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92314 janvier 2010 — On lit par ailleurs, dans Ouverture libre du 14 janvier 2011, des déclarations de Ralph Nader d’un enthousiasme qu’on n’avait plus entendu chez lui depuis de nombreuses années. Elles concernent une alliance libertarienne-progressiste, – extrême droite US et extrême gauche US, dans le sens sérieux des choses. (Pas le sens folklorique type-épouvantail, que chaque aile du parti unique de l’establishment s’emploie à agiter pour rallier son électorat, l’extrême droite type-milice nazifiantes et l’extrême gauche type faucille et marteau, – tout cela résidus de temps révolus et exercice de virtualisme courant, on s’en doute…)
L’idée fait son chemin, à droite comme à gauche, chez un Justin Raimondo comme chez un Ralph Nader, ou bien même chez des prévisionnistes plus “folkloriques” comme Gerald Celente ; non pas l’idée de la possibilité d’une telle alliance, mais la double idée de l’inéluctabilité et de la nécessité de cette alliance. C’est une occurrence surprenante, alors que la matérialité de cette alliance, notamment sous la forme habituelle d’une structure politique, de capacités financières extérieures, de réseaux d’influence, etc., n’existe guère ; alors qu’elle n’est guère représentée dans les sondages, où d’ailleurs et bien entendu, et ceci éventuellement expliquant cela en bonne partie, une telle possibilité n’est pas présentée aux personnes interrogées. Il n’empêche, lorsque les conservateurs se réunissent pour désigner, tous partis et toutes tendances confondus, celui qui serait leur candidat favori pour 2012, le nom de Ron Paul apparaît en première place. Depuis, on l’a vu, l’idée même de cette candidature, autant que la position institutionnelle du même Ron Paul se sont fortement renforcées. Bien entendu, toute cette agitation autour de Ron Paul n’est pas uniquement libertarienne, ni même uniquement conservatrice. Elle touche des personnalités et des tendances de la gauche progressiste et forme, sans organisation, sans tapage et sans structrures conformes au Système, ce que nous désignons comme un “système antiSystème”…
@PAYANT Dans notre numéro du 10 janvier 2011 de dde.crisis consacré à cette question des “systèmes antiSystème”, nous écrivons à propos de Ron Paul, – à l’“idée Ron Paul” considérée comme un système antiSystème, où Ron Paul est moins une personnalité politique, une force motrice et centralisatrice qu’un point de ralliement…
«[Il] s’est formé autour de Ron Paul un courant, une dynamique, une architecture activiste qu’on pourrait désigner comme un “système antiSystème”. Il n’y a pas d’organisation activée, de construction politique structurée, même si l’un ou l’autre élément présente ces caractéristiques (Ron Paul dispose effectivement et évidemment d’une organisation politique autour de lui, y compris des réseaux de soutien populaire par le Net, pour le soutenir et renforcer sa position). Nous parlons de quelque chose d’autre, d’un courant qui se forme à partir de nouvelles circonstances, de la perception d’images, de la reconnaissance de symboles, pour que naisse spontanément l’idée, devenant une dynamique, une force s’organisant spontanément, autour de cet homme. […]
»On pourrait dire que le phénomène n’est pas nouveau, qu’on l’appellerait simplement “courant d’opinion” sans manquer beaucoup à sa description. Ce n’est évidemment pas notre propos. Le cas de Ron Paul est intéressant parce qu’il présente, si on l’examine d’un point de vue “humain”, du point de vue où les perceptions humaines s’organisent, par exemple, en “courants d’opinion”, un aspect singulièrement chaotique et, justement, “inorganisé”. Il n’y a aucune organisation en place, aucune structure, aucun projet, aucun dessein... Tout juste pourrait-on dire qu’il y a une tendance, ou bien une convergence. Il existe de plus en plus de chroniqueurs de gauche qui ne manquent pas de saluer Ron Paul, son intégrité, sa culture constitutionnaliste, son indépendance, etc. L’un des parlementaires les plus proches de Ron Paul, presque un “complice” pourrait-on dire, c’est Barney Frank, un Représentant démocrate qu’on peut sans hésitation situer à la gauche du parti démocrate et qui pèse pourtant d’un poids assez important dans l’establishment démocrate pour avoir été, pendant quatre ans, le président de la Commission des Finances de la Chambre. A côté de cela, on connaît l’influence de Ron Paul dans Tea Party et, plus généralement, dans le mouvement conservateur en général.
»Il n’est pas du tout dans notre propos, ici, de faire l’apologie d’un homme, même s’il le mérite, mais bien d’observer que cette “convergence” se fait d’un mouvement naturel, selon une dynamique qui ne doit rien à l’activité humaine organisée, sans campagne de promotion, sans campagne de presse. L’article du New York Times cité plus haut n’a rien déclenché du tout, il n’a fait que constater ce qu’il est impossible de ne pas constater aujourd’hui au Congrès. Ron Paul lui-même a évolué d’une façon qu’on dirait “apolitique”, sans organisation ni explication de son évolution, entre février 2010 où il constatait sa popularité et n’en tirait aucune conséquence pratique pour son avenir politique, et décembre 2010 où, dans le même article du NYT, il fait mention de la possibilité de sa candidature à la présidence en 2012 à “50-50”, ce qui est une simple indication d’une idée qui lui est imposée par les circonstances...»
On a compris que si nous parlons beaucoup de Ron Paul, et bien qu’il le mérite sans aucun doute, ce n’est pas autour de lui, ni autour de quelque homme que ce soit, qu’évolue notre propos. Nous décrivons cette sorte de phénomène nouveau que nous nommons “système antiSystème”, qui est caractérisé par la discrétion de sa mise en place, parce que nous pensons que c’est effectivement de cette façon qu’évolue un courant passé le plus souvent inaperçu, – nous en parlons plus qu’à notre tour, mais qu’est-ce qu’en dit la presse-Pravda de nos contrées européennes ?, – courant qui fait qu’un Nader, d’habitude sombre et crépusculaire, donne une interview où il annonce tout soudain la possibilité de la mise en place et du développement d’un courant qu’il juge d’une exceptionnelle importance aux USA («“the most exciting new political dynamic” in the US today»). Nous avons là l’hypothèse qui nous permet d’accepter d’envisager le jugement de Ralph Nader comme très sérieux, – comme il l’est en général, mais cette fois en comprenant comment ce jugement peut devenir très sérieux pour la situation politique US.
Ce rassemblement des extrêmes à droite et à gauche représente un aspect particulièrement important, également dans ce caractère de la position politique… Il rassemble des extrêmes sur l’échiquier politique, mais qui ne se rassemblent pas sur des idées extrémistes, – bien au contraire, comme on va la voir. Les idées extrémistes se trouvent dans le Système, dans l’establishment, dans le “parti unique” qui se prétend centriste. C’est que nous ne nous trouvons plus au niveau de l’idéologie mais au niveau beaucoup plus fondamental des courants structurants contre des courants déstructurants, ou bien, ce que nous désignons en termes métaphysiques, une contre-attaque (des courants structurants) lancée contre “la source de tous les maux” (les courants déstructurants), le Système qui représente, à notre sens, dans sa “situation” de “déchaînement de la matière”, quelque chose qui peut sans aucun doute être représenté par la notion exprimant dans la situation présente, avec toute sa complexité et ses effets induits, la dynamique du Mal.
(Voir notre
«Sur la précieuse recommandation d’un autre de nos lecteurs, commentant notre conception générale et nous signalant une très grande proximité intuitive, nous faisons référence au philosophe romain Plotin, créateur de l’école du néoplatonisme. Plotin définit ainsi le mal, qu’il identifie à la matière comme “source de tous les maux”, dans son Traité 51 des ‘Ennéades’, – où l’on voit la présence constante de la notion de déstructuration : “Car on pourrait dès lors arriver à une notion du mal comme ce qui est non-mesure par rapport à la mesure, sans limite par rapport à la limite, absence de forme par rapport à ce qui produit la forme et déficience permanente par rapport à ce qui est suffisant en soi, toujours indéterminé, stable en aucun façon, affecté de toutes manières, insatiable, indigence totale…”»)
On observera que la question qu’on croirait centrale du “gouvernement” n’a pas sa place ; sans quoi, cette alliance n’aurait pas lieu d’être, en aucune façon, entre les libertariens qui veulent un gouvernement réduit au minimum des fonctions vitales, et les progressistes qui se posent comme des adeptes de l’interventionnisme. C’est qu’en réalité, la question du gouvernement ne se pose pas aux USA, parce qu’il n’y a pas de gouvernement qui en soit vraiment un, avec ses fonctions régaliennes. Au contraire, le gouvernement est un faux nez pour les Big Business, les banques, le complexe militaro-industriel, et cette situation a atteint l’extrême du supportable. … Cela, les progressistes commencent à le comprendre, après deux ans de “régime Obama”, lorsqu’ils constatent que l’essentiel des dépenses du gouvernement vont aux banques, à l’industrie d’armement, etc. ; lorsqu’ils constatent qu’Obama a été complètement absorbé par le Système…
Les progressistes n’ont donc pas tant de mal que cela à se rapprocher des libertariens. Le fait est d’autant plus acceptable que le gouvernement que les libertariens vouent aux gémonies n’a justement rien d’un gouvernement aux fonctions régaliennes de puissance publique protecteur des structures sociales, mais qu’il en est juste le contraire. Les deux tendances qu’on opposerait frontalement si l’on s’en tenait à l’idéologie qu’ils représentent, se retrouvent côte à côte contre la coalition déstructurante que constituent le gouvernement et les forces oligarchiques du corporate power et du complexe militaro-industriel principalement. Cette situation se traduit dans notre langage par la puissance déstructurante qu’est le “Système-en-soi”, rassemblant ses sous-systèmes du technologisme et de la communication.
(Cela, toujours avec l’ironique situation que permet le caractère de Janus du système de la communication qui, à l’occasion, et à une occasion qui se présente relativement souvent, se retrouve par son activité aveugle soutenant des initiatives telles que ce système antiSystème libertariens-progressiste qui représente en écho de communication la possibilité d’un éclat que ce même système de la- communication est conduit par sa fonction à exploiter.)
On observera d’autre part qu’une telle coalition, si elle se développe avec bonheur sous la forme d’un système antiSystème, recèle évidemment, face à la puissance du “centre”, une logique de dévolution et de fractionnement propre aux USA. Le caractère déstructurant du Système repose paradoxalement sur un caractère centralisateur qui a les apparences d’une structure, mais qui est une structure perverse, déstructurante, absolument mauvaise, qui brise les structures sociales et culturelles. Ainsi a-t-on une situation paradoxale où l’attaque structurante se fait dans le sens de la recherche de la déstructuration d’un système structuré, le Système, qui organise d’une main de fer la déstructuration générale.
Il nous est absolument impossible d’envisager des événements précis à partir de ces données que nous avons tenté d’analyser. Néanmoins, on peut comprendre que ces données vont introduire dans la vie politique US un formidable éléments d’incertitude, d’autant que cette coalition libertariens-progressive place désormais des hommes à des postes et des fonctions stratégiques importantes.
D’autre part, il nous paraît possible que de tels événements suggèrent aux Européens, qui en sont encore aux rengaines idéologiques obsolètes du siècle dernier concernant le “populisme”, le “fascisme” et ainsi de suite, une vision un peu plus réaliste de la situation aux USA à la lumière de tels événements qui commencent à se manifester en pleine lumière. Les sottises sans fin et sans nombre émises à propos de Tea Party, des “discours haineux”, des vertus sociales du président Obama, etc., continuent à former le fond du discours européen sur la situation aux USA. Les Européens devraient plutôt songer à chercher des formules équivalentes à celle qui est en train de se former aux USA entre libertariens et progressistes, c’est-à-dire rechercher des rassemblements non pas de mêmes étiquettes idéologiques mais de mêmes buts structurants en fonction de la situation européenne, fondamentalement différente de celle des USA. (En Europe, dans un certain nombre de pays, le gouvernement c’est d’abord l’Etat avec ses fonctions régaliennes plus ou moins affirmées. Il a des vertus structurantes qui lui sont propres, qui le différencient diamétralement du gouvernement US. L’Etat et son gouvernement, dans plusieurs pays européens, sont plus proches par la légitimité des Etats constitutifs de l’Union que du gouvernement central de Washington, bien entendu. L’on voit la différence de démarches idéologiques et opérationnelles si l’on veut suivre la même voie structurante que celle qu’on identifie aux USA avec le rassemblement libertarien-progressiste. Plutôt que de chercher à détruire un gouvernement de toutes les façons gangrené par nature, comme aux USA, il s’agirait d’isoler l’Etat des forces déstructurantes pour l’orienter vers des tâches structurantes.)
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