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1045Il est donc question de Naomi Klein, l’économiste et militante canadienne, dont la célébrité mondiale a été confirmée et établie avec son ouvrage Stratégie du choc. Dans Ouverture libre, ce 22 juin 2010, elle fait une très longue description de la catastrophe du Golfe du Mexique, après une longue visite sur place. Ses appréciations méritent sans aucun doute un commentaire circonstancié.
@PAYANT Naomi Klein a une destinée intéressante. Elevée dans une famille US émigrée au Canada au temps du Vietnam, une famille de culture marxiste et très activiste, elle a elle-même suivi ce chemin. Elle est économiste, et économiste critique radicale du capitalisme, elle-même de culture marxiste ; elle a également milité dans le féminisme. Tout cela constitue une éducation fort différente de celle qu’on trouve chez nombre d’écologistes, notamment avec sa solide culture universitaire d’économiste à la London School of Economics.
C’est de ce point de vue que nous donnons une appréciation de son texte qui traite en gros, d'une façon implicite, deux sujets. Le premier est l’action des puissances économiques et industrielles sur l’environnement, appuyée sur ce qui est présenté par ces puissances comme la connaissance et le contrôle de leurs propres actions. L’intérêt de sa présentation critiqe est bien qu’elle est faite dans ce cas moins du point de vue classique du profit et de la rapacité de ce système, très souvent présentée par les critiques de cette forme de développement (dont chez Klein elle-même), que du point de vue de ce système plongé dans sa certitude fondamentale de la cohérence et du contrôle de son action, appuyée sur une vision scientifique, ou scientiste, du monde selon laquelle le système du technologisme (dans ce cas, l’expression a bien entendu sa place) dispose de toutes les connaissances et les capacités de contrôle de son entreprise de maîtrise du monde. (Klein rapporte à propos du CEO de BP : «A year ago, Hayward told a group of graduate students at Stanford University that he has a plaque on his desk that reads: “If you knew you could not fail, what would you try?” Far from being a benign inspirational slogan, this was actually an accurate description of how BP and its competitors behaved in the real world.»)
C’est à partir de cette appréciation des certitudes scientistes du système que Naomi Klein décrit ensuite, à partir de la catastrophe et de ses effets, la situation du Golfe, la situation des terres bordant le Golfe, des habitants et de leur mode de vie, des écosystèmes, de la flore et de la faune, etc. Puis elle en tire des appréciations générales qui dépassent largement la critique écologique classique pour atteindre à une appréciation tragique de la destruction du monde qu’implique cette catastrophe, telle qu’elle apparaît aujourd’hui dans la présentation qui nous est faite, dans la perception souvent inconsciente mais très forte que nous en avons. Ainsi sa démarche, à partir de connaissances précises, à partir de constats également précis, conduit-elle à élargir considérablement le domaine habituel d’évolution de la critique des mouvements écologistes. Son texte finit ainsi par apparaître comme une appréciation critique et tragique, évidemment globale, d’un système de puissance (ce que nous nommons le système du technologisme, en tant que branche technologique du système général de l’“idéal de puissance”) en plein déchaînement et parvenu, au travers de sa crise générale, à la frontière tragique de la destruction du monde.
Le point le plus remarquable est que cette description de cette crise de destruction du monde qui semble effectivement avoir implicitement un caractère global acquiert une dimension métahistorique en introduisant une perception indirectement mais puissamment liée à un courant puissant de la Tradition. Il s’agit de cette perception que l’attaque contre l’environnement, ou contre la Terre en général, a une dimension de sacrilège en ce sens qu’il s’agit d’une attaque contre la structure du monde dans ce que cette structure aurait de sacré, et selon une conception du sacré qui se retrouve aussi loin que remonte l’histoire de l’humanité. Cette vision est présente dans la plupart des courants de la Tradition en général, qui touche aussi bien les religions, que les philosophies anciennes ou les conceptions de divers peuples, ethnies et communautés anciennes.
Ainsi voit-on évoluer, devant l’ampleur des événements et les catastrophes qu’ils entraînent, des esprits qui ont d’abord abordé la critique du système d’un point de vue moderniste, vers une conception beaucoup plus large, beaucoup plus haute. Cette conception s’appuie implicitement, au contraire de la modernité, sur des références qui conduisent aux conceptions plus générales de la Tradition, – bien entendu, tout cela complètement dégagé des interdits et anathèmes idéologiques engendrés par cette même modernité, qui apparaissent alors comme dérisoires et dépassées. (C’est pourquoi il importe bien entendu d’entendre le terme “Tradition” hors des références habituelles du type idéologique au traditionnalisme, comme “réactionnaire” notamment.) Cette évolution nous paraît particulièrement possible aujourd’hui, devant la catastrophe du Golfe du Mexique, notamment avec la façon dont le système de la communication, dans son mode “fratricide” comme on l’identifie désormais souvent, décrit avec crudité l’ampleur des effets de la catastrophe, non seulement sur notre mode de vie, non seulement sur la flore et la faune en tant que telles, mais bien sur la structure du monde dans sa dimension pleine et entière, qui implique justement une notion de sacré dans la perception. De ce point de vue, l’écologisme habituel, sinon “classique”, lui-même enfant de la modernité comme il le confirme aujourd’hui en cédant à la corruption du système, est complètement dépassé et insuffisant, et l’exposition de sa corruption est sans aucun doute une excellente chose.
Mis en ligne le 22 juin 2010 à 09H31