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402Reconnaissons que, dans la crise des anti-missiles US en Europe, les Russes ne manquent pas d’idées. La dernière est du type drôle d’idée, selon le terme employé dans le mode sibyllin comme dans “drôle de guerre” (“phoney war” et non “funny war”, disent les Anglais), — mais aussi bien dans le sens direct, avec un peu d’ironie (“funny idea”). Il s’agirait de proposer aux Serbes d’installer des bases anti-missiles russes sur leur territoire. Cela s’appelle d’une pierre deux coups: riposte aux anti-missiles US en Tchéquie et en Pologne et très mauvaise humeur affirmée du couple Serbie-Russie devant l’évolution du Kosovo vers l’indépendance.
C’est l’agence Novosti qui, le 17 juillet, reproduit l’idée d’après les Izvestia. Le journal russe interroge deux de ses commentateurs sur cette suggestion, — l’un pour, l’autre contre.
L’un, Anatoli Maximov, est du type “pourquoi pas?”, ou “monsieur tant mieux”:
«Comment devons-nous réagir à l'attitude injuste envers le Kosovo? Observer avec résignation le partage d'un pays amical à l'égard de la Russie? Ou bien résister opiniâtrement? Ou bien essayer de profiter de la situation?
»En fait, il y a deux damnés de l'Europe : la Serbie à laquelle on enlève le Kosovo et la Russie qui est en train d'être entourée de bases militaires de l'OTAN.
»L'Occident nous pousse lui-même dans les bras des Serbes. Et si, au plus fort des débats sur le statut du Kosovo, Moscou propose aux autorités serbes d'installer nos radars ou nos missiles sur leur territoire? Ce serait une réponse adéquate aux éléments de la défense antimissile américaine en Pologne et en République tchèque! D'ailleurs, pourquoi les deux peuples frères n'envisageraient-ils pas de conclure une alliance interétatique?»
L’autre, Maxime Youssine, est beaucoup plus pessimiste, plutôt “monsieur tant pis” — à cause des Serbes…
«Installer nos missiles et nos radars en Serbie est une idée hardie et originale, mais, hélas, absolument illusoire. Parce que les Serbes ne l'accepteront jamais. Pour Belgrade, cela signifierait la rupture avec l'Occident. Or, les Serbes ne veulent pas rompre avec lui, même malgré l'amputation du Kosovo.
»Il vaut mieux tenir compte de la réalité : les autorités serbes poursuivent l'objectif stratégique de s'intégrer aux structures occidentales, non pas à la CEI (Communauté des Etats indépendants), à l'OCS (Organisation de coopération de Shanghai) ou à l'OTSC (Organisation du Traité de sécurité collective), mais à l'Union européenne, ensuite, peut-être, à l'OTAN.
»Les Serbes sont des gens pragmatiques. Ils pensent, avant tout, à leurs propres intérêts. Aujourd'hui, alors que la Russie se bat, en fait, seule pour protéger les Serbes au Conseil de sécurité de l'ONU, ils nous sont reconnaissants. Mais si on leur pose carrément la question : “La Russie ou l'Occident?”, ils choisiront l'Occident.
»Le fait est que, pour les pays postcommunistes d'Europe de l'Est, le choix de l'Occident signifie la participation au ‘club d'élite’ qu'est l'UE, le régime sans visa, des milliards d'euros de subventions de Bruxelles.
»Notre amour pour les Serbes est réciproque. Mais, malheureusement, les unions ne sont pas toujours des mariages d'amour. Les mariages de raison sont fréquents”.»
Sachons, comme dit l’expert, raison garder. Peut-être s’agit-il d’une idée folle (“crazy idea”), mais elle n’est pas du tout dénuée de drôlerie ni de pertinence. Dans une crise systémique où les mots comptent bien plus que les actes, il s’agit d’un acte tactique du plus haut intérêt.
Peu importe ce qu’il en sera, peu importe même qu’il s’agisse d’une plaisanterie, — drôle au demeurant (“funny joke”). D’abord, il faut que vous imaginiez les bataillons d’experts du Pentagone-OTAN et de l’OTAN-Pentagone en train de paniquer absolument et de se demander comment faire si, de préparer des plans, d’élaborer des scénarii… Leurs fameux anti-missiles pris à revers par l’immonde Serbie. (Le criminel Milosevic doit s’en retourner de rire dans sa tombe.)
Ensuite, il faut que vous admettiez que c’est, dialectiquement parlant si l’on ose dire, joliment élargir le champ géographique de la drôle de crise (“phoney crisis”) des euromissiles-II. Un troisième point à mettre en évidence est qu’il s’agit d’un autre coup de maître dialectique, qui parvient à lier deux crises jusqu’alors indépendantes l’une de l’autre, — celle des anti-missiles US et celle du Kosovo, — et ainsi ouvrir le champ aux hypothèses de dramatisation réciproques des choses par vases communicants. Enfin, c’est aussi une explication qui vient à son heure. Le Pentagone, qui a décidé depuis 6-8 ans de déployer des anti-missiles en Europe de l’Est et qui se demandait depuis désespérément pourquoi, trouve la réponse qui le délivrera de son angoisse existentielle : pour contrer les anti-missiles que les Russes se préparent à ne pas encore déployer en Serbie. Le Conseil de l’OTAN sera informé de la chose et hochera gravement la tête à l’unanimité. Il était temps, dira-t-il dans son communiqué, de déployer des anti-missiles US en Tchéquie et en Pologne pour contrer la menace serbe.
En post-scriptum, le State Department aura compris pourquoi, depuis 1999, il suit une politique forcenée en faveur de l'indépendance du Kosovo: pour y déployer des anti-missiles anti-serbes. Ainsi soit-il.
Mis en ligne le 19 juillet 2007 à 13H08