Une évolution vers la guérilla conventionnelle au Moyen-Orient ?

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Une évolution vers la guérilla conventionnelle au Moyen-Orient ?


20 octobre 2003 — Plusieurs faits remarquables, ces derniers jours, pourraient indiquer une évolution générale des actes de violence arabes, anti-américains et anti-israéliens, vers une action plus conventionnelle de guérilla de résistance classique et organisée. Cette évolution se conjugue avec une pression accrue imposée aux deux armées (US et Tsahal), des attaques directes contre les soldats, dont l’explication peut être double, — et d’ailleurs se complétant :

• Une meilleure organisation des guérillas et des forces qui les composent, avec un aspect plus militaire, notamment dans les objectifs et dans la coordination des actions.

• Probablement, un certain recul de la crainte des capacités des forces adverses (US et Tsahal). Soumises au test de la réalité de la “guerre asymétrique”, les forces US et israéliennes si vantées s’avèrent, — plus ou moins selon l’une ou l’autre de ces forces, — vulnérables, inefficaces, brutales (et là aussi, inefficaces) dans leurs actions.

Une embuscade palestinienne contre un convoi israélien a coûté la vie à trois soldats israéliens.

Quelques heures plus tôt, une attaque du même type avait eu lieu en Irak, succédant à d’autres du même type. Dans tous ces cas, on retrouve le schéma habituel des guérillas où l’armée étrangère, ou bien l’armée prépondérante, ne s’est pas du tout intégrée dans le théâtre d’opération et reste une “armée d’occupation”. Le déplacement de ces forces en convois très protégés est l’une des caractéristiques de ces situations. La protection est grande en apparence, mais ces convois évoluent sans couverture, dans des territoires plutôt hostiles (hostilité marquant la situation générale qu’on décrit) et sont nécessairement sur la défensive. Ils font des cibles idéales. Quelques mots d’un article de The Independent résument la situation.


« The US army in Iraq appears to be road bound, sending vehicles on patrol which are proving vulnerable to attacks by RPGs and bombs concealed in or beside the road.

» A foreign military observer who saw the aftermath of a bomb attack on a US convoy on the road west of Baghdad on Saturday which killed one US soldier noted that “it was very professionally staged with the middle vehicle in the convoy exactly targeted.” »


Cette évolution rejoint le constat courant des guerres de guérilla : si l’“armée d’occupation” ne progresse pas, si elle ne s’intègre pas dans la population en cherchant à s’y faire des alliés, elle régresse dans ses positions tactiques parce que l’adversaire se renforce et améliore ses propres tactiques contre-offensives. Si l’on ajoute, dans le cas américain (et le cas israélien pourrait suivre), des problèmes de moral des forces absolument catastrophiques (la fragilité des forces américaines est à cet égard un facteur constant à considérer), l’enfermement des forces, leur maintien sur la défensive, leur refus grandissant de contact avec la population ne cessent d’aggraver le problème. La fameuse thèse américaine qui a servi de philosophie au Pentagone pour l’après-guerre, — « to win minds and hearts », — est aussi vieille que la technique de la guérilla. C’était la fameuse consigne d’“évoluer comme un poisson dans l’eau” dans la population donnée à chaque guérilléro selon Mao Tsé-toung, et qui avait été retournée par les officiers français de retour d’Indochine pour la guerre d’Algérie.

(La guerre d’Algérie fut effectivement gagnée militairement par les Français, contrairement à l’interprétation intellectuelle et anglo-saxonne classique. L’indépendance fut donnée à l’Algérie sur volonté politique alors que l’année 1960 avait vu une déroute générale des forces de l’ALN sur tous les fronts importants. L’armée française avait gagné la “bataille des coeurs et des esprits”, que les raisons soient bonnes ou mauvaises. Le pouvoir politique prit une autre décision que ce que lui suggérait le sort de la bataille. C’est un autre débat, ce n’est certainement pas celui de l’efficacité de la contre-guérilla dans ce cas.)

Ces divers incidents soulèvent deux questions :

• Y a-t-il réellement une amélioration de fond, structurelle et tactique, de l’organisation de la résistance arabe en cours ? Pour l’Irak, beaucoup d’indications le font penser. Pour la question palestinienne, c’est plus incertain.

• Y a-t-il coordination entre les actions irakiennes et palestiniennes quant à cette éventuelle amélioration des tactiques et de l’efficacité ?

Pour l’instant, les enseignements nous semblent devoir être cantonnés plutôt du côté des forces américaines et israéliennes. Ils marquent l’échec général des grosses armées puissantes et de haute technologie, mais aussi lourdes et peu adaptables. Les deux armées en cause semblent particulièrement marquées à cet égard. Les Américains ont oublié leurs “bonnes” résolutions du temps de l’Afghanistan, au profit des forces spéciales, et retombent de plus en plus dans les structures lourdes, blindées, cuirassées, etc. Cela correspond à l’évolution du facteur psychologique avec la “mentalité forteresse” que les Américains transportent avec eux, même en position offensive.

Les Israéliens ne sont pas mieux lotis. Ils se sont extraordinairement “américanisés” ces 25 dernières années. Tsahal est devenue une armée très puissante et très sophistiquée pour des conflits dont personne ne veut plus ; et une armée particulièrement inadaptée pour les “conflits asymétriques”. Il y a un cheminement parallèle inquiétant entre Américains et Israéliens, au niveau des forces armées, qui conduit au gaspillage pour des équipements inutiles, à des politiques d’une inutile brutalité qui accroissent l’opposition, et finalement à l’échec. Tout cela est à l’image de la psychologie sommaire des dirigeants des deux pays.

Un signe à propos de la situation, c’est les pressions renouvelées des alliés des Américains en Irak, le Conseil de gouvernement établi par les Américains, dont le président en exercice Allawi demande de toute urgence que l’armée de Saddam soit reformée et prenne en charge la sécurité à la place des forces américaines. Persuadés qu’eux seuls peuvent résoudre le conflit, — toujours la psychologie sommaire, — les dirigeants US font un accueil glacial à la proposition (« The U.S. government has had little success enlisting significant foreign military help in Iraq, but a well-placed official of the occupation authority reacted coolly Sunday to Allawi's position. »). Le résultat général est indiqué par un article du Christian Science Monitor qui signale un accroissement général de l’hostilité arabe au Moyen-Orient aux USA et à la présence US. Cela suit la confiance grandissante de la résistance, accompagnant le discrédit en cours des capacités militaires US présentées comme invincibles et dont le comportement de l’U.S. Army fait la démonstration inverse. A cet égard, l’Irak pourrait ouvrir la voie aux Palestiniens, dans leurs appréciations des capacités de Tsahal, dont la perception dans la guérilla va suivre la même évolution.