Une résolution qui en dit si long...

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Une résolution qui en dit si long...

En termes de tactique, – signifiant évidemment que la situation stratégique n’est en rien bouclée, – la résolution de l’ONU votée vendredi pulvérise tout l’argumentaire de la politique du bloc BAO depuis deux ans à l’encontre du gouvernement de la Syrie. C’est une avancée tactique significative, dans une crise qui se poursuit, qui est loin d’être finie, qui peut même s’aggraver encore, – mais qui s’aggraverait, dans ce cas, dans des conditions de communication notablement plus défavorables pour le bloc BAO, et cette fois avec le risque majeur d’une confrontation au plus haut niveau (voir le 27 septembre 2013). Ce risque-là, il faut bien le préciser, est d’abord un risque pour le bloc BAO.

Le 27 septembre 2013 fut donc un de ces jours qu’on qualifie d’“historique”, avec en plus la conversation téléphonique d’Obama à Rouhani (dans ce sens, Obama ayant pris l’initiative d’appeler Rouhani), dans le meilleur climat du monde, après la “performance de communication” du nouveau président iranien à l’ONU, ponctuée par sa rencontre avec Kerry et la Haute Représentante de l’UE Ashton que l’on entendit rire presque aux éclats à plus d’une occasion. Rouhani se sert parfaitement de son allure bon enfant et conciliante. Pour l’instant, néanmoins, c’est l’affaire syrienne qui est la plus importante parce qu’elle implique des actes (le résolution de l’ONU), tandis que la conversation BHO-Rouhani et le reste ne constituent que des mises en place de préparation, une mise en forme enjouée du climat de la communication entre l’Iran et le Bloc BAO. La Russie, notamment avec le regard perçant de Lavrov qui la représentait à l’ONU, observe tout cela non sans une certaine satisfaction, – mais, sans doute, sans tenir rien pour acquis.

Nous passons rapidement sur les effusions entre l’Iran et le bloc BAO sous ses divers aspects (voir l’“offensive de charme” de Rouhani, sur Al Monitor le 27 septembre 2013), y compris la conversation Obama-Rouhani qui a contribué décisivement au climat bon enfant et aux intentions bienveillantes, – rien de plus mais rien de moins, – ponctuée des précisions qui fournissent le corpus anecdotique indispensable pour toute bonne copie à publier. (Voir encore Al Monitor, dans sa rubrique Back Channel, le 27 septembre 2013 : «Obama signed off on the call with a Persian goodbye, after Rouhani wished him farewell in English, the White House said. Rouhani’s Twitter account, in a tweet that was later deleted, said Rouhani told Obama in English, ‘Have a Nice Day!’ and Obama responded with, ‘Thank you. Khodahafez.’»)

Pour ce qui concerne le plat de résistance, qui est la résolution de l’ONU sur la Syrie, McClatchy.News donne une bonne interprétation de l’événement, le 27 septembre 2013. Il faut tout de même noter que cette interprétation est commentée par des experts qui sont manifestement là pour tenter de mettre en évidence tout ce qu’il y a de pas tout à fait catastrophique dans cette résolution, pour la politique américaniste depuis deux ans, jusqu’à la plus récente séquence.

«The U.N. Security Council late Friday approved a U.S.-Russian resolution that mandates the expedited removal of Syrian President Bashar Assad’s chemical weapons arsenal but stops short of threatening military action for noncompliance... [..] In other words, if Assad is accused of another chemical attack, Russia could still use its veto power to drag out the Security Council’s determination of noncompliance, and then could block the harshest measures under the U.N. Charter’s Chapter 7. Of course, President Barack Obama already has argued that he doesn’t need Security Council approval to carry out military strikes against regime targets, though that threat of unilateral military force is much dimmer now that the U.S. has signed on to the international route.

»“The worst-case scenario from the administration’s perspective would be if Assad does violate the resolution in some way and then the Russians stonewall at the Security Council. Then the administration is sort of back to square one in terms of what it does,” said Peter Spiro, who teaches international law at Temple University in Philadelphia and who testified before the Senate Foreign Relations Committee on the NATO intervention in Libya. Still, that doesn’t mean the resolution is insignificant, Spiro and other international law experts said. It would be hard for Russia to argue against findings of noncompliance as wrong or politically motivated because the resolution is written so that any violations would be confirmed first by experts from the Organization for the Prohibition of Chemical Weapons, the world body that monitors the chemical weapons ban.

»Gregory Fox, who teaches international law at Wayne State University in Michigan and has written extensively about the Security Council’s role in promoting democracy, said that the lack of an automatic trigger for military action isn’t necessarily a failing in the resolution because such automatic triggers are extremely rare. The only case he could think of was Resolution 678 against Iraq in 1990, after Saddam Hussein’s forces invaded Kuwait. Fox said the resolution’s use of “must” and “shall” to outline what Syria is to do is consistent with a Chapter 7 resolution. He noted that sanctions as a punitive tool can work, arguing that Iran wouldn’t have made the landmark overtures seen this week at the United Nations without the toll sanctions have taken on the Islamic Republic’s economy...»

Le rapport McClatchy s’attache également aux réactions de l’opposition syrienne. Il y est essentiellement question de l’opposition “convenable”, soutenue par le bloc BAO, c’est-à-dire l’opposition type-peau de chagrin puisqu’elle laisse dans une ombre indécise et menaçante l’essentiel de la rébellion sur le terrain en termes de capacités opérationnelles, savoir les groupes djihadistes et islamistes. D’une façon assez intéressante, le chef de cette “opposition convenable,”, Ahmed Jarba, a déclaré que l’un de ses buts s’il allait à la conférence Genève-II, – ce qu’il semble vouloir faire conformément aux consignes, – serait l’expulsion de Syrie de tous les combattants étrangers. Cela signifie bien entendu les Iraniens et les combattants du Hezbollah qui s’y trouvent, mais aussi les djihadistes/islamistes de la rébellion, qui sont tous des non-Syriens. (Et McClatchy de conclure justement : «Any close observer of the conflict understands that the Islamist extremist fighters comprise the rebels’ most effective fighting force, and it is difficult to see who would expel them.») La même logique prévaut dans le chef des Russes, qui disent que l’élimination des armes chimiques signifie la destruction des stocks d’Assad mais aussi des armements chimiques que possède la rébellion (voir Russia Today le 25 septembre 2013) ; là aussi, un territoire miné propre à bien des querelles.

McClatchy : «...To the Syrian opposition’s chagrin, the deal also would appear to protect against the risk of an abrupt regime change, which the administration wants to avoid given the lack of a viable, moderate opposition authority waiting in the wings. That gives the Assad government every incentive to comply fully with the resolution, gambling that the time and expenditure associated with the undertaking would dull the West’s political will to remove him from office. “Assad still has an overwhelming tactical advantage,” Fox said. “He’s giving up his chemical weapons, but is not giving up his ability to fight this civil war, brutally.”

»Syrian opposition leaders have criticized the U.S.-Russian deal, complaining of feeling sold out by the Obama administration’s narrowing of its strategic interests to the chemical weapons issue. More than 100,000 people have died and millions have been displaced, the opposition notes, and yet the U.S. entered into a deal with Russia that all but guarantees Assad job security for at least the next several months.

»Ahmed Jarba, head of the Syrian Opposition Coalition, the opposition faction recognized by the U.S. and Britain as the legitimate representative of the Syrian people, adopted a slightly softer stance toward the resolution in remarks to reporters Friday in New York. He said the opposition would’ve preferred to have seen tougher language on consequences but that, overall, the group was “happy” with the resolution because it removes at least one tool from Assad’s vast arsenal. However, Jarba added, there must be a parallel track to support the opposition’s fighting side, which was dealt a huge blow this week when five brigades that had been part of the U.S.-backed Supreme Military Command joined an Islamist bloc spearheaded by the al Qaida-allied Nusra Front...»

Cette résolution de l’ONU est particulièrement intéressante parce qu’elle permet de rassembler tous les grands enseignements de la séquence paroxystique de la crise syrienne que nous venons de vivre, de remettre certaines affirmations dans une lumière bien contradictoire, d’envisager des perspectives extrêmement contrastées. Elle fixe également ce qui est moins le triomphe de la diplomatie russe en tant que telle (représentante des intérêts russes) que le triomphe d’une diplomatie essentiellement principielle que représente la Russie, aux dépens d’une anti-diplomatie spasmodique appuyée sur des “valeurs” déterminées pour permettre de développer arbitrairement cette anti-diplomatie.

• Puisque cette résolution marque un triomphe de la diplomatie principielle, donc de la diplomatie russe qui en est l’expression la plus proche aujourd’hui, elle est certainement, de façon encore plus affirmée, une débâcle de la “politique des valeurs”, du bloc BAO. Les USA (et les supplétifs avec eux) ont cédé sur l’essentiel : pas de menace militaire (chapitre VII), la polémique autour de la responsabilité de l’attaque du 21 août laissée de côté. Tout le montage concernant une expédition punitive conforme à la narrative du présumé coupable mis au ban de l’humanité après avoir été jugé dans ce sens avant même l’examen du délit, ce montage s’effondre d’un seul mouvement. Cela ne signifie pas qu’on n’y reviendra pas, cela signifie qu’il n’a pour l’instant plus aucune pertinence.

• La principale conséquence de cette situation est une sorte de “re-légétimation” d’Assad, puisqu’il est nécessairement impliqué comme tel (président de la Syrie) dans une résolution qui porte sur l’armement chimique qu’il contrôle, puisque son existence légitime est actée pour toutes les opérations concernant cet armement chimique, puisque sa présence légitime (de ses représentants) à Genève-II qui doit suivre est également actée. Pour ces pays qui, il y a dix-huit mois ne pouvaient concevoir n’importe quelle démarche officielle sur la Syrie qu’après la liquidation (au moins politique, sinon pire) d’Assad, il n’y a pas pire situation. Pour tous les pays du bloc BAO, l’existence du chimique n’a jamais été officiellement un sujet de préoccupation, sinon pour pouvoir exiger le départ d’Assad dès qu’un usage de chimique permettait de monter une dénonciation contre lui. La situation est complètement renversée : le chimique est l’objet officiel sinon exclusif de la préoccupation, et l’existence d’Assad comme président, passée au second plan, est nécessairement entérinée par toute l’opération.

• Le mythe du thème “la menace de la force paye”, employé par les divers commentateurs du bloc BAO pour couvrir de la vertu du réalisme la débâcle à l’ONU, ne résiste pas une seconde à l’analyse. Assad, le 10 septembre, n’a pas “cédé à la force” en acceptant le plan des Russes. La “menace de la force” n’existait plus essentiellement contre lui depuis le 31 août, jour où Obama a décidé de consulter le Congrès sur l’usage de cette force. Depuis ce jour, la “menace de la force” s’exerçait directement contre le président des USA, devant la perspective d’un vote négatif inévitable du Congrès : soit Obama obtempérait à ce vote négatif et il n’était plus question de “force”, mais de la faiblesse, voire de la marginalisation d’un exécutif ridiculisé ; soit il passait outre et se trouvait devant une autre menace, bien plus sérieuse, celle d’une procédure de destitution ouvrant une très grave crise institutionnelle en pleine crise extérieure aigu. Si quelqu’un a été sauvé en l’occurrence par le plan russe connecté à “la menace de la force”, c’est Obama, pas Assad, et les Russes le savent bien : outre l’intérêt du plan lui-même, ils sont intervenus pour sauver Obama, pas Assad, parce qu’ils ont besoin d’un gouvernement stable aux USA pour tenter de stabiliser la situation en Syrie. (Voir le 10 septembre 2013 : «Quant à la Russie, elle a manœuvré classiquement, selon sa politique ferme et principielle qui est de rechercher la stabilisation, si nécessaire en venant à l’aide d’un président US en difficulté, – ce qui va aussi dans le sens d’un but de stabilisation. (C’est une habitude héritée du temps de l’URSS : le meilleur et le plus fidèle soutien de Nixon pendant la crise du Watergate fut certainement le Premier Secrétaire du PC de l’URSS Brejnev...)»)

• D’une certaine façon, la crise syrienne est donc “internationalisée”, mais pas du tout comme le voulaient les pays du bloc BAO. Cette internationalisation se fait dans le cadre de l’ONU dans le sens inverse voulu par les pays du bloc BAO : position centrale de la Russie, renforcement de la légitimité d’Assad et, autre élément que nous relierions à cette même séquence paroxystique, “Grand Schisme” à l’intérieur du camp rebelle précipité par les événements depuis le plan russe. Une autre conséquence adverse pour le camp BAO, c’est l’isolement d’Israël, qui s’est imprudemment impliqué dans la crise syrienne contre Assad depuis plusieurs mois (alors qu’une bonne partie de l’establishment de sécurité nationale israélien était contre cette implication), et qui paye cet engagement évidemment dans le sens d’un maximalisme interventionniste par l’isolement que nous signalons puisque la solution de force n’a pas eu lieu et qu’Assad est en meilleure position aujourd’hui. Triste cerise pour le gâteau que Netanyahou a essuyé en pleine face, le réchauffement des relations de l’Iran avec le bloc BAO. La position intérieure de Netanyahou risque de devenir très rapidement très précaire, devant l’échec généralisé de sa politique.

Tous ces constats concernent des situations qui, selon nous, sont avérées. Nous le répétons, nous sommes dans le domaine tactique, et la situation stratégique n’est pas tranchée, et loin de l’être. Nous ne pensons aucunement que ces diverses circonstances stabilisent la situation d’une façon décisive, parce que la crise syrienne est une crise archétypique par sa fragilité de situation, avec notamment la tendance générale du bloc BAO à l’extrémisme, y compris et surtout lorsque sa politique subit des revers. La crise syrienne est dans un risque constant de basculement, même lorsqu’un tel bouleversement tactique a lieu. Le seul enseignement est de constater que, dans de telles conditions si fortement élargies et dramatisées, tout basculement est nécessairement plus risqué et porteur de potentialités plus graves. Ainsi, l’hypothèse maximale débattue le 27 septembre 2013 n’est absolument pas obsolète, au contraire elle est installée comme un risque structurel très sérieux. La seule remarque optimiste qu’on peut faire est que cette hypothèse, justement, pourrait faire réfléchir un peu plus, du côté du bloc BAO, que l’on n'a fait jusqu’ici ; optimisme pas loin du vœu pieux, mais enfin...


Mis en ligne le 28 septembre 2013 à 11H46