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Les quelques derniers jours de Tony Blair ont été rudes. A Bruxelles, ce fut “le row” avec Chirac, qui est peut-être un montage, peu importe, mais qui marquait aussi bien combien le PM britannique avait été roulé dans la farine dans l'affaire de la PAC. A New York, à l'ONU, c'est le bourbier où s'enfoncent les Américains et, avec eux, le même PM britannique qui a marié son destin à celui de GW. A côté de cela, les feux de la présence et de l'activisme français brillent de tous leur éclat. C'est d'ailleurs face aux mêmes Français que, sur l'Europe et sur l'Irak, le PM ne cesse de se briser les dents.
Cette situation est essentiellement la cause d'une chronique qui fait la couverture du dernier numéro (2 novembre) de The Spectator, hebdomadaire de tendance conservatrice dure, pro-américain (mais avec suffisamment de liberté) et anti-européen. Cette chronique est remarquable à plus d'un égard, et même par certains côtés proche d'être extraordinaire. Le titre annonce la couleur quant à ce caractère extraordinaire, quand on sait qu'il introduit un texte d'un député conservateur britannique (Member of European Parliament, ou MEP), avec cette question bien étonnante : « Why can’t the English be more like the French? »
Continuons avec notre étonnement, avec une étonnante leçon, — étonnante, à nouveau, parce qu'elle vient d'un député britannique, MEP, conservateur, et qu'elle s'adresse à un Premier ministre travailliste ; étonnante, surtout, parce que, à la suite d'un argument plein d'une mauvaise foi “à la britannique” (sans doute, comme les Britanniques parlent d'une “mauvaise foi à la française”), avec des faux lieux communs, une solide incompréhension de la politique extérieure française, avec les habituelles protestations d'allégeance en contrepartie (à l'Alliance, évidemment) qui préparent à la suite, on parvient à une conclusion étonnamment déstabilisatrice et bien inhabituelle dans les salons politiques britanniques : il faut faire comme les Français. (Cette “mauvaise foi”, ce traitement peu aimable des Français, doivent nous assurer de l'importance de l'article : Hannan ne plaide pas contre la politique américaine de Blair pour pouvoir mieux lui recommander une politique européenne qui serait plutôt tournée vers les Français, puisqu'on lui voit tous ces solides préjugés anti-français. Il s'agit d'un conservateurs “eurosceptiques”, — normal pour un MEP — et son jugement de la politique US de Blair porte sur les pièces du dossier et rien d'autres.)
“Faire comme les Français”, est-ce à dire : avoir une politique indépendante ? Effectivement puisqu'on en arrive à ce constat étonnant : « In Washington, as in Brussels, we have come dangerously close to contracting out our foreign policy to someone else. » (Ce qui nous importe n'est pas Bruxelles, l'usual suspect quand un conservateur britannique doit faire une sortie pour dénoncer une perte de souveraineté nationale, ou une menace de cela ; ce qui nous importe, c'est Washington, car voici Mr. Hannan qui nous dit qu'avec leur politique US, les Britanniques sont « dangerously close to contracting out our foreign policy to someone else ». Cela, c'est complètement nouveau.)
Hannan fait le constat que la mésentente Chirac-Blair est inattendue, parce que les deux hommes étaient faits pour s'entendre et s'entendaient bien. Hannan considére que cette mésentente porte sur un sujet très important pour avoir séparé deux hommes si faits pour s'entendre, qu'elle porte sur l'aspect fondamental des relations anglo-françaises et surtout ce qu'il y a d'opposé à elles dans ce fondamental, et qu'elle a éclaté à cause de cela :
« In the background, though, is the perennial question of the United Kingdom’s place in Europe. De Gaulle vetoed two British applications to the EEC because he believed that we would never be able to turn our faces away from what he liked to call ‘le grand large’: the open main. The issue has never really gone away; it keeps being reborn in new shapes. Its current incarnation is France’s opposition to ‘unilateral’ Anglo-American action against Saddam Hussein. »
• A partir de ce constat, Hannan analyse les deux approches politiques des deux hommes, Blair et Chirac. De Blair, de la “méthode Blair”, et notamment à propos de la question irakienne qu'il considère comme le coeur de la crise mais aussi concernant l'UE, il fait une analyse très critique mais qui reste extrêmement anglo-britannique.
(Par exemple, mais l'exemple est essentiel, on trouvera assez peu de Français pour considérer le sommet de Saint-Malo comme une concession majeure faite par les Britanniques à la France. Le tournant britannique dévoilé à ce sommet a été vu, soit comme une manoeuvre britannique pour séduire l'Europe et mieux la ramener vers le giron transatlantique (US), soit comme une réalisation des Britanniques que leur intérêt, devant une Amérique de plus en plus unilatéraliste, — car elle l'était déjà du temps de Clinton — est de se rapprocher de l'Europe, et ils ne peuvent le faire à leur avantage que sur les questions de défense, et avec les Français.)
Voici la critique de Hannan de l'approche politique de Blair, en même temps que sa définition de cette approche politique :
« And here, for all their superficial similarities, Blair’s approach could hardly be more different from that of his French homologue. The Prime Minister, at heart, believes in influence. Throughout the Iraq crisis, and at considerable domestic cost, he has gone along with President Bush, calculating that unquestioning support in public will win him a hearing in private.
» This, mutatis mutandis, is also his policy towards the EU. Since he came to office, he has done everything he can to placate his fellow heads of government, signing the Social Chapter, going along enthusiastically with the Amsterdam and Nice treaties, even sounding positive about the federal constitution unveiled earlier this week by Valéry Giscard d’Estaing. He has been especially solicitous of French goodwill. Cast your mind back to the early days of his leadership: the Canary Wharf summit, his address (in French) to the National Assembly, the St Malo agreement setting up joint Anglo-French military forces.
» And what does he have to show for it? Five years on, Chirac treats him with the same disregard that all British prime ministers encounter when the EU sets about truly important business. When it comes to enlargement, or the budget, or — above all — farm subsidies, the deal is largely done before the Brits turn up.
» The fact is that arguing from within, the strategy so cherished by British diplomats, is about as clear a failure as anything in international relations can be. Diplomatic trade-offs are made on the basis of present interest, not past gratitude. Chirac was no doubt genuinely appreciative of Blair’s willingness to countenance European armed forces outside Nato; but it would never cross his mind that this should lead him to make concessions over the CAP. George W. Bush is visibly touched by Britain’s support over Iraq. But does anyone imagine that he will offer Blair a veto over a unilateral US attack? »
• Maintenant, une appréciation de la politique française et chiraquienne, par Hannan toujours. Elle est complètement, totalement nimbée dans une perception machiavélique, voire cynique, dans tous les cas qui fait crédit (?) à la France d'un réalisme de fer (là aussi, on jugera sans aucun doute que les arguments peuvent très largement être discutés, voire refusés). C'est une appréciation étonnante, que, d'ailleurs, certains (Français) trouveraient flatteuse et qui correspond presque exactement à ce que les Français pensent à propos de la politique britannique en général, soit pour en dénoncer les intentions cachées, soit pour l'admirer secrètement, — et, souvent, les deux en même temps. (Mais peut-être la politique de Blair a-t-elle perdu certaines de ces vertus britanniques traditionnelles, et c'est là qu'il y aurait un problème.)
« Now compare this with Chirac’s approach. Under his leadership, France, perhaps more than any other state, is dictating the pace and nature of the military build-up. The Quai d’Orsay takes the view that there is no point in having a seat on the UN Security Council if you do not use it. Even now, it is by no means impossible that France will eventually agree to join a military coalition in the Gulf; but not before it has squeezed every ounce of advantage from the situation.
» Many commentators explain France’s opposition to US policy as mere reflexive anti-Americanism. And it is true that there is something splendidly outrageous about the French foreign minister, Dominique de Villepin, demanding ‘collective, rather than unilateral’ action. This, after all, from the country that sank the Rainbow Warrior in a friendly port, that pushed ahead with nuclear tests in the South Pacific despite global outrage, and that, more recently, invaded Côte d’Ivoire without pausing to ask anyone’s permission.
» Yet we should be wary of oversimplification. Remember that President Mitterrand ended up supplying a hefty contingent to the coalition that fought the Gulf war. France is not quite the arrogant loner that British and American conservatives like to think. She often comes round in the end — but only on her own terms.
» To take two recent examples, the French have finally agreed to close the refugee camp at Sangatte and to accept the import of British beef. On both issues, they have belatedly complied with international law — or, depending on your point of view, caved in to British pressure. But not without first exploiting the situation to the full. The closure of Sangatte, symbolically important though it is, does nothing to address the main British concern: that France will not readmit illicit migrants who have passed through her territory before entering the United Kingdom. As for beef, the six-year-long ban, combined with new rules on labelling, will make it almost impossible for British exporters to penetrate what used to be their single largest market. In both cases, France acts as though she expects to be rewarded for ceasing to do something that she ought never to have done in the first place. »
• Enfin vient le plus important, la conclusion que Hannan tire de tout cela, des deux politiques comparées, Chirac et Blair, sur la question essentielle de la crise irakienne. Cette conclusion retrouve le titre, et elle est dite simplement comme ceci : Blair a perdu, il aurait du agir comme les Français. La messe est dite. C'est alors que les complications vont commencer...
« My guess is that something similar will happen this time. Once again, the French will hold off for as long as they can, making a virtue of obstreperousness. They will present themselves to the Muslim world as the most reasonable and friendly of all the Western powers, while simultaneously waiting for Bush to make them an offer they can’t refuse.
» And, in so doing, they will greatly advance their national interest. Certainly the French press is in no doubt. As far as it is concerned, Chirac has cast off the constraints of cohabitation and taken France back to its rightful place at the top table. For all his faults, he can play the world statesman convincingly, forcing France into everyone else’s calculations.
» Blair, by contrast, showed his cards at the outset. With the approval, no doubt, of his mandarins, he decided that the key thing was his relationship with Bush. This is, in many ways, admirable. But, for all the spin, it is difficult to see how it has made him a bigger player than Chirac.
» No buyer would go into a transaction having first informed the salesman that, whatever the terms of their negotiations, he was determined to deal. The same precept should hold true in diplomacy. In Washington, as in Brussels, we have come dangerously close to contracting out our foreign policy to someone else.
» Don’t get me wrong: I am a great believer in the Atlantic alliance. On almost every vital question of the 20th century, our interests have coincided with those of the United States. I see no reason why this should cease to be the case. All I am saying is that we should be prepared, where necessary, to assert specifically British interests — to behave, in short, more like the French.
» France is often a mercurial and infuriating ally. But she is so precisely because she approaches international co-operation on the basis of national interest. That is one of the reasons that France has done so well out of the EU, while Britain has done so badly. »
Cette conclusion est remarquable, de la part d'un MEP conservateur britannique. Elle représente une logique complètement nouvelle, logique consistant à exposer qu'à trop suivre la politique extérieure américaine, le Royaume-Uni perd de son autonomie et le contrôle de sa politique extérieure. Bien sûr, c'est complètement vrai depuis longtemps (depuis 1941), mais il s'agit d'un tabou jusqu'ici complètement intouchable. Une telle évidence ne pouvait seulement être envisagée comme argument dans le parti conservateur de Maggy Thatcher, à cause de la considération complètement spécifique qui était faite aux relations avec les USA.
Malgré toutes ses précautions de langage, Hannan suggère implicitement que ces relations sont du même domaine que celui des relations internationales normales ; à choisir cette référence, la vérité, du type “le roi est nu”, finira pas devenir un poids insupportable pour la diplomatie britannique : la politique américaine du Royaume-Uni constitue un abandon intolérable de souveraineté, pour une politique extérieure qui est des intérêts des USA et de moins en moins des intérêts du Royaume-Uni. Cette sorte d'évolution intellectuelle est due bien entendu aux derniers seize mois de politique américaine exacerbée de Tony Blair, qui pourraient apparaître comme une démonstration par l'absurde du caractère inacceptable pour les intérêts britanniques de cette politique.
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