Une erreur “yamamesque”

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Une “erreur” du Department of Trade & Industry (DTI) britannique fait et va faire grand bruit — même si avec une certaine discrétion — au Royaume-Uni. La bureaucratie de ce ministère a archivé aux National Archives, le 8 mai, plusieurs documents classés “confidentiels” qui révèlent certains dessous du gigantesque marché dit Al Yamamah signé en 1985 entre le Royaume-Uni et l’Arabie Saoudite. (Le marché portait notamment sur 72 avions de combat Tornado.) Ces documents ont été obtenus par Nicholas Gilby, de Campaign Against the Arms Trade, sous l’injonction de la loi sur la liberté de l’information.

(C’est le Guardian qui révèle l’affaire ce matin. Le Serious Fraud Office devrait être également intéressé par les documents, puisqu’il mène une enquête sur Al Yamamah.)

Le marché Al Yamamah atteignit officiellement £43 milliards et porta sur divers aspects, d’où des tractations pétrolières n’étaient pas absentes. L’ensemble de la chose constitua le “trésor de guerre” qui permit à BAE (alors British Aerospace puis BAE) de vivre confortablement pendant plus d’une décennie et d’être applaudie et citée comme une entreprise très performante. Les documents confirment que certains dirigeants saoudiens ont aussi pu vivre depuis 1985 encore plus confortablement grâce à Al Yamamah. (Des Britanniques extérieurs à BAE ont également eu leur part. On cite très volontiers le nom de Mark Thatcher, le fils de Margaret Thatcher qui était Premier ministre en 1985, qui vit actuellement aux USA sous la protection de la CIA.)

D’une façon générale, la réputation d’Al Yamamah dans les milieux internationaux de la défense était qu’il s’agit de “la mère de toutes les affaires de corruption de l’armement”. Les documents rendus publics vont puissamment dans le sens d’une confirmation de cette réputation. Il s’agit :

• du contrat initial entre le MoD et l’Arabie, de septembre 1985 ;

• du briefing donné à Margaret Thatcher en septembre 1985, sur le contrat, avant une rencontre avec les Saoudiens ;

• des “minutes” d’une rencontre entre les ministres de la défense respectifs, Heseltine et Prince Sultan, en septembre 1985 ;

• d’un télégramme de Sir Colin Chandler, alors chef du commerce de l’armement au MoD, de janvier 1986. (C’est, de loin, le document le plus intéressant puisqu’il détaille l’inflation artificielle du prix des Tornado.)

Les documents indiquent de façon formelle que les prix des avions de combat ont été artificiellement augmentés de 32% pour permettre le paiement des commissions diverses. Tout cela est d’une pratique courante mais le fait d’avoir ces indications sur des documents officiels, dans un marché colossal dont d’autres aspects sont extrêmement douteux, constitue un point capital.

Parmi les réactions de politiciens britanniques, et à part les “no comment” suivis d’étranges “excuses” de l’un ou l’autre ministère, celles-ci :

«Nick Harvey, the Liberal Democrat defence spokesman, said yesterday: “The government must now throw light on the veracity of these allegations. There is no doubt that this will only add to the growing calls for the NAO report to be published as it should have been 14 years ago.” BAE refused to comment, saying: “Al Yamamah is a contract between the governments of the UK and Saudi Arabia.” Sir Colin also declined to comment.

»Ian Gilmour, a Conservative minister at the time, recently confirmed bribes were common on Saudi arms deals. Lord Gilmour told BBC2's Newsnight: “You either got the business and bribed, or you didn't bribe and didn't get the business ... If you are paying bribes to high-up people in the government, the fact that it's illegal in Saudi law doesn't mean much.”»

L’aspect le plus anecdotique mais aussi le plus révélateur pour les mœurs du temps concerne les conditions où ces documents ont été mis en accès public. Il n’y a pas eu de “fuites”. Il y a eu une erreur bureaucratique, qui a fait archiver ces documents le 8 mai, puis leur découverte et leur exploitation publique, avec mise “en ligne” sous l’égide de groupes d’adversaires du commerce de l’armement. Les documents ont été retirés des archives mais ils sont accessibles sur divers sites (dont celui du Guardian, comme on le voit ci-dessus).

«Mr Gilby, the researcher from the Campaign Against the Arms Trade who discovered [the documents], said yesterday: “I was astonished when I saw the Chandler telegram. This information has been withheld by every single British government department, including the National Audit Office, for more than two decades.”

»Last night, the DTI said : “The files were placed in the National Archive by mistake. Successive governments have regarded the Al Yamamah agreement to be confidential. The files have now been removed.” The MoD said : “We regret the fact that this material has been made public. We attach great importance to the confidentiality of the government to government Al Yamamah agreement with Saudi Arabia, and in order to protect that confidentiality we are not commenting on these papers.”»


Mis en ligne le 28 octobre 2006 à 05H31