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19809 octobre 2006 — C’était le temps où l’acronyme anglais de “NATO” était traduit, irrévérencieusement, par des Hongrois amers et désespérés, par cette phrase : “No Action, Talks Only”. Le 50ème anniversaire de l’insurrection de Budapest sera peut-être l’occasion pour les pays d’Europe de l’Est qui se précipitent dans l’alliance américaine en souvenir de la liberté que l’Amérique leur a donnée, de se rappeler ou de découvrir que l’Amérique n’a rien fait pour leur donner la liberté. Puisque le “devoir de la mémoire” nous est chaque jour rappelé par des censeurs vigilants, allons-y.
L’article de Charles Gati, Hongrois d’origine travaillant à la School of Advanced International Studies de l’université John Hopkins, à Washington, est un bon rappel. (Gati vient juste de publier Failed Illusions: Moscow, Washington, Budapest, and the 1956 Hungarian Revolt.)
Il donne la place qu’il faut dans la responsabilité des massacres de Budapest :
• Au leader communiste devenu réformiste Imre Nagy, qui, devenu Premier ministre, prit la tête de la révolte et eut le tort de ne pas contenir ses excès les plus extrémistes ;
• A la direction soviétique, hésitante et même prête à accorder à la Hongrie un statut d’une certaine autonomie ;
• A l’expédition franco-britannique de Suez, qui fut certes une diversion permettant aux Soviétiques d’envisager plus aisément l’occupation de Budapest, mais qui ne joua qu’un rôle d’appoint accessoire dans le déroulement de la crise hongroise ;
• Aux USA, qui portent une écrasante responsabilité : d’une part, ils encouragèrent en sous-main la révolte, portant la responsabilité d’avoir poussé les Soviétiques à une réaction extrême alors que ces mêmes Soviétiques étaient prêts à s’accommoder d’un gouvernement Nagy avec une certaine indépendance (type Tito) ; d’autre part, officiellement, ils ne firent absolument rien pour aider les Hongrois insurgés, écartant même cette possibilité de négocier un compromis avec Moscou pour une solution “titiste”.
Quelques extraits d’un court article qui mérite d’être lu et relu :
«After all, just a year earlier, in 1955, Moscow had made three striking concessions. Having said ‘nyet’ for a decade, the Kremlin withdrew the Soviet Army from occupied Austria; made peace with Marshall Tito of Yugoslavia, an independent-minded Communist; and held a summit with President Dwight Eisenhower in Geneva — the first such high-level contact between the two countries since World War II. Perhaps more important, at the 20th Congress of the Soviet Communist Party in February 1956, the Kremlin both confirmed and accelerated the processes of de-Stalinization.
»Archival evidence and several Soviet leaders' memoirs indicate that Moscow was also prepared to give the Soviet Union's satellite states more elbow room, although not Austrian-like neutrality.
»The record of their secret deliberations during the Hungarian crisis shows that on Oct. 30 the presidium (as the Soviet politburo was then called) made a unanimous decision against military intervention. The record is spotty, but the Kremlin appears to have believed that Imre Nagy could and would save “the cause of socialism» for them.
»But then, in 24 hours, the presidium reversed itself and opted for military intervention. Why? One reason was a breakdown in the relative calm and order that had prevailed in Budapest for a couple of days. On Oct. 30, ugly atrocities took place at Republic Square, in front of the party's municipal headquarters. There were also signs that the “Hungarian virus” was spreading.
»Meanwhile, the Suez crisis increasingly preoccupied the British and the French, and the United States was just a week away from the November 1956 presidential elections.
»Having professed since 1952 to seek the ‘liberation’ of Eastern Europe and the ‘rollback’ of Soviet power, Washington remained all but silent during the Hungarian crisis. On Oct. 27, Secretary of State John Foster Dulles issued an ambiguous statement that was so nuanced as to give rise to conflicting interpretations in Moscow, Budapest and in Western European capitals.
»The United States didn't put the Hungarian issue on the agenda of the United Nations until after the Soviet intervention. The CIA had but one agent in Budapest (the only Hungarian-speaking official at the U.S. Legation during the revolt), and all other CIA officials were forbidden to enter the country's territory. We also know now that Washington made no effort to find out if Moscow was interested in finding a compromise solution.
»Washington's lack of useful engagement gave new meaning to the acronym NATO, which now stood for No Action, Talk Only. On the one hand, Radio Free Europe egged on the Hungarians to seek a knockout victory — even offering advice on how to make Molotov cocktails. On the other, Vice President Richard Nixon, a leading hypocrite, had noted at a top-secret meeting back in July already that “it wouldn't be an unmixed evil” if the Soviet iron fist were to come down on the Soviet satellites. After the crackdown, President Eisenhower said of the Hungarians: “Poor fellows, poor fellows. I think about them all the time. I wish there were some way of helping them.”
»Among a few moderate dissenters was the legendary columnist Walter Lippmann, who understood that advocating full freedom and independence was as unrealistic as doing nothing was irresponsible. He knew that the revolt did not have to fail. “In the interest of peace and freedom,” he wrote at the beginning of the crisis, on Oct. 26, “we must hope that for a time, not forever but for a time, the uprising in the satellite orbit will be stabilized at Titoism.” He wanted America to use its considerable influence to encourage evolutionary goals and work toward partial gains.
»In official Washington, however, the excuse of helplessness replaced the myth of liberation. In Budapest, belief in an elusive victory stifled the search for a modus vivendi. In Moscow, a brutal Stalinist military intervention crushed the promise of de-Stalinization and détente.»
“Devoir de mémoire” ? Leçons du passé ? Les nouveaux membres de l’OTAN et de l’UE, venus de l’ex-Europe communiste, et qui clament leur zèle pour la liberté et l’alliance américanistes, notamment en mémoire de l’Amérique qui soutint le camp de la liberté pendant la Guerre froide, feraient bien de se pencher sur les faits. La tragédie de Budapest montre les traits constants de la politique étrangère US : d’un côté, les phantasmes de l’extrémisme irresponsable, de l’autre l’indifférence, la méconnaissance des autres, le seul champ de vision des intérêts immédiats et de la politique washingtonienne. Rien n’a vraiment changé.
Rien n’a vraiment changé… La CIA était, en 1956, toujours aussi absente des terres extérieures où “la cause de la liberté” était en jeu. Il lui manquait des agents en Hongrie (un seul présent !) et des linguistes hongrois (le même seul agent de la CIA à la légation), comme il lui manque aujourd’hui des agents infiltrés dans le mythique Al Qaïda et des linguistes arabes, farsi, etc. Rien n’a vraiment changé… Les extrémistes étaient également présents, dans le concert US. Ils se trouvaient à Radio Free Europe et Radio-Liberty, qui encourageaient les insurgés hongrois en leur annonçant un soutien US qui ne vint jamais. Rien n’a vraiment changé… Le gouvernement US était préoccupé de la seule situation du système washingtonien, avec les élections mid-term du 5 novembre, et il ne fut jamais question de la moindre intervention. Cette résolution concernait même l’action diplomatique la plus évidente, qui eût été de simplement donner au Kremlin, par des pressions et des indications adéquates, un argument de plus, l’argument ultime de rechercher un compromis pour arriver à une solution “titiste” en Hongrie.
La leçon du 50ème anniversaire de l’héroïque révolte de Budapest est que les USA ont constamment été, dans l’histoire de leur propre diplomatie, un monstre d’aveuglement et d’indifférence pour les causes des autres, et un monstre d’hypocrisie par leurs leçons de morale irresponsables jamais suivies du moindre engagement conséquent. Pour la politique étrangère de l’Amérique, la “cause de la liberté” s’est toujours mesurée à ces leçons de morale sans conséquence (le wilsonisme), à une action de propagande si colossale qu’elle en est devenue virtualisme et aux interventions sans risque dont le principal but fut toujours d’ouvrir des marchés nouveaux au business américain.
Les anti-américanistes d’aujourd’hui qui se désolent de la trahison des anciens idéaux américanistes feraient bien de prendre quelques cours d’histoire. Les interventions US en Europe ne l’ont jamais été qu’au nom des intérêts américanistes interprétés sur un grand air de moralisme wilsonien (pré-wilsonien ou néo-wilsonien). Cela vaut évidemment pour la période sacrée de 1941-45, où l’essentiel du poids de la victoire fut porté par l’Angleterre et l’Union Soviétique, les USA jouant un rôle de complément et de fournisseur (important mais nullement décisif) de matériels jusqu’au 6 juin 1944, mais disposant d’appareils de propagande et d’amis bien placés qui firent une inflation extraordinaire de leur rôle dans la guerre.
Le seul changement qui est intervenu depuis le 11 septembre (et depuis la chute du Mur, en fait) est l’ivresse qui s’est emparée des esprits washingtoniens, avec comme conséquence le goût de l’interventionnisme unilatéral transformé en système de gouvernement. Le regard n’est pas décillé, ni l’esprit plus ouvert, la fermeture de la psychologie américaniste est toujours aussi hermétique. Les mêmes erreurs et faiblesses, la même absence de loyauté et de grandeur dans la vision du monde, le même mépris pour l’identité et la souveraineté des autres, conduisent désormais à des catastrophes soldées comptant. Le seul vainqueur de ces cinquante dernières années, depuis la tragédie des insurgés de Budapest trahis par les promesses américanistes, c’est le système américaniste qui s’est renforcé, qui s’est fortifié, qui a développé tous ses travers sans le moindre frein. La situation de Washington par rapport à 1956 et à l’insurrection de Budapest est devenue pathétique et tragique. Il n’y a aucune matière à s’étonner. L’Histoire nous est un guide précieux à cet égard.
L’Amérique de Bush est écrite dans celle d’Eisenhower de 1956, comme elle est écrite dans celle de Washington de 1789 : une nation qui n’en est pas une mais qui est d’abord bâtie sur des intérêts commerciaux et une psychologie totalement investie par une vision messianique du monde (d’origine religieuse mais c’est en l’occurrence secondaire), isolée et méfiante du monde extérieur jusqu’à la paranoïa existant de manière permanente, entretenant particulièrement une méfiance haineuse de l’Europe, d’une vigueur incommensurable. L’Amérique n’est pas une nation, c’est un complexe (au sens psychanalytique) déguisé en nation ; le complexe étant en phase terminale a débouché sur l’ivresse. Nous y sommes.
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