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1556Une très importante enquête statistique, par le sérieux qui lui est prêté et l’importance qui lui est accordée, montre des sentiments du public américain hostiles en majorité à ce que les USA “s’occupent des affaires des autres pour se concentrer sur leurs propres affaires”. C’est la première fois depuis qu’existe cette enquête que cette majorité est dégagée, avec un basculement important de l’opinion publique. (La question portait très précisément sur la proposition que les USA «should mind its own business internationally and let other countries get along the best they can on their own».)
En 2002, 30% des personnes interrogées répondaient positivement, selon une position nettement minoritaire restée constante dans cette opinion, avec des proportions variables, depuis que l’enquête existe, depuis les années 1960. Cette année, le basculement est spectaculaire : 52% des personnes interrogées répondent positivement, 38% négativement. Un tel changement ne peut être ignoré de la direction politique... (On peut d’ailleurs dire qu’il a d’ores et déjà été pris en compte par cette direction politique, comme on l’a vu lors de l’épisode de la crise syrienne en août-septembre ; ce sont le sentiment du public, avec en plus son expression dans la position de la Chambre des Représentants, qui ont fait reculer l’administration dans son projet de frappe aérienne contre la Syrie.) Le Guardian du 3 décembre 2013 présente les résultats de cette enquête.
»A majority of Americans believe the US plays a less important and powerful role in the world than it did 10 years ago, according to a long-running study that found that most people now believe America should “mind its own business internationally”. It is the first time the survey of US foreign policy attitudes has recorded such a sentiment in almost four decades of polling. The findings, published on Tuesday by the Pew Research Center in association with the Council on Foreign Relations, suggest Americans want their leaders to adopt a less interventionist approach, although there is a growing desire for the development of stronger trade and business links abroad.
»The US is now widely seen as less respected abroad, bucking a trend in which Americans believed their reputation had recovered since Barack Obama was elected. Impressions of how the US is perceived under Obama are now, broadly, as negative as they were in the final days of the George W Bush administration. That may stem partly from a belief that America's power is in decline. According to the poll, Americans’ views about the geopolitical clout of their country has reached a historic low, with a majority (53%) for the first time believing that the US plays a less important role than it did 10 years ago. The proportion saying the US is less, rather than more, powerful has increased 12 points since 2009 and has more than doubled – from just 20% – since 2004. [...]
»In broad terms, the survey is likely to be interpreted as evidence that President Obama’s cautious approach to foreign policy is backed by a public wary of becoming too embroiled in problems abroad. However, most people surveyed disapprove of the president's handling of foreign policy, with particularly negative views reported of his handling of China, Afghanistan, Syria and Iran. Terrorism is the only foreign policy area on which more Americans approve of the job Obama is doing than disapprove. [...]
»One of the starkest findings in the survey was in response to a question about whether the US should “mind its own business internationally and let other countries get along the best they can on their own”. A majority of respondents – 52% – said they agreed with the statement, while just 38% disagreed. The authors of a report accompanying the survey described it as “the most lopsided balance in favor of the US ‘minding its own business’ in the nearly 50-year history of the measure”. The results show how much public opinion has changed since 2002, when just 30% of Americans believed the US should mind its own business.»
Nous n’avons gardé de cette vaste enquête que ce que nous jugeons être l’essentiel, le reste portant plutôt sur des thèmes conjoncturels et pouvant dégager des contradictions de circonstance sans beaucoup d’importance. L’essentiel, c’est le changement d’état d’esprit fondamental aux USA que nous signalons, du à une évolution psychologique à mesure. L’enquête, dans son évolution, montraient depuis plusieurs décennies, une constante de l’état d’esprit “internationaliste” existant aux USA depuis le tournant de la Deuxième Guerre mondiale qui propulsa cette puissance dans une position de domination sans contestation possible, laquelle fut pérennisée par la Guerre froide et venue jusqu’à nous après la chute du communisme. (Les seules variantes de cet “internationalisme” se trouvaient dans les formes adoptées, soit unilatéraliste, soit par “coopération”, sous forme d’alliances conduites par les USA, etc.)
Aussi, le sentiment qui est mis en évidence aujourd’hui d’une façon si marquée avec le renversement constaté rend compte d’un tournant de la psychologie US qui ramène à la psychologie des années 1930. Mais il s’agit des “années 1930” non pas selon l’interprétation européenne, et d’ailleurs entrée dans la narrative historique actuelle du Système et du bloc BAO, comme une période d’avant-guerre de montée de la tension en fonction du nazisme, et avant l’affrontement avec le nazisme (la vertu de cette narrative étant bien entendu la mobilisation contre l’ennemi nazi, avec le rôle symbolique qu’on sait dans les montages-Système de communication). Pendant “leurs” années 1930, les USA étaient bien loin de cette problématique. Selon la véritable vision US qui donne une toute interprétation (et qui a été occultée depuis), les années 1930 ne sont nullement celles de l’avant-guerre et du danger nazi mais celle de la plus grande crise interne qu’aient connues les USA dans leur histoire avec la Guerre de Sécession, et la plus grande crise interne du capitalisme américaniste, – la crise de la Grande Dépression, sans aucun commune mesure, sans véritable similitude d’essence, avec la crise économique parallèle que connut l’Europe. Pour les USA, la Grande Dépression fut une crise existentielle, ontologique, et le pays avec son président Roosevelt n’en vinrent à s’intéresser réellement au conflit en Europe une fois que la guerre ait été déclenchée, et d’ailleurs aussi bien pour trouver un moyen de sortir décisivement de la menace de la Grande Dépression en assurant l’empire d’une puissance rénovée sur le monde. Quant à l’intérêt de Roosevelt pour la politique extérieure, manifesté à partir d’un discours de 1937, il était dû à des circonstances intérieures précises (voir le 20 janvier 2003 pour une appréciation critique et documentée, notamment de cet épisode). Effectivement, pendant toute cette période, le protectionnisme défensif, celui du repli sur soi pour pouvoir mieux traiter les problèmes internes, était prédominant.
Le fameux article d’Henry Luce dans Life sur The American Century, présenté toujours selon la narrative dont il est question ici, comme une affirmation triomphale de cet empire à venir des USA et donc de la domination du XXème siècle par les USA, fut en réalité un cri de désespoir pour suggérer la seule porte de sortie possible pour se dégager de l’empire de la Grande Dépression sur l’Amérique et, surtout, sur le capitalisme américaniste. Le texte date du 17 février 1941 et il commence de cette façon, d’une façon qui pourrait tout aussi bien correspondre à ce mois de décembre 2013 ... «Nous autres Américains sommes malheureux. Nous sommes malheureux à propos de l'Amérique. Nous sommes nerveux, ou tristes, ou apathiques. Lorsque nous regardons le reste du monde, nous sommes embarrassés ; nous ne savons que faire. [...] Lorsque nous regardons vers l'avenir, – notre propre avenir et celui des autres nations –, nous sommes envahis d'appréhensions. Le futur ne semble rien nous réserver que des conflits, des révoltes, des guerres.» Le paradoxe, ou le verdict de l’inquiétude la plus extrême que pourrait parfaitement traduire ce texte, c’est que l’enquête statistique qui est notre sujet montre le mouvement inverse de celui qu’annonçait le texte de Luce...
En effet, notre sentiment est que ce basculement psychologique de l’opinion publique, accompagnant une modification de la politique générale des USA, suscitée ou appréhendée c’est selon par ce nouvel état d’esprit, suggère un retour à la psychologie de la Grande Dépression. Il s’agit alors d’un repli sur une psychologie d’“isolationnisme défensif”, extrayant autant que faire se peut les USA des affaires du monde et de leurs responsabilités, tout en poursuivant bien entendu les relations commerciales et économiques selon les intérêts des USA. Cela suppose une perception catastrophique de la situation interne des USA par la psychologie, comme s’il s’agissait d’une sorte de Grande Dépression rampante mais d’une puissance considérable, peut-être plus grande que le modèle initial, dissimulée par des narrative et des mesures artificielles indirectes qui conduisent à une situation ubuesque où Wall Street n’a jamais été aussi haut alors que l’état des USA dans tous les domaines sociaux, infrastructurels, de cohésion nationale, d’équilibre économique des richesse, des structure du pouvoir, sont plongés dans l’impuissance, la paralysie ou en cours d’effondrement et de dissolution.
Là-dessus, on appréciera la potentialité explosive de cette psychologie de super-Grande Dépression et de repli sur soi apparaissant au moment où les USA s’apprête à signer des accords (le TPP, ou TransPacific Partnership, qui d’ailleurs sera complété par le TransAtlantic Partnership [voir le 13 novembre 2013]) ou à prendre des décisions qui donnent la prééminence à des législations internationales sur les législations nationales, donc lient les USA à un extérieur en bonne partie incontrôlable. Le groupe Stratfor indiquait dans un article prospectif, dans ses éditions payantes courant novembre, qu’en raison de ces dispositions, «the United States would, by the end of next year, cease to exist in all but name only»... Peut-être existeront-ils encore, les USA, juste pour mettre en scène “La Grande Dépression – Acte Final”.
Mis en ligne le 4 décembre 2013 à 11H04
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