Une défaite avec quelque chose d’historique

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Une défaite avec quelque chose d’historique


24 juin 2004 — Depuis quelques semaines, les Américains faisaient un lobby actif à l’ONU (pressions, promesses, etc) pour obtenir un renouvellement de la disposition de l’ONU (obtenue en 2002) exemptant leurs forces de toute poursuite internationale du Tribunal Pénal International, notamment pour faits de crimes de guerre. Ils avaient jusqu’au 30 juin pour obtenir un second renouvellement. Hier, ils ont abandonné leur tentative, constatant qu’ils n’obtiendraient pas le vote requis. C’est une défaite majeure des Etats-Unis, de la sorte dont on peut avancer l’hypothèse que le qualificatif “historique” lui convient. Cette défaite mesure l’effondrement de la puissance d’influence des Etats-Unis résultant des trois dernières années d’activisme de ce pays. Il n’y a évidemment pas d’enceinte qui permette, mieux qu’aucune autre, de mesurer ce phénomène.

Voici un large extrait du texte du New York Times publié aujourd’hui par l’International Herald Tribune.


« ‘‘The United States has decided not to proceed further with consideration and action on the draft at this time in order to avoid a prolonged and divisive debate,’’ James Cunningham, the deputy American ambassador, said on emerging from the council.

» The envoys from the 15-member council had spent the morning in closed session discussing a rewritten version of the troop exemption resolution circulated among them Tuesday night to try to meet the widespread objections.

» A resolution granting a year’s exemption had passed the council the past two years, but this year the attempt to renew it ran into difficulties because of the prisoner abuse scandal in Iraq and a strong statement of opposition from Secretary General Kofi Annan.

» The rare setback for U.S. diplomacy at the United Nations came just two weeks after the Bush administration was praised in the world organization for demonstrating flexibility and a willingness to compromise in securing a unanimous vote on a resolution on the coming transfer of power in Iraq. Ambassador Wang Guangya of China, a country that supported the measure the past two years, said, ‘‘Clearly from the very beginning this year, China has been under pressure because of the scandals and the news coverage of the prisoner abuse, and it made it very difficult for my government to support it. My government is under particular pressure not to give a blank check to the U.S. for the behavior of its forces.’’

» Spain’s ambassador, Juan Antonio Yáñez-Bernuevo, explained his country’s opposition, saying, ‘‘For us the essential thing is to remain faithful to the International Criminal Court, which we strongly support and also to the United Nations charter and to respect the statement made by the secretary general last week, which had a powerful effect.’’

» Last week Annan called on the Security Council to turn back the American move, saying it was ‘‘of dubious judicial value’’ and particularly objectionable in the aftermath of the prisoner abuse cases in Iraq.

» In his remarks, Annan said that passing the measure would discredit the council, the United Nations and the ‘‘primacy of the rule of law,’’ and he appealed to the members to maintain the common purpose they showed this month in their unanimous vote on the resolution affirming the arrangements for transferring power in Iraq. »


Plusieurs remarques peuvent être avancées.

• La première, c’est l’évolution de certains pays. Il y a un an, la Chine ne prenait pas cette attitude parce qu’elle s’imaginait que le soutien aux USA lui vaudrait une attitude réciproque des USA pour son cas. Il n’en a rien été, les USA jouant dans la plus complète indifférence du reste du monde, et tenant la Chine, qui fait partie de leurs obsessions pathologiques, pour un ennemi inéluctable. D’autre part, en un an, la Chine, qui ne cachait pas sa crainte des USA, a trouvé, à l’imitation de quelques autres (la France principalement), l’“audace” de s’opposer aux USA. Autre événement : il y a un an, bien sûr, l’Espagne d’Aznar était ce qu’on sait et, si elle était encore là, elle aurait eu l’attitude qu’on imagine.

• La seconde, c’est l’évolution de Koffi Annan. Le secrétaire général a dépassé le stade de la réserve désapprobatrice (vis-à-vis des USA) pour s’imposer dans un rôle de gardien sourcilleux de la loi internationale, c’est-à-dire en réalité comme force hostile à l’attitude US. C’est une évolution importante pour le climat général (« Heraldo Muñoz of Chile said of Annan’s statement, ‘‘It had a very important impact on many delegations. It certainly created a new context for the consideration of this resolution.’’ »)

• La troisième, c’est l’incapacité américaine de pratiquer le multilatéralisme. A l’ONU, comme ailleurs, c’est tout ou rien, et la défaite d’hier ne signifie nullement que les USA embrassent ou vont embrasser le multilatéralisme. Le rapport des forces d’influence ayant basculé en leur défaveur, le “tout ou rien” a débouché sur “rien”. (« [Spain’s Ambassador] Yáñez-Bernuevo said that he regretted that the Americans did not mount the same kind of diplomatic effort that secured the June 8 vote behind the resolution covering the arrangements for the June 30 transfer of power to Iraq and its aftermath. ‘‘We would have liked to see a process as we saw in the Iraq resolution, a more collective effort that would have maintained the council’s unity,’’ he said. »)

L’événement ne marque pas un tournant dans la politique US (de l’unilatéralisme vers le multilatéralisme, espèrent les bons esprits). Il marque une défaite de plus pour les USA, dont l’affaiblissement se poursuit et s’accélère à cause de la catastrophe irakienne. Même si aucun gouvernement ne voit les choses de cette façon, il reste que les choses sont de cette façon. (Il y a longtemps que plus aucun gouvernement n’est capable ni de contrôler, ni d’interpréter correctement les événements. Les gouvernements suivent des tendances, en fait deux types de tendances contraires en fonction des USA, sans comprendre la signification de ces tendances … L’interprétation de l’attitude US vis-à-vis de la résolution 1546 sur l’Irak, comme le fait l’ambassadeur espagnol Yáñez-Bernuevo, comme une attitude de compromis et de coopération US, n’a pas de réalité. Aux USA, les partisans de GW Bush en ont fait une victoire de Bush [voir l’incroyable interprétation du Weekly Standard]). En réalité, il s’agit d’une défaite des USA.)

L’attitude US ne va pas être un retour vers une plus grande coopération (avec l’ONU et le reste) mais un repli supplémentaire et, concurremment, des limitations de plus en plus grandes à l’action des troupes US, en même temps qu’une accélération des actions covert, illégales, qu’on espère hors de portée de l’action des juridictions internationales. Au niveau populaire, aux USA, chez les partisans de GW et chez d’autres, la réaction sera d’une hostilité plus grande encore vis-à-vis de l’ONU, hostilité renforcée par l’amertume et l’humiliation.

D’énormes problèmes vont se poser, facteurs de tensions grandissantes à venir, et notamment celui-ci : quelle action des organismes internationaux vis-à-vis des soldats US convaincus de torture ? Vis-à-vis du gouvernement US, dont il apparaît qu’il autorise cette sorte de pratiques ?

L’épisode d’hier à l’ONU n’a pas marqué le retour de l’ONU dans la vie internationale dans son rôle habituel (elle ne l’avait jamais quitté, d’ailleurs, malgré les divers requiem in pace prononcés l’année dernière). Il donne à l’ONU un nouveau rôle : celui de réceptacle de l’opposition du reste du monde aux USA dans le domaine spécifique de la loi internationale.

Et répétons l’enseignement principal, — la mise en évidence de l’effondrement de la capacité d’influence des USA. Un fait stratégique et politique historique.