Une guerre d’un genre complètement nouveau, — «Un Irakien mort est juste un Irakien mort de plus.. Et alors?»

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Derrière les explications et les analyses rationnelles, même les plus pessimistes, la guerre en Irak reste pour l’instant un mystère. Il se dégage de cette guerre une telle inhumanité, une telle

sauvagerie, une telle froideur humaine malgré le feu et le sang, une sorte de haine indifférente, presque abstraite, presque mécanique et sans motifs humains profonds sinon des sentiments primaires et enfantins qu’on peut effectivement la juger comme un événement exceptionnel que la notion traditionnelle de “guerre” n'englobe pas. De même, ce jugement approximatif permet d’envisager que cette guerre, malgré ses proportions réduites par rapport aux conflits possibles, est néanmoins une guerre avec toutes les conséquences possibles, jusqu’aux plus terribles, — dans des domaines qui lui sont directement connectés comme dans ceux qui ne lui sont qu’indirectement liés.

Un très long texte de The Nation, dans ses éditions du 30 juillet, donne un aperçu de ce mystère au travers d’une cinquantaine d’entretiens avec des vétérans (identifiés) de la guerre. Les réponses ressemblent à des confessions d’une horreur qui semble effectivement dépasser l’état connu des guerres. La comparaison avec le Vietnam, souvent faite et répétée ici, est injustifiée ; la comparaison avec la guerre d’Algérie est tout simplement grotesque. L’Irak est quelque chose d’autre.

On connaît la méthode US. Durant la guerre contre les Indiens, le mot du général Sherman était qu’«un bon Indien est un Indien mort» ; idée reprise pendant la Guerre froide («Un bon communiste est un communiste mort»). Là, on va encore plus loin, dans quelque chose de différent, ajoutant l’indifférence pour la tuerie devenue façon d’être de ce monde : «Un Irakien mort est juste un Irakien mort de plus… Et alors?» («Lieutenant Brady Van Engelen, 26, of Washington DC, 1st Armoured Division. Eight-month tour of Baghdad beginning Sept 2003: “I guess while I was there, the general attitude was, ‘A dead Iraqi is just another dead Iraqi... You know, so what?’”…») Bien sûr, les explications habituelles, poussées jusqu’à l’outrance extrême, sont avancées, notamment le complet isolement des soldats US, qui sont en Irak comme s’ils étaient sur une autre planète, nourrissant une psychologie américaniste complètement étrangère au reste du monde, et donc aux valeurs humaines de ce monde étranger :

«These attitudes reflect the limited contact occupation troops said they had with Iraqis. They rarely saw their enemy. They lived bottled up in heavily fortified compounds that often came under mortar attack. They only ventured outside their compounds ready for combat. The mounting frustration of fighting an elusive enemy and the devastating effect of roadside bombs, with their steady toll of American dead and wounded, led many troops to declare an open war on all Iraqis.»

On peut répéter encore et encore, pour bien comprendre l'enjeu énorme de cette guerre qui se fait dans une indifférence relative du “reste du monde”, que ce conflit et la conduite de l’armée US sont sans précédent. Ce n’est pas une guerre faite d’atrocités diverses, nombreuses, affreuses, etc., mais comme le dit un soldat, la guerre elle-même est atrocité en substance. C’est ce que souligne The Independent, dans son article d’aujourd’hui, où est commentée la longue étude de The Nation.

«It is an axiom of American political life that the actions of the US military are beyond criticism. Democrats and Republicans praise the men and women in uniform at every turn. Apart from the odd bad apple at Abu Ghraib, the US military in Iraq is deemed to be doing a heroic job under trying circumstances.

»That perception will take a severe knock today with the publication in The Nation magazine of a series of in-depth interviews with 50 combat veterans of the Iraq war from across the US. In the interviews, veterans have described acts of violence in which US forces have abused or killed Iraqi men, women and children with impunity.

»The report steers clear of widely reported atrocities, such as the massacre in Haditha in 2005, but instead unearths a pattern of human rights abuses. “It's not individual atrocity,” Specialist Garett Reppenhagen, a sniper from the 263rd Armour Battalion, said. “It's the fact that the entire war is an atrocity.”»

On sait que nombre de vétérans retour d’Irak souffrent de troubles mentaux. Nous irons plus loin. Cette guerre est un calvaire, une malédiction pour la psychologie américaniste. Cette psychologie, qui conditionne le comportement humain comme toute psychologie, ne s’en relèvera pas. D’une façon ou l’autre, nous en verrons l’effet catastrophique. Les Irakiens auront payé d’un calvaire inimaginable de cruauté cette dévastation de l’esprit américaniste et, sans doute, l’inéluctable chute qui s’ensuivra.

(P.S.: quant aux pertes... Sans doute tout près du million de morts. Lisez l'article de CommonDreams.org du 11 juillet.)


Mis en ligne le 12 juillet 2007 à 08H44