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1489Nous ne nous avancerons pas trop pour tenter de donner une analyse claire de la situation dans le Caucase. Nous n’avons certainement pas les capacités de le faire et nous avons de toutes les façons quelques doutes qu’on puisse y parvenir d’une façon satisfaisante dans les conditions présentes. Nous rapportons l’information ci-dessous plutôt dans l’intention de montrer combien des facteurs régionaux importants peuvent donner un éclairage différent de la situation générale créée par la crise géorgienne et ses suites, et combien le rôle de certains pays peut recéler, sinon de surprises, du moins de positions ambiguës par rapport à la vision conventionnelle, et donc occidentale, qu’on en a d’habitude.
Il s’agit ici de la recension d’une information parue hier dans le journal russe Kommersant, donnée par l’agence Novosti ce même 8 septembre, concernant la création d’une alliance régionale. La chose est proposée par la Turquie, principalement à la Russie, mais aussi à l’Arménie (d’où l’importance du très récent voyage du président turc en Arménie, pour assister à un match de football), à l’Azerbaïdjan et à … la Géorgie. Le projet est d’origine turque et aurait été proposé en premier à la Russie, qui aurait accepté aussitôt, lors du voyage du Premier ministre Erdogan à Moscou les 12 et 13 août.
Voici la recension de Novosti:
«La Russie et la Turquie ont entamé la création d'une “Plateforme de sécurité et de stabilité dans le Caucase”, ce qui permettrait de renforcer leurs positions dans la région, en affaiblissant en même temps l'influence des Etats-Unis, lit-on lundi dans le quotidien le Kommersant.
»Samedi dernier, la formation de cette alliance a fait l'objet de négociations entre le président turc Abdullah Gül et son homologue arménien Serge Sargsian. Cette question a également été examinée lors de la visite à Moscou du ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères Elmar Mamediarov.
»Le projet de création d'une alliance régionale baptisée alors "Plateforme de paix et de stabilité dans le Caucase" a été évoqué pour la première fois le 12 août à Moscou par le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, et a tout de suite reçu le soutien des autorités russes. L'alliance devrait réunir la Russie, la Turquie, l'Azerbaïdjan, l'Arménie et la Géorgie. Tbilissi reste le seul à n'avoir pas encore donné son consentement définitif, déclarant que cela ne serait possible qu'après le retrait de toutes les forces russes du territoire géorgien.
»La participation à la création de cette nouvelle alliance pourrait permettre à l'Arménie de normaliser ses relations avec la Turquie, ce qui entrainerait l'ouverture de la frontière entre les deux pays et donnerait aux marchandises arméniennes un accès au marché turc.
»Ces dernières années, l'Azerbaïdjan a manifesté une aspiration à se rapprocher de l'Occident et de l'OTAN, mais les événements récents pourraient influer considérablement sur sa politique. Moscou peut à son tour donner à Bakou deux arguments au moins en faveur du soutien à la politique russe dans le Caucase et du refus de coopérer avec l'Occident. Les deux sont liés à la perspective de règlement du conflit du Haut-Karabakh: la Géorgie pourrait être présentée comme un mauvais exemple, et la Moldavie comme un exemple à suivre. On sait bien que Tbilissi n'a pas pu résoudre le problème de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud malgré le soutien de Washington, tandis que le président transnistrien Igor Smirnov a annoncé la levée du moratoire sur les négociations avec Chisinau après des pourparlers avec Dmitri Medvedev.
»Une rencontre personnelle entre les présidents russe et azerbaïdjanais pourrait constituer l'étape suivante des négociations sur la création de l'alliance. La semaine dernière, Dmitri Medvedev et Ilham Aliev ont convenu, lors d'une conversation téléphonique, que la rencontre de leurs ministres devrait créer une base pour leurs négociations personnelles. Selon une source proche du Kremlin, lors de cette rencontre au sommet pourrait être abordée la question de l'organisation de négociations entre les leaders arménien et azerbaïdjanais avec la médiation du président russe, et non plus sous l'égide du Groupe de Minsk de l'OSCE, qui a jusqu'à présent supervisé le règlement du conflit du Haut-Karabakh.»
Cette information donnée par Kommersant est, de notre point de vue qui privilégie une approche générale plus que régionale, du plus haut intérêt (tout comme elle l’est, bien sûr, du point de vue régional). Voici deux (trois) séries de remarques à ce propos.
• L’“isolement” russe tant débattu en Occident l’est selon une approche occidentale, légaliste et conformiste, et elle constitue surtout un argument pour la “pensée médiatique” (évidemment occidentale) de la crise, – c’est-à-dire un argument pour les éditorialistes des journaux officiels occidentaux, répandant la ligne médiatique officielle. Par contre, cet “isolement” russe n’est pas loin de devenir une chimère dans le cadre complexe et réaliste de certaines situations, notamment régionales, notamment celle du Caucase. Le projet mis ici en évidence montre une approche de coopération avec la Russie formalisée dans une alliance régionale, proposée par un pays de l’OTAN, et incluant éventuellement la Géorgie, – ce qui en dit long sur les différences entre les positions officielles prises selon le conformisme de la dialectique occidentale et les positions réelles. Le constat qu’on doit faire est que la crise géorgienne et surtout l’intervention russe ont moins conduit à l’“isolement” russe qu’à une mise en cause des situations existantes, entraînant de nouvelles initiatives, de nouvelles orientations, etc. Il nous apparaît plus que probable, sans que nous ayons d’indications à ce propos, que l’initiative turque a été accélérée, voire complètement suscitée par la crise géorgienne, et l’on voit les avantages que cette initiative apporte à Moscou en termes de statut international par rapport aux lignes officiellement affirmées autour de la crise géorgienne, comme en termes régionaux pour contrer l’influence US.
• L’affaire renforce le regard qu’on peut avoir sur la “singulière position” de la Turquie dans la crise. Ce pays, membre de l’OTAN qui condamne la Russie le 19 août, va sept jours plus tôt proposer une alliance à la Russie, qui comprendra notamment et plutôt accessoirement la Géorgie, et qui est présentée comme « affaiblissant […] l'influence des Etats-Unis» dans la région. (Dans le schéma proposé par Kommersant, c’est en effet la Géorgie qui serait isolée si elle se tenait en dehors de cette initiative, qui est dominée dans ce cas par un intéressant “axe” Ankara-Moscou.) Il semble manifeste que la Turquie estime que la crise géorgienne bouleverse la région du Caucase, et qu’il importe de lancer des initiatives de stabilisation dans cette même région, où cette même Turquie se verrait naturellement jouer un rôle important en coopération avec la Russie. De ce point de vue, on comprend que la Russie accueille l’initiative turque avec très grand intérêt, selon l’appréciation de Kommersant. De ce point de vue encore, on constaterait que la crise géorgienne pousse la Turquie à s’implanter fortement dans la région, en coopération avec la Russie; cela place la Turquie sur une ligne évidemment contradictoire, sinon antagoniste, de celle de l’OTAN et des USA.
• On notera accessoirement mais pas marginalement que cette attitude et cette proposition d'alliance de la Turquie, qui impliqueraient évidemment une “normalisation” des relations de la Turquie avec avec l'Arménie, pourraient susciter des réactions hostiles de certains lobbies pro-arméniens à Washington. Le but de ces lobbies est d'abord d'obtenir une reconnaissance officielle par la Turquie de sa responsabilité dans le génocide arménien, et une condamnation à mesure (ce que la Turquie refuse, et qui semblerait être d'autant moins d'actualité dans le cadre de la nouvelle alliance). Cette affaire a eu et a beaucoup d'écho au Congrès US, au moins aussi sensible aux lobbies qu'à l'évocation des génocides. Il y a là aussi le cas d'une possible distance supplémentaire s'établissant entre Ankara et Washington.
Mis en ligne le 9 septembre 2008 à 05H00
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