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48118 juillet 2004 — Depuis le rapport du Congrès condamnant la CIA dans la préparation de la guerre contre l’Irak, un concept déjà connu mais jusqu’ici discrètement ignoré en général, fait son apparition dans le débat public : le “groupthink”, ou “group-thinking”. En effet, ce rapport indique clairement que le premier reproche fait à la CIA est celui de “groupthink”.
« Republicans, who have the majority on the committee, have ensured that suggestions that the administration manipulated intelligence do not appear anywhere in the report's 500-plus pages. Rather the report chose to blame what it termed “group-think assumptions” Iraq had weapons that it did not. It said there were a number of factors for this. Senator Pat Roberts, the Republican chairman of the committee, told reporters there had been a “global intelligence failure”.
»
Nos lecteurs connaissent déjà le concept de “groupthink”, notamment avec le cas de John Hamre, témoignant en septembre 2003 sur les causes (injustifiées) de la guerre contre l’Irak. Hamre n’était pas trop partisan et ne tentait pas d’en faire un cas polémique contre tel ou tel groupe ; il est manifeste que les accusations contre la CIA, et seulement contre la CIA, si elles sont en partie fondées, ne sont là que pour faire de l’Agence un bouc-émissaire ; qu’en fait de “groupthink”, les groupes à l’intérieur de l’administration, au Pentagone, chez les néo-conservateurs, autour de GW et chez GW lui-même, dépassent la CIA de cent, de mille coudées, et que l’accusation contre la CIA est donc, stricto sensu et sans couvrir la CIA de vertus qu’elle n’a pas, une complète imposture historique.
On peut avancer que la CIA, dans l’affaire de l’Irak, était le “groupe” qui croyait le moins aux capacités d’armement et de menace de Saddam. Le bouc-émissaire fut, dans cette affaire, le plus modéré de tous. (Par exemple, le Guardian du 10 octobre 2002 : « President George Bush's attempt to maintain public support for military action against Iraq has taken a fresh blow from an unexpected quarter, with the publication of a letter from the CIA stating that while Saddam Hussein poses little threat to America now, a US invasion could push him into retaliating with chemical or biological weapons. »). La désignation de la CIA comme bouc-émissaire n’a pour fonction que de mieux dissimuler la paranoïa des autres et leurs responsabilités, et mieux préparer l’entreprise de remise au pas de la CIA qui s’annonce.
Quoi qu’il en soit, l’épisode nous invite à considérer avec intérêt l’émergence du concept groupthink. Nous rappelons, comme on le voit avec notre commentaire de l’intervention de John Hamre, que ce terme est pour nous le terme bureaucratique qui désigne le phénomène d’uniformisation conformiste de la pensée qui se rapproche le plus du virtualisme, — terme désignant à son tour la création d’un univers parallèle au nôtre avec la particularité fondamentale que les protagonistes et acteurs de cet univers croient sans restriction à sa réalité “à la place de la réalité”. C’est un étrange débat qui s’ouvre aux USA : cette super-puissance si satisfaite de sa puissance et de son contrôle du monde vit-elle dans l’univers réel ? Vaste sujet, vaste programme.
Signalons deux commentaires qui reprennent cette idée de groupthink en la développant pour leurs propres thèses, l’un de façon critiquable, l’autre certainement moins. Cela promet, puisque ainsi apparaît le paradoxe de voir le concept de groupthink, ou virtualisme, désormais en voie d’être manipulé par certains dans un but… virtualiste, évidemment.
• Le texte le plus caractéristique, témoignant du degré atteint aujourd’hui aux USA dans la construction idéologique d’irréalités absolues, on le trouve dans ce commentaire de William Safire, reproduisant selon une approche structurée la thèse générale des “néo-conservateurs”, qui laisse sans voix : ainsi, c’est bien la CIA qui a construit un casus belli illusoire pour nous lancer contre l’Irak, alors qu’il existe bel et bien un véritable casus belli mais que la CIA n’a pas su voir, parce qu’elle a une pensée type-groupthink… Le texte de Safire est du second, du troisième degré : accuser la CIA d’un montage virtualiste pour conclure qu’évidemment elle dissimule ainsi la vérité, laquelle est en réalité un deuxième montage virtualiste, celui des néo-conservateurs qui savent bien que les liens entre Saddam-Al Qaïda sont aussi gros qu’un câble d’amarrage d’un quatre-mats d’entraînement des équipages de la Flotte.
« Today, as Election Day nears, groupthink has swung back again, to this: Saddam not only had no terror weapons, but he had little or nothing to do with Al Qaeda - therefore, our liberation of Iraq was a waste of lives and money.
» Consider the official pressure to get with the latest groupthink: the 9/11 commission staff assured us recently that repeated contacts between Iraq and Al Qaeda (including the presence in Baghdad and Kurdistan by the reigning terrorist, Abu Musab al-Zarqawi), “did not appear to have resulted in a collaborative relationship.” This week, the Senate Intelligence Committee chimed in, saying these contacts “did not add up to an established formal relationship.” […]
» <Think about that. Do today's groupthinkers believe that Osama bin Laden would sit down with Saddam in front of the world's cameras to sign a mutual assistance pact, establishing a formal relationship? Terrorists and rogue states don't work that way. Mass killers collaborate informally, without a photo-op, even secretly. »
• Le deuxième texte, encore plus intéressant sans doute, est de Barbara Ehrenreich, sous le titre « All Together Now », paru dans le New York Times du 15 juillet 2004. Ehrenreich aborde le problème du groupthink en observant que cette trouvaille donnée pour expliquer les “erreurs” de la CIA, ressemble, après tout, à l’exercice courant de l’enfoncement des portes ouvertes, — Attendu, évidemment, que nous débouchons ainsi sur l’univers virtualiste. En fait, observe-t-elle, il s’agit ni plus ni moins que de la description de l’état psychologique de l’Amérique depuis le 11 septembre 2001. Cette approche, combinée aux précédentes, tend à montrer que, de plus en plus, s’affirme aux Etats-Unis une interrogation confuse, complexe, contradictoire mais puissante, non plus sur la puissance de la nation, ni sur son comportement moral, etc, mais bien sur les caractéristiques fondamentales d’une psychologie secouée au-delà de toute description par les événements survenus depuis le 11 septembre 2001.
« Their faces long with disapproval, the anchors announced that the reason for the war had finally been uncovered by the Senate Intelligence Committee, and it was “groupthink,” not to mention “collective groupthink.” It sounds so kinky and un-American, like something that might go on in a North Korean stadium or in one of those sex clubs that Jack Ryan, the former Illinois Senate candidate, is accused of dragging his wife to. But supposedly intelligent, morally upstanding people had been indulging in it right in Langley, Va.
» This is a surprise? Groupthink has become as American as apple pie and prisoner abuse; in fact, it's hard to find any thinking these days that doesn't qualify for the prefix “group.” Our standardized-test-driven schools reward the right answer, not the unsettling question. Our corporate culture prides itself on individualism, but it's the “team player” with the fixed smile who gets to be employee of the month. In our political culture, the most crushing rebuke is to call someone “out of step with the American people.” Zip your lips, is the universal message, and get with the program.
» This summer's remake of the “Stepford Wives” doesn't have anything coherent to say about gender politics: Men are the oppressors? Women are the oppressors? Or maybe just Glenn Close? But it does play to the fantasy, more widespread than I'd realized, that if you were to rip off the face of the person sitting in the next cubicle, you'd find nothing but circuit boards underneath.
» I trace the current outbreak of droidlike conformity to the immediate aftermath of 9/11, when groupthink became the official substitute for patriotism, and we began to run out of surfaces for affixing American flags. Bill Maher lost his job for pointing out that, whatever else they were, the 9/11 terrorists weren't cowards, prompting Ari Fleischer to warn (though he has since backed down) that Americans “need to watch what they say.” Never mind that Sun Tzu says, somewhere in his oeuvre, that while it's soothing to underestimate the enemy, it's often fatal, too. »
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