Une « famille d’esprit », ou le “Signe des Temps”

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Une « famille d’esprit », ou le “Signe des Temps”

7 mars 2019 – L’on comprend que je puisse y voir un signe, c’est-à-dire un Signe des Temps, lorsque se produit une rencontre du commentaire, sur le fond catastrophique et furieux d’une crise dont plus personne ne voit ni la possibilité du terme ni la résolution jamais avec les outils courants de la rationalité et de la technique de la postmodernité. C’est ce que j’ai pensé en lisant le texte d’Alastair Crooke mis en ligne par l’auteur (traduction proposée ce matin) en même temps que je publiai le texte sur  “Guénon actuel”, – avec ce passage de Crooke :

« Et… Où avons-nous entendu quelque chose comme ça auparavant ? Eh bien, dans les réflexions du philosophe politique italien Julius Evola, dans ses réflexions d’un traditionalisme radical de l’après-guerre, – L’homme au milieu des ruines, – dans lequel il plaide pour une défense et une résistance contre le désordre de notre époque. Ce sont les écrits d’Evola et d’autres auteurs du même genre [de défenseurs de la Tradition primordiale] qui ont soutenu les intellectuels russes tout au long de leur période sombre du communisme tardif, puis du néolibéralisme sauvage... »

Parlant de Guénon et d’Evola, le premier étant le maître sourcilleux et le second le disciple turbulent et indépendant, Alain de Benoist et Jean-Pierre Langrand, dans l’émission de TVLibertés signalée dans la page référencée du Journal-dde.crisis, signalaient qu’issus tous deux du “tronc commun de la tradition”,

« [Guénon et Evola] ne s’entendaient à peu près sur rien, sauf sur ce tronc commun qui est l’essentiel... Enfin, c’est la même famille d’esprit ! »

J’aimerais m’arrêter à l’expression, “famille d’esprit”, qui est celle de la Tradition, qui revient aujourd’hui sous nombre de plumes, qui est bien plus qu’un concept, qui est une forme même de la perception du monde, qui est une façon de percevoir le monde qui engage nécessairement à le concevoir dans la voie que je décris et dans le sens que j'évoque. Je suis bien à mon aise d’avoir été ainsi conduit à aborder un peu plus précisément ce sujet, qui permet de bien fixer les orientations, les choix absolument fondamentaux, qui donne du sens et de la puissance à cette expression, – la Tradition primordiale comme “famille d’esprit”, comme une forme prétendant à une telle pureté et à une telle harmonie qu’elle peut sans crainte et sans ciller regarder le monstre jusqu’au fond des yeux.

Qu’une telle forme, où je place sans hésitation ma propre conception de l’“âme poétique” qui me conduit à ce que je perçois de la Nostalgie, semble pouvoir émerger pour prendre une place dans ce qu’ils nomment dans notre histoire-courante “le débat des idées”, voilà une hypothèse qui renforce l’intuition de l’arrivée à son terme de notre Grande crise, c’est-à-dire de l’arrivée à son terme de l’effondrement du Système. Dans ce cas et seulement pour ce cas, voilà une affirmation prospective de ma part ; et certes, je n’avance en rien une affirmation argumentée, une “analyse” confirmée, etc., puisqu’il va de soi que je ne me place que dans le champ de l’intuition.

(Pour cette raison, la rencontre du texte de Crooke et les correspondances mises en avant entrent dans la dynamique de l’intuition ; ce n’est pas une “source” ni une information, ni le fruit d’une enquête, mais la conviction de l’intuition. C’est bien un “Signe des Temps”, à la manière du livre de Guénon.)

Je crois fermement à l’affaiblissement accéléré, à l’effondrement de l’argumentaire du Système, de toutes les banalités très lourdes à porter que les zombieSystème nous débitent pour tenter de justifier la poursuite de la catastrophe. Leur pathétisme, qui est d’abord la conséquence de l’extraordinaire faiblesse de leur “famille d’esprit” en décomposition accélérée constituée pour défendre un phénomène si gigantesque et si monstrueux, éclate à chaque intervention, à chaque discours, à chaque acte et chaque geste, et contraint irrémédiablement leur mission à la décomposition et à la perte du sens comme on “perd la boussole”. Leur pathétisme est celui de la peau de chagrin de leur façon de voir et de défendre la chaîne et le bourreau qui les enserrent mortellement dans leur pathétique géôle de l’esprit. Leur pathétisme est celui d’un phénomène encore plus étrange que tout le reste : ils sont lourds, effroyablement lourds, alors qu’ils sont vides, incroyablement vides. Tout cela, se dit-on, menacerait bien de finir par un épouvantable spasme de dégoût né de la crainte d’un si mortel ennui.

C’est de cette sorte de réflexion sans queue ni tête, ou sans début ni fin comme les rhizomes de Deleuze-Guattari préfigurant le Big Now où nous barbotons présentement (« Le rhizome est “antigénéalogique”, il est à entrées multiples, écrit Daniel Cohen, fort satisfait de la situation. Il n’a pas de commencement ou de fin mais toujours un milieu »), – c’est de cela que se nourrit par réflexe de survie la renaissance d’un intérêt sans cesse grandissant pour la “famille d’esprit” de la Tradition primordiale. Nous avons besoin de Mystère, de perspectives cosmiques, de visions héroïques, nous voudrions bien un peu de la transcendance que le divin Achille savait si bien manier en même temps que son épée pour s’assurer la bonne volonté des dieux. Nous en avons décidément assez de la médiocrité qui nous est offerte comme la pomme blette qu’un serpent d’opérette fabriqué à Doubaï par des ouvriers Sri-Lankais et clandestins tend au sapiens débile et transgenre entre les rayons achalandés de simulacres sans goût du Jardin d’Eden de la Grande-Surface ad hoc  ; on lui garantit, au sapiens, qu’il est au Paradis et que ce n’est pas un péché, et alors, même lui il commence à se douter de quelque chose.

Quant au reste, si le divin Achille venait à croiser le premier transgénique-robot, le premier JSF-transgénique si vous voulez, il lui suffira d’un coup de talon pour clore le propos.