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323Les hypothèses abondent. Les conservateurs remontent dans les sondages et raniment l’hypothèse d’une majorité suffisante pour faire seuls un gouvernemebnt. La tactique de Clegg, la nouvelle star de la politique britannique, sera-t-elle, dans le cas malgré tout d’un “hung Parliament”, de refuser toute coalition et de laisser se constituer un gouvernement minoritaire (conservateur) pour mieux attendre son heure, – c’est-à-dire une coalition avec les travaillistes débarrassés de Brown? Les élections britanniques, qui ont lieu jeudi et vendredi prochains, sont “les élections du siècle”, – sans qu’on sache exactement de quel siècle l’on parle.
Dans tous les cas, le Guardian et l’Observer ont choisi leur camp. Ils soutiennent les Libéraux-démocrates (LibDems) de Clegg, abandonnant leur soutien traditionnel pour les travaillistes. Le Royaume-Uni est vraiment devant une révolution. Toby Helm et Anushka Asthana l’écrivent clairement, ce 2 mai 2010 dans The Observer: «Volatile general election campaign will blow the old order apart»
«A year ago, in his splendid room at the Foreign Office, David Miliband told a small group of friends that tumultuous and hugely unpredictable forces were about to be unleashed on British politics. “This is going to be truly massive,” he said as he mulled the unfolding scandal over MPs' expenses.
»Miliband's apocalyptic tone had echoes of that adopted eight years earlier by Jack Straw in the same office. As Straw watched television pictures of two planes smashing into the World Trade Centre on 11 September 2001, he had turned to Geoff Hoon, then the defence secretary, and said: “This is going to change the world.”
»Miliband was not contemplating a catastrophe on the same scale. But in domestic political terms he sensed implications that could cause havoc with the established way of doing things.»
Dans le sous-titre accompagnant leur article, les deux auteurs ont écrit: «Throughout the most unpredictable political struggle in decades, the voters have made it clear that they have a thirst for change. Now the two-party power struggle is under threat…»
@PAYANT …Encore n’est-ce que le premier acte de la pièce. Quels que soient les résultats à la fin de cette semaine, les dirigeants politiques britanniques se trouveront devant une tâche massive, d’une extraordinaire difficulté. On peut, en effet, résumer en trois points le programme qui les attend:
• Retrouver la confiance d’une vieille nation secouée jusque dans ses profondeurs par les changements intervenus ces vingt dernières années, qui ressemblent aux changements que nous subissons tous et qui se résument finalement par ce verdict qu’on retrouve partout: une “crise d’identité”, dans ce cas “nationale”, et d’une si vieille nation, si fière d’elle-même et de sa spécificité unique. Que ce soit la situation économique avec le chômage, l’immigration, l’insécurité, le Royaume-Uni affronte sa “crise d’identité” qui est la rançon de la crise terminale d’une civilisation épuisée. De ce point de vue comme de tant d’autres, ce pays est important à suivre car il fut l’un des moteurs de la situation qui a conduit à cette crise de civilisation. C’est au Royaume-Uni que s’entrechoquent le plus violemment tous les changements terrifiants qui caractérisent cette crise, avec le goût prononcé pour le conservatisme des caractères traditionnels de ce pays. La psychologie britannique en est bouleversée et la campagne électorale, que personne n’a vu venir dans son caractère révolutionnaire, en est l’illustration.
• Ponctuellement, le gouvernement du Royaume-Uni, avec ses finances dans un état également indescriptible, vaut bien la Grèce (ou les Etats-Unis) pour ce qui est de sa situation financière et économique. Le gouvernement qui devra s’atteler à la tâche d’affronter le monstre sera comme une cordée dans un territoire glacée et inconnue, à la merci constante d’une avalanche qui peut tout emporter. C’est dire si la situation ne sera pas fixée avec les résultats des 6 et 7 avril. Les élections auront tout juste été “la fin du commencement”, et les affaires sérieuses qui peuvent prendre la dimension d’une tragédie nationale, rappelant l’Angleterre de juillet-août 1940, commenceront. Effectivement, la situation politique ne sera en rien fixée et tout sera possible, y compris que le parlement né des élections des 6-7 mai n’ait qu’une vie extrêmement courte. Le Royaume-Uni, le pays stable par excellence, le pays de la certitude de soi jusqu’à l’arrogance, le pays de la cohésion sociale appuyée sur la fierté nationale, est aujourd’hui à la pointe de la révolution qui, sous la pression de la crise de civilisation, secoue le monde que nous connaissons et qui est en cours d’effondrement.
• Il y a enfin les fameuses “special relationships”. Mis à part les travaillistes, bien occupés à tenter de contenir la marée qui les emporte et d’ailleurs soucieux de mesure puisqu’ils tiennent toujours les rênes du pouvoir, les deux autres chefs de parti, les probables vainqueurs des élections, Cameron et Clegg, ont bien fait savoir que ces relations privilégiées avec les USA sont à leur terme dans la forme inique qu’elles ont eu pendant un demi-siècle. Là aussi, une révolution pourrait affecter la politique extérieure du Royaume-Uni, donc l’Europe, que cela nous plaise ou non. (D’ailleurs, en face, le partenaire n’est pas loin d’être en complet accord avec cette appréciation: l’indifférence d’Obama pour l’Europe, et pour le Royaume-Uni en particulier, constitue un facteur aujourd’hui admis par tous, et mesure effectivement la révolution que pourraient subir ces relations.) La catastrophe de Louisiane, qui conduit tous les Américains, Obama en premier, à accuser BP (pour rappel: British Petroleum), parce que BP est le premier responsable et parce qu’il est toujours agréable d’avoir un bouc émissaire coupable d’un système plus général dont on porte soi-même la responsabilité, cette catastrophe de Louisiane jouera son rôle dans la piètre appréciation américaniste de l’intérêt de conserver des liens privilégiés avec le Royaume-Uni. Le constat n’est peut-être pas très rationnel mais il s’inscrit bien dans la forme de révision de ces relations qui est en train de s’opérer d’elle-même, comme par nature.
Une époque s’achève au Royaume-Uni, sans doute la plus dévastatrice qu’ait connu ce pays hors des événements brutaux imposés par des circonstances politiques de guerre ou de vraie révolution. Cette époque, c’est l’époque de Tony Blair, l’imposteur, l’homme de son temps, le plus gonflé de conceptions faussaires, finalement, qu’ait connu ce pays. L’époque du faussaire Tony Blair est morte. S’ouvre une époque absolument inconnue, une terra incognita. Le Royaume-Uni conserve donc sans le moindre doute sa position de leader et d’inspirateur, cella à laquelle il prétend. Dans la catastrophe qui secoue le monde, il est certainement l’un des pays les plus en avance, celui dont la catastrophe nationale est la plus exemplaire du reste. La crise britannique est sans aucun doute un des reflets les plus fidèles, les plus remarquables de la grande crise qui secoue la civilisation. En un sens, ce n’est que justice. Britannia rules the waves, certes, mais ce sont celles de la tempête qui risque de l’emporter.
Mis en ligne le 3 mai 2010 à 05H47