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4766Il n’est aucun pays au monde, bien entendu puisqu’il s’agit d’exceptionnalité, où les crises sanitaire (Covid19) et socio-économique (« Dépression à la tronçonneuse ») sont aussi fortement imbriquées l’une dans l’autre, avec la potentialité d’effets absolument catastrophiques. La campagne de “réouverture de l’Amérique” (officiellement « Opening Up America Again » selon l’administration Trump) est désormais lancée à pleine vitesse, représentant pour le moins un inconnu sanitaire de taille, et peut-être une catastrophe sanitaire. (« Vous ne pouvez pas demander un cessez-le-feu à un virus » résumait le Guardian il y a deux jours.) Quels que soient la létalité du virus, les risques encourus en théorie, toutes les polémiques développées à ce propos, il reste que les conditions mises en place en général, – dont certaines sont fortement contestées sinon dénoncées et souvent avec des arguments très convaincants, – ont créé une situation très complexe, où les risques d’aggravation ou de reprise de la pandémie existent réellement, parfois d’une façon dramatique.
C’est certainement aux Etats-Unis, avec une direction politique complètement chaotique et erratique et une conception sociale-darwiniste exacerbée, que cette remarque s’applique le plus, – le plus gravement, le plus catastrophiquement... Dans les conditions actuelles, alors que le Système (le Corporate Power, Wall Street, les 0,01% en général) pousse à une reprise massive du travail pour tenter de stopper l’effondrement économique, – c’est-à-dire protéger les puissances financières et les fortunes, – ces risques sont poussés vers une potentialité explosive. Les deux crises étant complètement entremêlées dans ce pays qui place l’économisme au-dessus de tout, les deux domaines sont directement et réciproquement menacés, avec des interconnexions aggravantes des deux côtés.
• Dans un article “au vitriol” signé par le secrétaire général du SEP (parti trotskiste US) David North, article furieux et dénonciateurs dans une période où il peut trouver tous les arguments du monde contre son ennemi le capitalisme prédateur, le site trotskiste WSWS.org, excellente source critique pour la documentation antiSystème, décrit la “politique de mort” de l’économie capitaliste aux USA. On y trouve un passage qui paraîtra à la fois significatif et symbolique, sur la pénétration de Covid19 à la Maison-Blanche.
(On y ajoutera l’idée que l’information a été lancée hier selon laquelle le vice-président Pence s’était mis en quarantaine volontaire pour avoir côtoyé une des personnes détectée positive. Cette information a été démentie par le cabinet de Pence sans qu’on puisse se prononcer sur cette situation spécifique, – la nouvelle, vraie ou fausse, ayant une très forte potentialité contre-productive pour la politique de Trump.)
« ...Le degré d’insouciance et d’indifférence criminelle de l'administration Trump à l’égard du sort de la population est souligné par le fait que le virus sévit dans les bureaux de l’aile ouest de la Maison Blanche.
» Un domestique personnel de Trump a été testé positif. Katie Miller, l'attachée de presse du vice-président Mike Pence et l’épouse de l’un des principaux conseillers de Trump, le fasciste Stephen Miller, a également été testée positive. Trois hauts responsables du groupe de travail de la Maison Blanche sur les coronavirus, – le Dr Anthony Fauci, le Dr Robert R. Redford et le Dr Stephen Hahn, – se sont mis en quarantaine volontaire après avoir été exposés à des personnes infectées.
» Il a été rapporté que Trump est entré dans une grande colère lorsqu'il a appris qu'il avait peut-être été exposé au virus. Selon le Washington Post, Trump “a été exaspéré en apprenant que Mme Miller avait été testée positive et a commencé à repousser les personnes qui s’approchent trop près de lui...”
» Le Post rapporte également que “la découverte des deux employés infectés a incité la Maison Blanche à intensifier les procédures de lutte contre le virus, en demandant à davantage de membres du personnel de travailler à domicile, en utilisant davantage de masques et en contrôlant plus rigoureusement les personnes qui entrent dans le complexe”.
» La situation à la Maison Blanche met à nu la tromperie et l'hypocrisie, enracinées dans les intérêts de classe et les privilèges, qui caractérisent tous les aspects de la réponse de l’administration Trump à la pandémie. Bien qu’il ait été incapable d'empêcher la propagation du virus à la Maison Blanche, – le bâtiment le plus sévèrement gardé au monde, –le gouvernement exige que les travailleurs américains ordinaires retournent à des emplois où il y a peu ou pas de procédures efficaces pour prévenir la transmission de l’infection. Ceux qui travaillent à proximité du président se voient ordonnés de travailler à domicile, ce qui est un privilège dont ne bénéficient pas des dizaines de millions de travailleurs.
» Les déclarations et les actions de Trump sont celles d’une personnalité sociopathe. Mais ses politiques sont dictées par les intérêts de l’élite financière des entreprises. L’exigence de “réouverture de l'économie” – expression utilisée pour légitimer une politique criminelle, – ne signifie rien d'autre que la reprise de l’exploitation effrénée de la classe ouvrière, quel qu’en soit le coût en vies humaines.
» Le Washington Post, qui appartient au propriétaire d’Amazon, Jeff Bezos, reconnaît sans ambages que l'administration Trump “demande aux Américains d’accepter une politique aux effets dévastateurs : une accumulation quotidienne et constante de morts solitaires comme coût sinistre de la remise au travail de la nation”. »
• Il faut également signaler que le virus Covid19 fait des ravages dans les structures du système de sécurité nationale, notamment les armées. Le Pentagone a communiqué officiellement que 4 967 cas de Covid avaient été détectés au sein des forces armées, mais ce chiffre ne donne qu’une très vague idée de la situation réelle, qui est sans guère de doute largement plus grave, — et surtout insaisissable.
(Sur ces quasi-5 000 personnes se trouvent un millier de marins du USS Theodore Roosevelt dont on a suivi les aventures qu’on sait et qui reste à quai actuellement, sans doute jusqu’en septembre. Le problème soulevé par ce résultat après un test systématique de l’équipage est que 60% des marins trouvés positifs étaient des porteurs asymptomatiques, ce qui fait craindre une situation générale similaire au sein des forces armées.)
Le secrétaire à la défense Esper a lui-même admis que « les militaires n’ont toujours qu’une très vague idée du nombre de personnes infectées dans leurs rangs ». Deux officiers généraux du plus haut niveau ont déjà été impliqués : le chef d’état-major (Chief of Naval Operations) de l’US Navy, l'amiral Mike Gilday, bien que testé négatif, a décidé de se mettre en quarantaine volontaire après avoir été en contact avec une personne testée positive. Le chef d’état-major de la Garde Nationale, le général Joseph L. Lengyel, est dans l'incertitude puisqu’ayant subi deux tests contradictoires, l’un négatif et l’autre positif.
En raison de ses capacités globales, notamment nucléaires, et ses engagements extérieurs innombrables, la cohésion et l’équilibre des forces armées US sont un facteur essentiel de la puissance US. L’une et l’autre sont menacés par l’infection pandémique Covid19. Cela implique une organisation constante de surveillance de deux millions de personnes, avec des tests régulièrement renouvelés, donc une permanence de la pression sanitaire et par conséquent une lourdeur, une incertitude et un risque constant de désorganisation supplémentaires pour des forces qui sont déjà dans un état difficile et dans une situation d’extension extrême. Il s’agit donc d’un problème essentiel de plus pour la puissance générale des USA, dans la mesure où le déploiement de ces forces et l’entretien de leurs capacités font partie intégrante du dispositif d’organisation de cette puissance. Le moindre affaiblissement, l’incertitude en général, interfèrent directement dans la perception de la capacité de dissuasion et de pression de ces forces ; pour le Pentagone, Codiv19 est également une crise majeure...
La publication Stars & Stripes donne ces précisions : « Le Pentagone a divisé ses forces en quatre groupes selon leur priorité. Le ministre Esper a déclaré que l’on doit actuellement tester 56 000 personnes chaque semaine pour atteindre l’objectif assigné, et ce chiffre doit augmenter dans l’avenir.
» La première priorité du Pentagone est de tester ses troupes de niveau-1, qui gèrent les capacités nucléaires de la nation, y compris les équipages de sous-marins et de bombardiers capables de déployer des armes nucléaires et les forces responsables des silos de missiles balistiques basés aux États-Unis. Ces forces ont toutes été testées, a déclaré le général d'armée Mark Milley, le président de l'état-major interarmées.
» Le Pentagone travaille actuellement à l’organisation des tests des forces du deuxième niveau, celles qui sont actuellement déployés pour soutenir les opérations de combat ou autres en cours dans le monde entier... »
• Il faut placer ces divers points de vue et analyses dans le contexte le plus large possible, pour comprendre la place essentielle que tiennent les États-Unis dans l’actuelle crise. C’est bien aux USA, qui ignorèrent complètement la crise Covid19 pendant plusieurs semaines à l’origine, s’estimant comme dispensée de cet “inconvénient” « par miracle » (comme l’a dit Trump), que sont rassemblés et se développent aujourd’hui tous les composants de ce que le langage crisologique anglo-saxon désigne comme “a perfect storm”, c’est-à-dire un enchaînement et une intégration des crises “disponibles” pour former un ensemble majeur (un “ouragan parfait”), c’est-à-dire selon notre classement la Grande Crise d’Effondrement du Système (GCES).
C’est seulement aux USA que se présente à la fois une situation de crise chaotique du pouvoir central, de tension entre ce pouvoir et ceux des États, d’absences de structures publiques de soutien social, de système sanitaire désorganisé entre les différentes autorités, etc. Les antagonismes politiques portés au plus haut point de fusion, l’individualisme, la démagogie et la corruption des élites politiques, les inégalités constituent autant de pression parcellaires participant à rendre fécond le terrain crisique. Il s’agit d’une radicalisation extrême et d’une “politisation” systématique de tous les événements en cours aux USA ; c’est évidemment aux USA que la crise Covid19 est la plus “politisée”, dans tous les sens, aussi bien pour la campagne électorale, pour les relations avec la Chine, pour les attaques contre Trump, etc.
C’est seulement et uniquement aux USA qu’une crise sanitaire potentiellement majeure pourrait heurter de front avec une telle violence une situation financière faite d’un monstrueux simulacre, et une situation socio-économique extraordinairement fragile. C’est donc aux USA que “tout se passe”, même si ces crises concernent le monde entier et qui, lorsqu’elles seront arrivées à maturation et à complète intégration, ébranleront le monde entier déjà fortement secoué.
Comme nous le faisons depuis longtemps, nous prenons garde à envisager ces événements dans la possibilité d’un effondrement par effritement, désintégration, etc., des États-Unis. Dans ce cadre, la perspective ne concerne pas seulement la dimension structurelle des domaines envisagés (aspect sanitaire dans ses effets socio-économiques, crise socio-économique elle-même), mais aussi la dimension psychologique pour le reste du monde par rapport aux USA et à la fascination que cet avatar antihistorique exerce sur l’esprit de la modernité qui nous enferme dans son simulacre.
Ainsi écrivions-nous le 14 octobre 2009 : « L’un des fondements est psychologique, avec le phénomène de fascination – à nouveau ce mot – pour l’attraction exercée sur les esprits par le “modèle américaniste”, qui est en fait la représentation à la fois symbolique et onirique de la modernité. C’est cela qui est résumé sous l’expression populaire mais très substantivée de ‘American Dream’. Cette représentation donnée comme seule issue possible de notre civilisation (le facteur dit TINA, pour “There Is No Alternative”) infecte la plupart des élites en place ; elle représente un verrou d’une puissance inouïe, qui complète d’une façon tragique la “fascination de l’américanisme pour sa propre destinée catastrophique” pour former une situation totalement bloquée empêchant de chercher une autre voie tout en dégringolant vers la catastrophe. La fin de l’‘American Dream’, qui interviendrait avec un processus de parcellisation de l’Amérique, constituerait un facteur décisif pour débloquer notre perception, à la fois des conditions de la crise, de la gravité ontologique de la crise et de la nécessité de tenter de chercher une autre voie pour la civilisation – ou, plus radicalement, une autre civilisation. »
Mis en ligne le 11 mai 2020 à 14H45
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