Une France “américanisée” façon-Floyd ?

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Une France “américanisée” façon-Floyd ?

Nous avons déjà cité à quelques reprises l’avocat Régis de Castelnau, qui dispose de son propre site (VuduDroit.com), qui dispose d’une audience importante, essentiellement depuis 2017 (affaire Fillon, affaire Benalla). Castelnau descend du général du même nom, qui fut un des plus illustres généraux de la Grande Guerre, organisateur peu connu avec la complicité du Premier ministre Briand de la défense de Verdun, et qui aurait reçu un maréchalat amplement mérité s’il n’avait pas été un catholique fervent (d’où son surnom de “Capucin botté”). Régis de Castelnau, lui, est un avocat célèbre, une forte voix indépendante, qu’on situerait plutôt à gauche qu’à droite, – mais dans ce cas comme tant de fois, c’est plus l’indépendance d’esprit qui nous intéresse et nous importe que la ‘tendance’ politique si vide de signification dans une époque qui se classe entre Politiquement-Correct (PC, accordé au Système) et anti-PC (ou antisystème d’une façon générale). On devine de quel côté du PC se situe Castelnau.

Ici, il donne une interview circonstanciée et détaillée à RT-France sur la situation de la sécurité civile et de la cohésion sociale en France, à la lumière des nombreux incidents enregistrés ces derniers mois. Là où d’abord le président de la république parlait avec élégance et le sens de la litote d’“incivilité”, on préférera désormais le mot d’“ensauvagement”, – d’abord contesté mais finalement accepté sous la force de l’évidence, – du ministre de l’intérieur Darmanin. Il s’agit de la définition de la situation d’insécurité en France.

C’est à l’occasion de l’agression contre le jeune (17 ans) Augustin à Lyon le 23 août que l’interview se développe. Mais c’est toute une situation d’insécurité selon son analyse que décrit Castelnau. Pour lui, cette situation a changé de nature et l’agression d’Augustin fait désormais partie de cette nouvelle nature des choses brutales que connaît la France : « L’agression du jeune Augustin n’est donc pas un fait divers, mais relève d’un phénomène de masse sur les causes et les conséquences duquel il conviendrait de travailler sérieusement. »

Ainsi Castelnau juge-t-il que la France, dans sa dynamique intérieure, a franchi une étape décisive, pour partie suscitée sinon plus nettement révélée par les conditions de la pandémie Covid19, avec ses conséquences psychologiques et sociales découlant de décisions et situations précises (confinement, diverses obligations et limitations des droits, etc.). Castelnau la décrit ainsi et estime qu’elle devient désormais, à visage découvert, un facteur politique absolument essentiel du débat politique d’ici à l’élection présidentielle de 2022, et peut-être même condition essentielle de cette élection :

« Ce qui s’est produit dans notre pays pendant ces longues semaines est un fait politique extrêmement important, qui a élargi la question de l’insécurité en lui donnant des caractéristiques ethniques qu’il est difficile de nier. Ces questions vont constituer un enjeu considérable dans les débats politiques qui s’amorcent dans la perspective de la prochaine présidentielle.  [...]
» Ce qui compte sur cette question, c’est bien justement «le sentiment d’insécurité» qu’il n’est pas possible de traiter en qualifiant d’imbéciles ceux qui le ressentent. Et c’est lui qui aura des conséquences politiques. Et compte tenu de ce qui s’est passé cette année, ce sera un sujet majeur. »

Élargissant ainsi le débat, Castelnau l’aligne effectivement sur le cas des USA, – lorsqu’il parle de « la question de l’insécurité en lui donnant des caractéristiques ethniques qu’il est difficile de nier », ou lorsqu’il dit plus précisément « ...une arrogance liée à ce qui s’est produit avec l’affaire Traoré et l’importation en France des débats américains après la mort de Georges Floyd ». Mais il ne s’agit pas d’une ‘américanisation’ dans le sens habituel qu’on donne au mot, de ‘suivisme’ ou de ‘soumission culturelle’ à l’américanisme. Il s’agit d’une convergence de fait sur plusieurs aspects, évidemment confrontés à leurs contextes nationaux mais répondant à une démarche similaire.

• Des violences nées de revendications ethniques minoritaires, sur une ‘racialisation’ et une exigence de ‘repentance’ : nous sommes loin de la délinquance et du fait divers, et tout près de l’idéologie et du débat sur la subversion, – chacun la voyant chez l’autre – et sur la forme de la civilisation.

• Une ‘communautarisation’ politique basée sur des arguments raciaux en dépit des réalités objectives, quasiment ‘de couleur’ (la plupart des manifestations des Black Lives Matter comprennent une majorité de Blancs, sinon que des Blancs dans des occurrences grotesques).

• Des arguments avancés sur la mise en cause du maintien de l’ordre tel qu’il est pratiqué, voire tel qu’il est conçu, avec comme accusés essentiels le concept de “violences policières” perçu comme une machination dynamique de répression au service d’un supposé “suprémacisme blanc”. (Nous avons toujours préféré parler d’un “suprémacisme anglo-saxon”, et dans des conditions bien différentes que le catéchisme antiraciste.)

• Un sentiment peu ordinaire de malaise et de désarroi de la population majoritaire, cible théorique des critiques protestataires, devant l’indulgence, la prudence, la démission voire la complicité active des autorités chargées de faire respecter et appliquer a loi, et d’assurer la sécurité publique. (Rôle des maires démocrates aux USA ; exclamation de Castelnau : « Et en général, on est confronté à une absence d’intervention policière digne de ce nom, et lorsque les voyous sont interpellés, la justice fait preuve d’une absence de réaction tout à fait stupéfiante. »)

L’“américanisation” de la France dans ce cas n’est qu’un constat de perception ou de chronologie ; sur le fond, les deux pays se trouve confrontés à un phénomène identique, sinon identitaire dira-t-on sur la sollicitation des mots. Mais, bien au-delà, il s’agit de ne pas détacher ces deux pays, pour des raisons différentes, pour en faire les deux seuls foyers contredisant une situation générale assez stable, c’est-à-dire faire des USA et de la France des exceptions dans une communauté occidentale capable d’absorber les contraintes de l’évolution de la situation de la globalisation, des migrations, etc. Tout au contraire, les USA et la France sont les pics extrêmes, les signes exacerbées de ce phénomène que le président de la République française a bien voulu identifier lorsqu’il faisait ces déclarations fin août 2019 :

 « Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde. Nous nous étions habitués à un ordre international qui depuis le 18ème siècle reposait sur une hégémonie occidentale, vraisemblablement française au 18ème siècle, par l'inspiration des Lumières ; sans doute britannique au 19ème grâce à la révolution industrielle et raisonnablement américaine au 20ème grâce aux 2 grands conflits et à la domination économique et politique de cette puissance. Les choses changent. Et elles sont profondément bousculées par les erreurs des Occidentaux dans certaines crises, par les choix aussi américains depuis plusieurs années et qui n'ont pas commencé avec cette administration mais qui conduisent à revisiter certaines implications dans des conflits au Proche et Moyen-Orient et ailleurs… »  […]
« Je peux vous le dire avec certitude. Nous savons que les civilisations disparaissent, le[s] pays aussi. L’Europe disparaîtra. L’Europe disparaîtra avec l’effacement de ce moment occidental et le monde sera structuré autour de deux grands pôles : les États-Unis d’Amérique et la Chine. »

Macron parlait essentiellement de politique étrangère, notamment puisqu’il s’adressait aux ambassadeurs (“discours aux ambassadeurs”, traditionnellement du président au corps diplomatique, annuellement chaque fin du mois d’août). Il aurait pu simplement développer le court passage à-la-Valéry sur ce fait que « Nous savons que les civilisations disparaissent » ; en effet, les situations ici décrites d’insécurité, de débâcle de la légitimité, de mise en cause de l’unité aux USA et en France ont essentiellement à voir avec le déclin accéléré de la civilisation occidentale dont ces deux pays (*) sont, à des titres divers, et parfois sinon souvent selon des points de vue différents sinon antagonistes, les porte-drapeaux. Le fait est que les deux drapeaux, le français et l’américain, sont aujourd’hui en berne ; tout comme la globalisation tant vantée puis vilipendée par les USA, acceptée avec répugnance puis adoptée par la France, est elle-même porteuse de cette pandémie d’effondrement civilisationnel (Effondrement du Système), comme elle a été l’artisan(e ?) principale de celle du Covid19, – ceci précédé et activé par cela...

Bref, il nous semble que les situations intérieures, et pour ce qui nous concerne ici celle de la France, doivent être absolument appréhendées dans le contexte de la GCES. D’ores et déjà, le fait de placer la question dans une problématique beaucoup plus large et fondamentale, comme le fait Castelnau, est absolument justifiée et correspond à une incontestable vérité-de-situation. C’est pour cette raison que son analyse est certainement pleine de justesse, et que la question de l’insécurité va peser en France-2022 de tout ce poids singulier, énorme, déstructurant des politiqueSystème des régimes en place, qui règne en maître depuis le début de cette année.

Ci-dessous, l’interview de Régis de Castelnau dans RT-France du 26 août 2020.

dedefensa.org

Note

(*) De nombreux textes sur ce site, ainsi que deux parties du Tome_ de La Grâce de l’Histoire aborde le cas très particulier des rapports et des spécificités des deux pays, les USA et la France. On peut consulter tel ou tel texte, parmi bien d’autres. Quoi qu’il en soit, et les deux pays présentant des perceptions bien différentes de cette civilisation occidentale, n’en sont pas moins des artefacts fondamentaux de cette civilisation, et leurs crises internes ont donc des causes et des manifestations similaires renvoyant à son effondrement (Effondrement du Système).

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L’interview de Régis de Castelnau

RT France : On assiste depuis plusieurs semaines à une succession de cas de violences plus ou moins relayés dans les médias. L'agression d'Augustin est-elle un énième fait divers ?

Régis de Castelnau : Ce que le président de la République, suivi ensuite par son nouveau ministre de l’Intérieur, a qualifié d’incivilités, est la conséquence d’un phénomène particulier qui s’est produit cet été dans notre pays. Les banlieues abandonnées, territoires perdus de la république et laissés à la gestion commune de la pègre et de l’islamisme, on les connaissait déjà et depuis longtemps.

La nouveauté, c’est que les centres-villes, ainsi que les lieux de loisirs estivaux, et ce dans toute la France, ont été abandonnés à une délinquance de rue particulièrement violente. La lecture de la presse vous confronte à une litanie de soi-disant fait divers qui présentent tous des caractéristiques communes : émeutes, vols avec violences, agressions en bande, trafic de drogue à ciel ouvert, harcèlements sexistes, toute la panoplie de ce qui pourrit la vie des couches populaires déjà secouées par le confinement est au rendez-vous. Et en général, on est confronté à une absence d’intervention policière digne de ce nom, et lorsque les voyous sont interpellés, la justice fait preuve d’une absence de réaction tout à fait stupéfiante. Rappelons-nous cette agression au marteau contre un père de famille, ou celle de ce maire demandant de faire moins de bruit et dont les auteurs pourtant identifiés et arrêtés immédiatement été relâchés dans la nature. Cette présentation est malheureusement conforme au réel, dans la mesure où tout ceci ne se déroule plus seulement dans les «quartiers» mais dans les centres-villes de tout le pays, pourtant jusqu’à présent à peu près protégés.

L’agression du jeune Augustin n’est donc pas un fait divers, mais relève d’un phénomène de masse sur les causes et les conséquences duquel il conviendrait de travailler sérieusement. Alors il est probable que cette partie délinquante de la jeunesse s’est retrouvée complètement disponible compte tenu de la disparition des occupations estivales et de la possibilité des voyages à l’étranger. Il y a également une autre caractéristique que l’on retrouve dans chacune des agressions, c’est l’incroyable sentiment d’impunité qui habite les voyous, et une arrogance liée à ce qui s’est produit avec l’affaire Traoré et l’importation en France des débats américains après la mort de Georges Floyd. La complaisance initiale d’Emmanuel Macron, demandant à sa ministre de la Justice et à son ministre de l’Intérieur de prendre le parti de la famille Traoré, les interventions d’un certain nombre d’intellectuels indigénistes considérant ces violences comme quasiment justifiées par le passé esclavagiste et colonial de la France.

Ce qui s’est produit dans notre pays pendant ces longues semaines est un fait politique extrêmement important, qui a élargi la question de l’insécurité en lui donnant des caractéristiques ethniques qu’il est difficile de nier. Ces questions vont constituer un enjeu considérable dans les débats politiques qui s’amorcent dans la perspective de la prochaine présidentielle.

RT France : Comment interpréter l'absence de réactions (du moins dans l'immédiat) des membres du gouvernement dans cette affaire ?

Régis de Castelnau : Cette absence de réaction est liée justement à l’ambiguïté de la réaction d’Emmanuel Macron à la manifestation du comité Adama Traoré au sortir du confinement. La complaisance qu’il a manifestée validant en quelque sorte le récit pourtant mensonger faisant d’Adama Traoré un martyr de la violence systémique et raciste de la police française. Il a quand même demandé, en pleine procédure judiciaire et en violation de la séparation des pouvoirs, à la garde des Sceaux de recevoir la famille plaignante ! Et ensuite, Christophe Castaner, dont il est difficile de penser qu’il agissait de sa propre initiative, a déclaré officiellement que la loi républicaine était d’application à géométrie variable, et que les interdictions de manifestation pour cause de pandémie et par nécessité de protection de la population, n’étaient pas applicables dès lors qu’il s’agissait de défiler pour Traoré !

Il y a probablement d’autres raisons à la discrétion des membres du gouvernement, avec tout d’abord la terreur qui les habite d’être critiqués par les belles âmes et les peoples. Les opinions d’Omar Sy ou de Virginie Despentes sont beaucoup plus importantes que celles des couches populaires confrontées à cette violence. Ensuite, chez eux aussi, bien placés pour savoir l’incroyable affaiblissement de l’Etat dans ses fonctions régaliennes, la peur que ces interventions répressives voulues par les Français provoquent un embrasement qui deviendrait incontrôlable. Cela en dit long sur la situation que 30 ans de gabegie ont permis d’installer.

RT France : La droite a largement réagi à cette agression, en usant notamment du slogan «Justice pour Augustin», tandis que la gauche s'est faite plus discrète. Y a-t-il un risque de récupération politique de cette affaire ?

Régis de Castelnau : La «récupération politique» est chose normale et souhaitable dans un régime démocratique. Les opinions doivent pouvoir se confronter, et les différents courants doivent pouvoir s’exprimer. Le présenter comme un risque est une manœuvre habile visant à éviter d’en parler pour masquer le réel ou à disqualifier l’événement pour lui retirer ses caractéristiques qui permettent de le rattacher justement à cet «ensauvagement» dénoncé par le nouveau ministre de l’Intérieur sous les clameurs indignées de la police du langage, toujours soucieuse de prendre la pose et d’exhiber ce signe extérieur de richesse qu’est son antiracisme. Exprimé en général depuis ses quartiers où elle voit furtivement les travailleurs issus de l’immigration dès lors qu’ils viennent ramasser ses poubelles, faire la plonge dans ses restaurants, tenir les caisses de leur Carrefour City ou garder leurs enfants.

Je renvoie à Christophe Guilluy décrivant ce phénomène de façon savoureuse. Alors, dans l’affaire Augustin, avec un peu de retard à l’allumage, la bobosphère a essayé de déconstruire la réalité en pointant la personnalité et les opinions politiques du jeune homme. Et ensuite en relevant que des commentateurs qualifiés «d’extrême droite» s’étaient indignés de l’agression. Méthode tout à fait classique, et d’une malhonnêteté confondante que l’utilisation de cet «ami imaginaire» de la «fachosphère», sorte de doudou confortable sur lequel ces braves gens se précipitent pour pratiquer un de leurs sports favoris : le déni du réel.

On se moque des opinions politiques du jeune Augustin, la seule question qui est posée : a-t-il été passé à tabac à cinq contre un dans un de ces centres-villes abandonnés à la violence ? Tout le reste n’est que du bavardage.

RT France : Assiste-t-on à un «ensauvagement» de la société française, comme l'estiment certains politiques et observateurs ; ou s'agit-il d'un effet de loupe dû à l'accroissement de la circulation de l'information?

Régis de Castelnau : Il me semble que ce que l’on appelle «ensauvagement» est la forme particulière qu’a prise la délinquance violente cet été dans un espace public élargi et sur l’ensemble du territoire. La violence délinquante n’est pas nouvelle, et toutes les sociétés en connaissent. La question de son augmentation, surtout en ce qui concerne la délinquance qui affecte la vie des couches populaires, permet un débat sans fin. Statistiques contre ressenti, ce qui permet de prétendre que cette violence diminue, et que l’insécurité n’existe pas et qu’il s’agit simplement d’un «sentiment d’insécurité». Le problème, c’est que dans une démocratie, ce qui compte c’est justement le «sentiment d’insécurité». Et que cette prétention à traiter les gens comme des demeurés incapables de prendre en compte la réalité des chiffres est finalement d’une arrogance sociale assez stupéfiante. Il y a environ 243 000 cambriolages par an en France [de résidences principales, chiffre du ministère de l'Intérieur pour 2016], et les professeurs de maintien vous diront à la publication d’une statistique identifiant une diminution de 10 % par exemple, que c’est bien la preuve de la baisse de l’insécurité. Le problème c’est qu’il va falloir l’expliquer aux 218 000 familles restantes qui ont été cambriolées. On leur souhaite bon courage.

Je ne pense pas que l’on puisse prétendre à un effet de loupe des réseaux, qui dans l’information ne font que rééquilibrer l’attitude des médias qui, parfois pour des raisons honorables, ont tendance à masquer et à minorer. Ce qui est incontestable en revanche c’est que les réseaux sont un espace de débat qui reflète les tensions qui travaillent durement la société française. Et il ne faut pas s’imaginer, comme le faisaient les promoteurs de la loi Avia, que c’est en cassant le thermomètre qu’on fera reculer la maladie.

Ce qui compte sur cette question, c’est bien justement «le sentiment d’insécurité» qu’il n’est pas possible de traiter en qualifiant d’imbéciles ceux qui le ressentent. Et c’est lui qui aura des conséquences politiques. Et compte tenu de ce qui s’est passé cette année, ce sera un sujet majeur.