonner aux armes. Il est allé à Washington pour se plaindre, auprès de son collègue, le très-attentif président Obama, de ce que la Russie est en train de diviser l’Europe, alors qu’elle reste manifestement l’ennemi commun qui ne rêve que de fondre sur l’Europe pour n’en faire qu’une bouchée. Obama a mollement approuvé. Un peu dans le genre Breedlove, Tusk a même révélé, dans une interview au New York Times, que les Russes avaient violé “plus de mille fois” le cessez-le-feu signé à Minsk2, – pas les gens du Donbass, non, mais bien les Russes, dont on sait qu’ils fourmillent dans le Donbass au point d’en avoir remplacé les habitants (ce qui leur épargne la peine des invasions répétitives), et pas “mille fois violé”, mais “plus de mille fois”... Mais la vérité de cette situation, finalement, est que Tusk est venu d’abord, pour s’en plaindre certes, porter témoignage de la division et du désordre de l’Europe auprès du gentleman-parrain de la Maison-Blanche en illustrant la chose par son propre comportement. EUObserver, qui veille au grain des comportements-Système, nous rapporte les exaltantes péripéties de Donal Tusk, le Polonais-président, à Washington D.C., le 10 mars 2015.

«“Our enemies who use propaganda against us, commit acts of violence, and violate the sovereignty of our neighbours - they want to weaken the political commitment of the Western world. Today, we can see with full clarity that they are trying to divide us, from inside of Europe, as well as Europe and America”, [Tusk] told press alongside US president Barack Obama in the White House. Obama echoed Tusk in saying the West needs to “maintain pressure on Russia” to abide by Minsk.

»Tusk, in an interview in The New York Times on Sunday, also noted that Russia has violated the Minsk agreement more than 1,000 times since the deal was reaffirmed last month and that, he believes, “Russia wants to rebuild control over the whole of Ukraine”.

»But despite his strong words he said it's “impossible” to reach an EU consensus on extra sanctions. With Cyprus, Hungary, and Italy in recent weeks courting a rapprochement with Russia, Tusk added: “Some politicians in Europe are ready to believe that there is a chance of good will [from Russian leader Vladimir Putin]... I am more sceptical”.»

Le message que Donald Tusk apporte à un président Obama plutôt somnolent, – car ce qui compte à Washington en l’occurrence est la “popote” Nuland-McCain-Breedlove, ou War Party, – est donc définitivement que l’Europe est désormais extraordinairement divisée, dans le plus grand désordre possible car tout ce qui n’est pas rangé dans l’unanimisme le plus strict est désordre dans l’UE. Qui plus est, Tusk est venu sans mandat très clair, et selon une démarche très inhabituelle dans l’UE qui risque de laisser des traces qui pourraient prendre une forme tempétueuse, – là aussi, division supplémentaire, accentué par quelques suggestions assez comiques selon lesquelles l’“armée européenne” selon-Juncker pourrait commencer par un cœur formé de forces polonaises et baltes, – c’est-à-dire l’“armée européenne” exactement calibrée contre tout ce que les Allemands peuvent imaginer, souhaiter et approuver.

Ainsi dira-t-on cette phrase fameuse : “le désordre règne”, où nul dans le bloc BAO n’est épargné, compris les cousins d’outre-Atlantique où l’on ne sait plus qui exactement commande quoi. Alexandre Latsa, qui tente d’une façon louable de donner une allure de rangement à ce capharnaüm, désigne cela comme «Le monde anglo-saxon en guerre contre l’Europe» (dans SputnikNews, le 9 mars 2015), exprimant que «Du côté de l'Europe de l'ouest, on essaie de croire à la paix en Ukraine et de rester optimistes, mais une scission apparaît de plus en plus nettement. D'une part, se profile un axe qui recherche la paix [du côté des Franco-Allemands] et d'autre part un groupe qui souhaite un affrontement plus direct avec Moscou [les Anglo-Saxons avec leurs alliés polono-baltes]» L’idée n’est pas nouvelle mais elle est aujourd’hui aveuglante, évidente, opérationnelle et productrice de désordre.

Pour clore joyeusement ce bilan, on remarquera que, dans cette situation générael, avec l’Ukraine devenu bateau ivre informe et sans aucune cohésion structurelle vers quoi que ce soit, comme une coquille de noix flottant au gré de la tempête, un seul pays, un seul acteur semble ne pas faire partie de ce désordre conflictuel et échapper au tourbillon incontrôlable, – la Russie, pardi...


Mis en ligne le 10 mars 2015 à 13H35